“La France tu l’aimes ou …. tu la changes ! ”


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Les mots ont une importance, et à trop les malaxer, on les dévoie. Il est à craindre que, tout autant que la réalité de la loi sur l’immigration proposée par le Gouvernement, les termes utilisés par Nicolas Sarkozy fassent mal à tous ceux qui se battent contre la fatalité sociale.

Par Aziz SENNI, chef d’entreprise, co-Auteur, avec Jean Marc Pitte du livre L’Ascenseur social est en panne …, j’ai pris l’escalier !

Les mots ont une importance, et à trop les malaxer, on les dévoie. Il est à craindre que, tout autant que la réalité de la loi sur l’immigration proposée par le Gouvernement, les termes utilisés par Nicolas Sarkozy fassent mal à tous ceux qui se battent contre la fatalité sociale.

Au reste, poser un ultimatum en ces termes “la France, vous l’aimez ou vous la quittez” est à double tranchant. Le sens premier de ce propos de tribune vise à carresser l’électorat du Front national dans le sens du poil. “Ceux qui n’aiment pas la France”, pour Nicolas Sarkozy, ce sont évidemment les immigrés un peu trop remuants, ou même les Français des banlieues, trop contestataires à son goût. Le ministre de l’Intérieur a-t-il le droit d’en appeler aux pires instincts de rejet, quand ce sont surtout nos élites qui ne croient plus en la France? Qui quitte le pays pour payer moins d’impôts à l’Etranger? Qui part vivre à Londres parce qu’on y est mieux payé? Certainement pas les nouveaux pauvres, ou les Jeunes qui ont brûlé des voitures à l’automne dernier. De manière subliminale, le ministre de l’Intérieur invite nos élites à la lâcheté, à la démission. Au contraire, il convient d’appeler chacun à prendre ses responsabilités : c’est parce que je n’aime pas la France telle qu’elle est aujourd’hui, injuste, peu démocratique et bloquée, que je reste et ai choisi de me battre pour défendre les valeurs républicaines.

« Gouverner, c’est prévoir » (Pierre Mendès France).

Plusieurs responsables religieux ont attiré notre attention sur le danger de parler d’immigration choisie ou subie. Rappelons simplement que Nicolas Sarkozy est issu, si on retient ses propres mots, de l’immigration « subie » par la France, puisque son père était réfugié dans notre pays, pour fuir une Hongrie devenue communiste et totalitaire ; contrairement à moi qui suis l’héritier d’un immigré « choisi » en 1973 dans un ancien protectorat français.

Chacun s’accorde sur l’importance que doit tenir l’immigration dans notre débat public. Il met en jeu l’identité nationale, aussi bien en termes de valeurs (la capacité d’accueil, le respect du droit à la dignité) que d’imaginaire. Pour aborder sereinement le dossier de l’immigration, commençons par rappeler des faits. La France a, par le passé, fait largement appel à l’immigration, en particulier issue de ses anciennes colonies africaines, pour pallier le manque de main d’oeuvre nécessaire à la reconstruction de notre pays en 1945.

Quel était le contexte de cette époque? Le plein-emploi. Les étrangers – en écrasante majorité des hommes – étaient perçus comme une présence transitoire sur le sol français. Eux-mêmes pensaient rentrer chez eux dès que possible. Jusqu’en 1974, la France n’a pas pris en compte la dimension familiale de l’immigration de travail. Avec le vote de la loi sur le regroupement familiale, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, l’immigration a commencé à prendre un autre visage.

En a-t-on vraiment tiré toutes les conséquences aujourd’hui? Je ne le pense pas, puisque les étrangers non communautaires, même présents sur notre territoire depuis plus de 10 ans, ne se voient toujours pas reconnus le droit de vote, alors qu’ils peuvent s’exprimer par les urnes en Espagne et en Belgique. Je ne suis d’accord avec M. Sarkozy que sur un point : nous ne pouvons pas faire comme si la physionomie de l’immigration aujourd’hui était la même qu’il y a trente ou quarante ans. L’économie française est loin de connaître le pleine emploi : avec un taux de chômage de près de 10%, il semble précipité ou imprudent de faire de nouveau appel à une immigration de travail massive.

On envisage le problème de l’immigration de manière isolée

Le gouvernement doit d’abord s’occuper de ceux qui, français ou étrangers, vivent ou survivent dans nos villes, dans nos banlieues ou dans nos campagnes et qui se battent quotidiennement pour trouver leur place au sein de la « maison France ». Comment expliquer à un jeune de banlieue qui a bac +5 et qui ne trouve pas de travail que la France va faire appel à une immigration de travail ? Comment faire entendre à un senior qualifié, mais au chômage, l’on soit « contraint » de choisir des immigrés pour des postes qualifiés auxquels il pourrait prétendre ?

La gestion de ce dossier me semble très sensible et le bon sens doit tous nous conduire à affirmer qu’il faut d’abord s’occuper de nos concitoyens avant de s’occuper de faire appel à une main d’œuvre étrangère. Quand la France aura retrouvé une situation de plein emploi et qu’elle aura, malgré tout, besoin d’une main d’œuvre qualifiée ou non, alors nous pourrons organiser de manière rationnelle l’accueil de ceux qui nous aiderons à renforcer notre économie. Mais nous devons nous attacher à améliorer l’accueil de tous les immigrés dès aujourd’hui. Préparer l’accueil, voilà aussi ce qui a fait défaut dans les années 70.

Lorsqu’on invite quelqu’un chez soit, on lui prépare un endroit où dormir, on lui explique les règles de fonctionnement du foyer…La France souffre d’un problème grave de logement. Je suis au regret de constater qu’une fois de plus, on envisage le problème de l’immigration de manière isolée et sous un angle utilitaire, sécuritaire. Aucun programme d’intégration n’est définitivement arrêté par ce Gouvernement. Nicolas Sarkozy tient-il compte de l’histoire ?

Conserver l’héritage humaniste français

Quant au regroupement familial, sans lequel je ne serais pas là, sans lequel je n’aurais pas eu l’occasion d’aimer et de donner tant à mon pays, j’y suis définitivement favorable. L’homme n’est pas un simple outil de production. Le travail n’est qu’une partie de la vie de l’homme. Ne négligeons pas les valeurs d’émancipation et de liberté qui ont fait la grandeur de la France. Nous ne pouvons pas, au nom de l’héritage des Lumières, nous transformer en esclavagistes modernes uniquement obnubilés par l’efficacité économique de l’homme.

Il doit être considéré comme normal et logique qu’une personne qui quitte son pays, qui vient nous aider à construire le notre, puisse vivre avec sa famille. Nous nous plaignons de la fuite de nos cerveaux au Canada, en Angleterre et aux Etats-Unis et nous serions donc prêts à faire la même chose auprès de pays dont parfois la seule richesse consiste en cette matière grise ! Nous devons, parce que plus solides, parce que plus forts, aider, soutenir et investir dans ces pays en développement, pour mieux maîtriser les flux migratoires. Il en va de leur avenir, il en va de notre avenir.

Les valeurs de la France nous obligent, elles s’imposent à nous et nous n’avons pas le droit de piétiner par égoïsme notre héritage humaniste et républicain. Parce que la France a été le pays des droits de l’homme et de la liberté, nous avons un devoir d’humanité vis-à-vis des plus faibles, aussi bien au sein de notre société qu’à travers le monde. La France ne rayonne jamais autant que lorsqu’elle est fidèle à ses principes et à son Histoire.

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