« La France a donné un cadeau empoisonné au Mali»


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Plusieurs dizaines de Maliens de France ont manifesté ce samedi à Paris, pour réclamer leur droit de vote à l’élection présidentielle prévue le 28 juillet dans leur pays d’origine. Au sein de la diaspora, ainsi qu’au Mali, beaucoup n’ont toujours pas reçu leur carte d’électeur à dix jours du scrutin. Reportage.

Drapeau malien en main, âgée seulement de cinq ans, les cheveux ondulés, tombant le long de ses épaules, Ramatoulaye parait bien petite au milieu du cortège qui se dirige vers l’ambassade du Mali. « Nous sommes tous des Maliens ! Nous voulons tous voter ! », répète après les autres manifestants la petite fille, vêtue d’un haut blanc et d’une jupe en jean. Elle, originaire de Gao, venue en France juste pour les vacances, ne peut pas encore voter mais est là pour soutenir ses aînés dans leurs revendications. « Les enfants sont la relève. On se bat pour eux! », lance cette manifestante, qui encourage Ramatoulaye à crier de plus belle.

Tous munis de pancartes et drapeaux maliens, revendiquant leur droit de vote, les protestataires, qui sont plusieurs dizaines, font l’objet de toute la curiosité des passants dans les rues de la capitale française. Il faut dire qu’ils ont mis les moyens pour se faire entendre. Accompagnés de chants et musiques traditionnels du Mali, rythmés par un saxophoniste qui effectue des pas de danse par ci par là, ils manifestent dans la bonne humeur mais ne cachent pas leur colère. Ici, on dénonce des élections biaisées d’avance, puisque qu’une grande partie des Maliens ne peuvent pas aller voter : soit 2 millions au Mali, et 90% en France. Et ce malgré qu’ils se soient inscrits à temps pour pouvoir se rendre aux urnes.

Sous l’œil des CRS

Des revendications qu’ils ont l’intention d’aller crier devant l’ambassade du Mali, le lieu choisi du rassemblement. Mais ils sont arrêtés dans leur élan, à cause d’une horde de CRS (police anti-émeute française), qui ont établi des barrages pour que les manifestants ne puissent pas se rendre à l’ambassade. Une initiative qui a fait grincer des dents. « C’est honteux ! Nous sommes très surpris de voir les CRS qui n’ont rien à faire là ! C’est l’ambassadeur qui les a envoyés car il ne veut pas nous écouter ni nous recevoir. Nous sommes de la société civile et il sait que nous trempons le doigt dans la plaie ! », dénonce la secrétaire aux conflits, dans le collectif des Maliens de France, Fatoumata Ba, qui ajuste son boubou brodé de motifs roses et noirs. Selon cette manifestante, mère de famille, « la venue des CRS montre que les autorités françaises et maliennes ont peur, car ils savent qu’il y a des tensions ces derniers temps au consulat et à l’ambassade du fait que beaucoup n’ont pas reçu leur carte pour voter ».

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Dramé attend aussi sa carte d’électeur qu’il n’a toujours pas reçu. Ce qui le met en rogne! Le quarantenaire, qui ne mâche pas ses mots, estimant avoir été suffisamment patient, réclame le report des élections. « Le Mali n’est pas prêt pour tenir de telles élections. Elles sont mal organisées !, dénonce le père de famille à la chemise grise qui vit en France depuis 21 ans. Je ne peux pas voter ! Ma femme non plus ! C’est inadmissible et pourtant nous nous sommes inscrits sur les listes électorales depuis plus d’un an ! Ce n’est pas normal, à dix jours de la Présidentielle, je n’ai toujours pas ma carte d’électeur Nina, qui me permet d’aller choisir le futur Président de mon pays ! »

« Avant, la carte d’identité suffisait pour voter »

La carte Nina. C’est bien elle qui est à l’origine du problème. Il y a trois ans, un programme intitulé Recensement administratif à vocation d’Etat (Ravec) a été mis en place pour recenser tous les Maliens en âge de voter. Initiative qui a donné naissance à la carte Nina que seuls ceux qui sont inscrits sur les listes électorales peuvent obtenir. Seulement, les problèmes techniques se sont enchaînés. Plusieurs milliers de Maliens donc n’ont pas été pris en compte par le dispositif Ravec. Parfois mêmes ceux qui étaient dotés de leur récépissé n’ont pas obtenu leur carte Nina : le dernier sésame pour pouvoir voter.

