Le Monde du Silence


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Qu’on ne s’y trompe pas : toute guerre est une guerre d’intérêts et de religion. Religion. Religion du silence. Violence. Violence faite au langage. A ce qui fonde tout être. Toute civilisation. Structure toute culture : parole. Ainsi, ôter, ôter la parole, taire, faire taire l’autre, l’ennemi, le réduire au degré zéro du langage, le mettre à la raison – à sa raison – est somme toute chose normale, puisque finalité. Finalité de la guerre. Illusion bien entretenue, et on le comprend, que la guerre prépare à la paix, comme la mort à la vie ; mais la mort n’est pas que tempête, et la vie que beau temps. Qu’on se le dise : la paix ne doit rien à la guerre.

Comme la violence, la guerre est consubstantielle à l’homme, tous participant de la vie et ne trouvant leur propre justification qu’en cela même. C’est court à dire mais c’est ainsi : on fait la guerre pour faire la guerre, par déterminisme phylogénique – comme on se détend le sphincter après manger, fornique après coucher. « Toute dialectique du désir se fonde sur une éclipse » (J. Lacan). Osons retourner cette proposition et supposer que toute dialectique qui se fonde sur une éclipse relève du désir. La liaison est ainsi établie. L’homme fait corps avec la guerre par le désir ; et l’Un cherchant à couvrir l’Autre, l’éclipse se fait négation, soubresaut, râle, puis silence. Dès lors comment, de la nuit, de l’éclipse, du jouissif silence, s’étonner qu’en temps de guerre tout ne soit que brouillage, dissimulation, désinformation, oubli, manipulation, censure, simulacre, falsification, psychose, contre-regards, contre-lettres, contrefoutres, contrevérités. Vérités en fait, vérités contre, vérités de la guerre : guerres de silences. Rien que stratégies du silence. Logique du silence. Car la guerre est silence.

La guerre est bien silence. La guerre ne peut être que silence. Aussi nul discours, nulle représentation ne sauraient être négligés pour justifier le silence. Et toutes les justifications, des plus grossières aux plus subtiles, devront faire « causes justes » pour légitimer la guerre. Car l’on doit savoir vendre une guerre. Comme un vulgaire objet qui se fait produit de consommation (lessive ou parfum), la guerre ne peut se proposer sans l’occultation même de l’objet, sans l’exubérance de la parole, parole qui le porte à l’existence, parole qui le fait mouvoir, parole qui emballe, parole de bois issue d’une copie-stratégie définie par les services commerciaux et marketing, enroulant demande de l’annonceur et conditions du marché, parole vecteur d’éléments culturels, parole miroir de certaines valeurs sociales, parole séductrice d’un grand public (la défense de la patrie, l’éradication du « Mal », l’humanitaire, la démocratie, etc.), parole forcément hystérique car contrariée par ailleurs et innommable quant au fond – en l’essence de l’objet (intérêts commerciaux, profits, pétrole, gaz, uranium, géostratégie, amour-propre, etc.). Ainsi le silence se fait bavard, bavard jusqu’à la névrose, et la guerre silence, silence jusqu’à l’horreur. Et gare au mécréant qui briserait la loi du silence, le chœur « indigné » se lèvera, le disqualifiera et le couvrira d’opprobre et de sifflets.

Que le Monde prenne cependant garde ; cette stratégie du silence risque de se retourner à terme contre lui. Car si le silence appelle parfois la perfection et le moi absolu, il appelle davantage et plus sûrement l’aliénation, la dévastation – dévastation des cœurs, des âmes, des espaces – et l’obscurcissement des consciences.

Par Marcel Zang

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