« La Pirogue » : un cauchemardesque rêve d’Europe


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De gauche à droite, Laïty Fall (Lansana), Diodio Ndiaye (Kiné) et Souleymane Seye Ndiaye (Baye Laye) à Cannes

La Pirogue évoque le drame de l’immigration clandestine au Sénégal. Pourquoi jeunes et moins jeunes et dans quelles conditions tentent-ils une aventure aussi périlleuse ? Moussa Touré a exposé son point de vue très pédagogique ce dimanche dans la section « Un Certain regard » du Festival de Cannes.

Dans un quartier de la banlieue de Dakar, la capitale sénégalaise, c’est malgré lui que Baye Laye (Souleymane Seye Ndiaye), pêcheur expérimenté, accepte de devenir le capitaine du Goor Fitt, une pirogue censée conduire une trentaine d’hommes en Espagne. Parmi eux, son frère qui souhaite rejoindre une bande d’amis musiciens et Kaba qui rêve de faire carrière dans le foot. A bord de l’embarcation de fortune, une clandestine a également pris place, Kiné (Diodio Ndiaye). Sélectionné à « Un certain regard », La Pirogue est un huis clos, une ambiance qu’affectionne particulièrement Moussa Traoré. Son précédent film TGV (1998) se déroulait entièrement dans un bus.

Moussa Touré, à droite, et Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes le 20 mai lors de la présentation du film

Pédagogique

Avant de prendre le large, le film s’ouvre sur un combat de lutte sénégalaise. Ce rituel festif, spectaculaire et bien huilé, fait d’intimidations et de pratiques mystiques, est une métaphore de ce à quoi sont prêts à renoncer les candidats au départ. Le rêve européen vaut bien des sacrifices, mais ces derniers ne s’imaginent pas ceux que cette traversée, qui devrait durer sept jours, les obligera à faire. Dans La Pirogue et en pleine mer, chacun exprime ses motivations. Le danger, la promiscuité, notamment entre des hommes de cultures différentes – des Guinéens qui n’ont jamais vu la mer ont pris place à côté de Sénégalais -, l’exigence de se rationner pour survivre aussi bien sur le plan alimentaire qu’émotionnel, la peur et l’espérance sont autant de problématiques explorées par le long métrage. La trentaine de passagers est une galerie de portraits : rêveurs et pragmatiques, dont l’organisateur en chef du voyage Lansana (Laïty Fall), se côtoient dans la pirogue. Les émotions des voyageurs sont perceptibles sur leurs visages filmés en gros plan par Moussa Touré.

De gauche à droite, Laïty Fall (Lansana), Diodio Ndiaye (Kiné) et Souleymane Seye Ndiaye (Baye Laye) à Cannes

La Pirogue est une œuvre formelle, aux allures de journal de bord, qui ne prend aucune audace particulière si ce n’est d’inviter une figure féminine, Kiné, dans cette aventure périlleuse. Certains de ses compagnons de route ne manqueront d’ailleurs pas de lui faire savoir que sa présence est indésirable. Cependant, Moussa Touré insiste sur le fait que les candidats à l’immigration clandestine ne sont pas des candides. Leur  principale et unique motivation est la conviction, souvent erronée, de ne plus avoir rien à perdre. Le réalisateur de Toubab Bi (1992) livre ainsi une fiction sans prétention dont la portée pédagogique devrait faire réfléchir tous ces jeunes Africains qui prennent la mer, en espérant une vie meilleure. Car, à leur décharge, traumatisme rime souvent avec mutisme pour les rescapés des pirogues.

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