Pourquoi la Guadeloupe et la Martinique produisent elles de grands champions ?


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La campagne de promotion de la banane créole est un véritable scandale par rapport à l’image qu’elle véhicule des Noirs en France. Quelques grands athlètes antillais se sont malheureusement compromis dans l’aventure…

La campagne de promotion de la banane créole est un véritable scandale par rapport à l’image qu’elle véhicule des Noirs en France. Quelques grands athlètes antillais se sont malheureusement compromis dans l’aventure…

Il devait être 20h30 ce jour-là. Le journal télévisé venait à peine de s’achever et j’attendais avec impatience mon feuilleton du dimanche. Télécommande en main, je m’adonnais à mon jeu favori : le zapping, dans l’espoir d’éviter la météo et les interminables pages de publicité. Tout à coup, Nicolas Anelka apparaît à l’écran, balle aux pieds et droit au but comme souvent. Je m’enthousiasme même d’un éventuel retour en équipe de France. J’ai à peine le temps d’émettre des hypothèses que j’aperçois d’autres stars du sport français en action, Christine Arron, Laura Flessel, Gaël Monfils. Pourquoi les a-t-on rassemblés ? Et Pourquoi cette musique de fond s’inspirant de rythmes antillais ? Pour un spot publicitaire sur la banane créole, dont la chute m’assène le redoutable slogan : « La banane de Guadeloupe et de Martinique, rien ne peut la battre »… Ahurissant.

B2.jpgDites-moi que c’est une farce ? De mauvais goût alors. C’est d’une telle étroitesse d’esprit. Je suis sous le choc. Ainsi voici comment on soigne l’image des Noirs en France… Malgré toute l’actualité de ces derniers mois, malgré toutes les marches de protestation, toutes les émissions télévisées en faveur d’une meilleure représentation des Noirs à l’écran, on ose encore nous déverser en prime time une telle imagerie coloniale. La France de 2005 cultive encore l’image d’Epinal du bon nègre, sportif, pour ne pas changer. J’entends d’ici les railleries faciles des balourds d’extrême droite : « Ils vivent dans les arbres, ce n’est donc pas étonnant qu’ils mangent des bananes à tout va ». Ceux pour qui banane = singe = noir. Ceux qui jettent des bananes aux footballeurs noirs dans les stades.

Le pire est que beaucoup ne trouvent rien à redire sur cette publicité. Pour ma part, j’ai le sentiment d’être subtilement insulté. Je ne peux m’empêcher de penser que les instigateurs de ce spot m’ont glissé leurs affligeants sous-entendus. En voyant ces stars, sensées me représenter à l’écran, je me suis senti trahi. Moi qui comptais passer un peu de bon temps devant la télé, il me fallait en savoir plus… quitte à sacrifier mon feuilleton.

B3.jpgDirection Internet, donc, à la recherche de la moindre information concernant ce camouflet. Je veux tout savoir sur cette pub. Et je finis par trouver. www.riennepeutlabattre.com !!!. Le site de la campagne. Je tombe encore un peu plus des nues. C’est tout d’abord une banane, défilant à l’écran sur un rythme zouk, qui vous accueille à l’écran. Bon, ils ne se sont pas cassé la tête ! Mais le pire reste à venir. Car en accédant au site, nos chers sportifs présents dans la pub télé m’attendaient tous là, agitant leurs bananes comme des trophées sur d’affligeantes photos montage.

« Pour sa première campagne de communication et de marketing opérationnel, l’Union des Groupements de Producteurs de banane de Guadeloupe et de Martinique a retenu un slogan combatif et de victoire, à l’image de son action, qui depuis deux ans a permis à toute une filière de se réorganiser (…), peut-on lire sur le site du ministère de l’Outre-Mer. (…) Cette campagne publicitaire a pour ambition de faire découvrir une filière de l’agriculture française encore mal connue, tout en valorisant parallèlement un fruit cultivé dans des conditions sociales et environnementales respectueuses de la réglementation européenne. » Cette campagne se trompe surtout de route et lance un autre débat que vous n’aurez pas de peine à trouver. Certes, leur objectif, très noble, est de promouvoir la banane antillaise, menacée par l’arrivée massive de la banane latino-américaine et africaine, mais la manière laisse pour le moins à désirer.

B4.jpgLa « banane » passe d’autant plus de travers quand on sait que la campagne, commencée le 7 octobre dernier et qui s’étendra sur trois ans, a coûté la bagatelle de 9,15 millions d’euros. Une facture soutenue par les ministères de l’Outre-Mer et de l’Agriculture, co-financée par l’Union européenne et l’Office de développement de l’économie agricole des départements d’Outre-mer (ODEADOM). A ce prix, je pense sincèrement qu’il y avait vraiment mieux à faire en termes de marketing et de communication. Les sportifs originaires d’Outre-Mer ayant participé à cette « mascarade » devraient avoir honte d’encourager de tels clichés, qui au demeurant desservent la cause qu’ils pensent défendre.

Il y a visiblement et manifestement un hic, que je ne suis pas le seul à partager. Preuve en est l’étonnement et la colère de nombres d’Antillais, des départements et territoires d’Outre-Mer ou de métropole, qui jugent ridicule et stéréotypée la vision qu’on entend donner d’eux, même s’ils restent favorables à une promotion de la banane « made in Antilles ». Et qui sait, d’ici la fin de cette campagne, nous aurons peut être « l’honneur » de voir un Jacob Desvarieux ou une Christine Kelly agitant leurs bananes en chantant ou en présentant le JT. Quant à nos très chers champions, on ne peut que se demander s’ils sont, comme moi, tombés des nues en voyant cette publicité, un dimanche soir, alors qu’ils s’apprêtaient à regarder leur feuilleton favori… A moins que, l’argent aidant, ils n’aient pas été très regardant.

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