D’ de Kabal arrache l’ « Ecorce de peines »


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© Photo : Eric Legrand

D’ de Kabal présente Ecorce de peines sur la scène du Tarmac de La Villette, à Paris, jusqu’au 23 juin : un long slam, un poème dans lequel il exprime sa vision et son ressenti de l’esclavage. Accompagné du danseur de hip-hop Didier Firmin et d’Ezra, formidable boîte à rythme humaine, il livre un spectacle fort, ancré dans l’histoire et la modernité de son vécu.

« Chaque fois que j’ouvre la bouche, j’entends la voix de nos pères,… chaque fois que je crie, j’entends le cri de nos mères… » Debout, droit sur la scène du Tarmac de la Villette, à Paris, D’ de Kabal [[D’ se prononce « D prime »]], les yeux perdus dans le lointain, explore de ses mots un passé de souffrances et de peine, son fardeau. Sa voix, vibrante et grave, paraît sortie d’outre-tombe. Ce n’est plus vraiment la sienne, d’ailleurs, mais celle de Jacquot, l’ancêtre esclave que le maître a tant et tant battu.

Au milieu d’un décor sombre et minimaliste, sur les violents rythmes rap tout droit jaillis des tripes d’Ezra et la danse hip-hop de Didier Firmin, Jacquot se raconte. Il dit ces jours où il « donne sa chair et son dos au maître », ces jours où ses « yeux semblent bouillir sous la poche rouge de sa cervelle. »

D’ de Kabal, 33 ans, martiniquais, a grandi longtemps après l’époque des chaînes et des fouets, très loin des champs de cannes à sucre, à Bobigny, dans une cité du 9-3 aux immeubles délabrés sous le ciel gris d’hiver. On ne lui a jamais raconté l’esclavage. Pourtant, il est là, dans son cœur et sa mémoire. Dans son spectacle, qui passe du passé au présent, il confie que c’est à l’âge de 24 ans qu’il a commencé à être « noir ». Dans le regard des autres, et quand son passé, brutalement, a refait surface. Alors, a commencé pour lui une longue et douloureuse quête identitaire au cours de laquelle il a dû, bon gré mal gré, admettre qu’« abolir n’est point guérir ».

Un cheminement personnel

Au début des années 2000, il croise la route du Comité Marche du 23 mai 1998 (CM98), une association qui lui donne des clefs pour mieux comprendre son histoire et les liens qui l’unissent à elle. Cette rencontre lui inspire un poème, Incassables, qu’il déclame dorénavant tous les 23 mai au cours de la Cérémonie Lanmèkannfènèg qu’organisent, en Ile-de-France, les descendants d’esclaves antillais, guyanais et réunionnais à la mémoire de leurs aïeux. De ce poème naîtra le reste du texte d’Ecorce de peines. « J’avais vraiment envie d’écrire un prologue au texte du 23 mai, a-t-il confié à Afrik.com. Je l’ai écrit très rapidement, un soir de grande déprime. Et puis après, j’ai cherché à l’habiller avec du son, de la lumière, de la danse… »

Ecorce de peines inscrit l’esclavage dans une culture urbaine chère à D’ de Kabal. « Convoquer le slam, la danse hip-hop, le rap, c’est quelque chose que j’ai toujours fait. Je viens du hip-hop, et cette culture parle à des millions de gens ! » Elle l’inscrit aussi dans son actualité brûlante. Sur scène, l’artiste rappelle les mots de Nicolas Sarkozy, le soir de sa victoire à l’élection présidentielle française : « Je veux en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi, et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres. » Pour le jeune slameur, ce discours est « l’une des plus grosses énormités [qu’il a] jamais entendue.(…) Ceux qui ont l’Etat à charge devraient travailler pour que les gens qui ont besoin d’exprimer les douleurs liées à leur passé puissent se réunir. Pour qu’il n’y ait pas concurrence des mémoires, il faut leur trouver un espace d’expression. » D’ de Kabal a, lui, trouvé un lieu où dire les peines qui se cachent sous son écorce, une façon, scandée, dansée, ryhtmée, de libérer la parole et les coeurs…

 Ecorce de peines, jusqu’au 23 juin, au Tarmac de la Villette, Parc de La Villette, 75019 Paris. Les jeudis,vendredis et samedis à 22h. Une pièce de D’ de Kabal, avec D’ de Kabal (slameur), Didier Firmin (danseur) et Ezra (Human Beat Box); oeil extérieur : Mohamed Rouabhi; lumières : Nathalie Lerat.

 Le site du Tarmac de La Villette

 Le site de D’ de Kabal

 Organisateur depuis 4 ans des soirées BouchaZoreill’, événement majeur de la scène slam parisienne, il apparaît sur le CD qui en réunit les piliers : Slam Experience, sorti en mai 2007.

Photo : l’affiche de la pièce, réalisée par Pascal Colrat

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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