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Des complications qui ne mènent à rien, déplore Ramata Coulibaly, présidente du Collectif des Maliens de France. « Auparavant, au Mali on pouvait voter avec seulement sa carte d’identité et un récépissé fourni par le consulat. Aujourd’hui, pour voter ils exigent la carte Nina. Tout est devenu plus compliqué depuis que le programme Ravec a été mis en place », explique-t-elle. Selon elle, « ce n’est pas acceptable qu’une partie des Maliens soient privés de leur droit de vote, car c’est un droit constitutionnel violé à cause d’un problème d’organisation et de temps. Mais ce n’est pas aux Maliens de payer le prix du dysfonctionnement de l’administration. »

Ramata Coulibaly dénonce aussi le fait que « 350 000 jeunes maliens aujourd’hui majeurs soient privés de leur droit de vote car ils étaient encore mineurs lors de leur inscription sur les listes électorales. Donc, l’administration refuse de leur délivrer leur carte Nina, arguant qu’ils n’étaient pas en âge de voter à cette période. C’est absurde ! Tous les Maliens en âge de voter doivent pouvoir voter, surtout que cette élection est capitale, car on souhaite tous participer à la reconstruction de notre pays ».

« Kidal n’est toujours pas libérée »

Tout ceci est « orchestré par la France qui a donné un cadeau empoisonné au Mali », estime pour sa part Bintou, qui milite dans une association qui vient en aide aux autistes. « La France a libéré le nord-Mali, mais en échange c’est elle qui prend les décisions à la place de notre pays, alors qu’elle sait très bien que le Mali n’est pas prêt pour les élections ! », fustige la mère de famille.

Même son de cloche pour Moussa Dounia, étudiant en éco-gestion, qui glisse que la « France a laissé pourrir la situation au Mali, alors qu’elle savait pertinemment le danger que représentait les groupes armés qui se sont installés dans le nord du pays. Et aujourd’hui elle vient se présenter en Zorro de l’Afrique ». Pour le jeune homme, qui porte un tee-shirt où il est inscrit : « Le Mali est indivisible », « la France a une lourde part de responsabilité dans la crise du pays, en tant déjà qu’ex-puissance coloniale. Elle s’intéresse au Mali avant tout pour ses intérêts géopolitiques et économiques. Elle et les Etats-Unis disposent depuis plusieurs années de bases militaires dans le nord-Mali. On sait tous que l’exploitation du pétrole par la France a déjà commencé à Tessalit.»

En attendant, Mounkoro, père de famille de 51 ans, s’interroge, lui, sur le cas de Kidal, fief des Touaregs, où les tensions montent, compromettant l’élection présidentielle. Suite à un accord conclu à Ouagadougou entre Bamako et le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), qui contrôlait encore la ville il y a peu, l’armée malienne a été autorisée à y pénétrer. Sauf que les couacs ont déjà commencé, montrant que la hache de guerre est loin d’être enterrée entre les deux parties. Quatre personnes ont péri jeudi dans des affrontements entre Touareg et populations noires, a annoncé vendredi le ministre de la Défense du Mali. La preuve pour Mounkoro que «la France n’a pas libéré Kidal. Toutes les villes du nord- Mali ont été libérées sauf Kidal, puisque les autorités maliennes n’ont toujours aucun contrôle de la localité », déplore-t-il. « Dans ces conditions comment voulez-vous organiser des élections alors qu’il n’y a pas encore la paix au Mali ».

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