RDC, libération des prisonniers politiques : justification au dialogue ?


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En RDC, la décision de libérer quelques prisonniers politiques prise par Joseph Kabila, loin d’apaiser les tensions, fait polémique. Elle est dénoncée à la fois par l’opposition politique, les mouvements de la société civile, ainsi que par de nombreuses voix au sein de la communauté internationale, qui jugent ces libérations à la fois « fictives » et « sélectives ». Qui plus est, elles serviraient de prétexte utile à certains, disent ils, pour légitimer leur participation à un dialogue qui ouvrirait la boîte de Pandore. Mais peut on regretter une mesure qui va dans le bon sens ?

« Une mesure en trompe l’œil. » C’est ainsi que de nombreux mouvements de la société civile RD congolaise perçoivent la mesure de libération de prisonniers politiques, décidée par Joseph Kabila ce vendredi 19 août. L’une des plus emblématiques d’entre elles, La Lucha, s’en explique dans un communiqué diffusé ce weekend. Le mouvement « note amèrement que sur la liste de 24 noms qui a circulé dans les médias depuis vendredi soir, seuls 4 militants sont en réalité concernés, les 20 autres personnes ayant déjà été libérées depuis plusieurs jours, voire plusieurs mois. » Manifestement très remontée, l’organisation, qui a rencontré Joseph Kabila la semaine dernière, ne manque pas de faire observer qu' »on est désormais à un mois jour pour jour de la date du 19 septembre à laquelle la CENI doit impérativement convoquer le scrutin pour l’élection présidentielle », rappelant ainsi les autorités politiques à leurs obligations constitutionnelles.

Même son de cloche du côté de La Nouvelle Société civile congolaise. Celle-ci « ne cautionnera jamais un processus de dialogue qui ne tient pas compte du respect de la Constitution et de la résolution 2277 des Nations Unies », indique-t-elle dans un communiqué également rendu public ce weekend, avant de dénoncer ouvertement « une stratégie planifiée en vue de retarder le processus électoral en jouant sur l’usure du temps », qui est dénoncée par de nombreux acteurs et observateurs politiques au Congo-Kinshasa.

Une mesure de libération en trompe l’œil?

L’opposition RD congolaise se montre tout aussi catégorique. Réunie au sein du Rassemblement (dont sont membres l’UDPS, le G7, la Dynamique, l’Alternance pour la République, etc.), elle a déclaré par la voix de Jean-Marc Kabund, que « ces mesures dérisoires n’ont nullement rencontré les préalables nécessaires à la tenue du dialogue », ajoutant que « sur une liste de 112 prisonniers présentée par le Rassemblement, seuls 4 ont bénéficié d’une mesure de grâce provisoire. » Et le Rassemblement de fustiger la « mauvaise foi » du Président Kabila et condamner « l’entêtement d’Edem Kodjo à vouloir (lui) donner un troisième mandat. »

Le ton est similaire au sein de la communauté internationale où l’inquiétude est de plus en plus vive face à la volonté manifeste de Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir. « Des libérés… déjà libérés », raille sur son compte Twitter Cécile Kienge, l’ex-ministre italienne de l’Intégration, aujourd’hui députée européenne, avant de qualifier la manœuvre d' »attrape-nigaud ». Plus diplomate – en public tout du moins… – Didier Reynders, le ministre belge des affaires étrangères, s’il a salué ces quelques libérations, a estimé dans le même temps qu’elles n’étaient pas suffisantes, appelant à l’élargissement d’autres prisonniers politiques ou d’opinion. Les pointures de l’opposition ont en effet été oubliées : Diomi Ndongala, Jean-Claude Muyambo, Moïse Katumbi…

Des libérations qui justifient l’ouverture du dialogue

Pourquoi ces libérations de prisonniers politiques interviennent-elles aujourd’hui ? Afin de « décrisper » le climat politique très tendu, nous confie un proche du ministre de l’Intérieur, Evariste Boshab. Mais pour l’opposition RD congolaise et de nombreux observateurs, la réalité est toute autre. « Cette mesurette n’est qu’un prétexte pour permettre à certains partis politiques de justifier leur participation au dialogue souhaité par le Président Kabila et dont l’issue est plus qu’incertaine », nous confie un analyste politique.

« Certains, c’est en réalité l’UNC de Vital Kamerhe, le MLC d’Eve Bazaiba s’étant déclaré « non-concerné » par ce dialogue », précise notre interlocuteur avant de poursuivre : « en acceptant de prendre part aux travaux préparatoires pour le dialogue, l’UNC prend la lourde responsabilité de cautionner l’ouverture de la boîte de Pandore. Car du coup, ils acceptent de fait le principe du glissement du calendrier électoral et donc la violation de la Constitution. » Pourquoi une telle stratégie de la part de l’UNC ? « Pour se distinguer du reste de l’opposition. Mais se faisant, elle fait un pas vers la Majorité présidentielle. D’ailleurs, les partisans de Joseph Kabila sont les premiers à s’en réjouir. Cela leur permet de dire que ce dialogue n’est pas un monologue, même si nous sommes nombreux à en pressentir les conclusions », nous glisse-t-il dans un sourire entendu.

Edem Kodjo, le facilitateur très décrié du dialogue en RDC (il est qualifié de « complicateur » par le député Claudel André Lubaya), s’est empressé d’annoncer le lancement des travaux du comité préparatoire au dialogue ce mardi 23 août. En réponse, l’opposition RD congolaise a décrété une journée ville-morte sur l’ensemble du territoire national. Au Congo-Kinshasa, le bras de fer continue avec, en toile de fond, l’avenir démocratique du plus grand pays d’Afrique francophone et, au-delà, la stabilité de toute une région.

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