Côte d’Ivoire : beaucoup d’ultimatums pour rien


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Les ultimatums fusent et la caravane de Laurent Gbagbo passe. La communauté internationale – notamment la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), la France et les Etats-Unis – en aurait-elle fait mauvais usage? Cette arme supposée de dissuasion massive, à force d’avoir été brandie, est-elle devenue inefficace ? En dépit des menaces, Laurent Gbagbo, celui des deux présidents ivoiriens que ladite communauté internationale veut évincer, continue de tenir tête à tous ses opposants.

« Ultimatum : mise en demeure ultime et formelle adressée par un pays à un autre, et dont le rejet entraîne la guerre », peut-on lire dans le dictionnaire Hachette de la langue française. En Côte d’Ivoire, la communauté internationale semble avoir donné l’impression d’en abuser. Et la diplomatie reste actuellement la seule option pour convaincre le président sortant Laurent Gbagbo à quitter le pouvoir. « La communauté internationale ne peut pas se contenter de faire des phrases qui ne sont pas suivies d’effets et pour cela je ne connais pas deux solutions : il faut aller sur le terrain », affirmait le 20 décembre dernier Dominique de Villepin, ancien ministre français des Affaires étrangères qui a connu «le terrain» ivoirien après le coup d’Etat manqué de septembre 2002.

Le temps des menaces

Entre le 2 décembre, date de la proclamation des résultats par la Commission électorale indépendante (CEI) qui ont donné Alassane Ouattara victorieux du second tour de la présidentielle, et le 31 décembre, Laurent Gbagbo a reçu quatre ultimatums majeurs. Celui des Etats-Unis, de la France, de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et même de son rival, Alassane Ouattara. Les puissances occidentales menacent d’autant plus que la crise ivoirienne et le processus électoral pour y mettre fin ont eu un coût exorbitant. « Ce scrutin a été certifié, rappelait ce vendredi Alassane Ouattara, dans un entretien publié par Le Patriote. La Côte d’Ivoire a dépensé plus de 300 milliards de FCFA pour ce scrutin […]. Ce scrutin a été surveillé pendant trois ans et demi, ça a coûté cher à tout le monde, à la Côte d’Ivoire, à la communauté internationale.»

Les ultimatums, donc, ont été souvent précédés de menaces diverses. Mais cette surenchère n’a, pour l’heure, aucun effet sur Laurent Gbagbo, « le maître » d’Abidjan comme ses partisans aiment à le surnommer. Le bal des sanctions démarre le jeudi 9 décembre avec l’Union africaine (UA). « Le conseil a décidé de suspendre la Côte d’Ivoire jusqu’au moment où M. Ouattara, président élu démocratiquement, entre effectivement en fonction », déclare alors Ramtane Lamamra, commissaire de l’UA pour la paix et la sécurité. La veille, le Conseil de sécurité des Nations unies affirme son soutien à Alassane Ouattara « au vu de (sa) reconnaissance par la Cedeao (…) comme président élu de Côte d’Ivoire (…) proclamé par la Commission électorale indépendante ». Les Nations unies demandent par conséquent à « toutes les parties de respecter le résultat de l’élection » et se disent prêtes « à imposer des mesures ciblées contre les personnes qui essayent de menacer le processus de paix ». Plus tard, le 13 décembre, l’ONU annonce la mise en place d’un comité qui « a pour mission de documenter tous les incidents, comportements, actes, décisions et autres agissements qui entravent le processus de paix, le travail de l’Onuci ou celui d’autres acteurs internationaux intervenant dans le processus de paix ». Ce comité a aussi pour mission de proposer des « mesures concrètes à prendre pour mettre un terme à ces blocages, comme des sanctions ciblées et immédiates ». Les Nations unies sont montées au créneau en tant que certificateur du processus électoral en Côte d’Ivoire mais n’ont pas pris de sanctions concrètes, jusqu’à ce jour, contre Laurent Gbagbo.

« Avant la fin de la semaine»

Les menaces, qui se sont transformés en ultimatums, viennent d’ailleurs. Notamment des membres du Conseil de sécurité des Nations unies comme la France et les Etats-Unis. Le vendredi 17 décembre, le Président Nicolas Sarkozy et les autorités américaines préviennent Laurent Gbagbo qu’ils prendront des sanctions à son encontre s’il ne quitte pas le pouvoir « avant la fin de la semaine». «Laurent Gbagbo et son épouse ont leur destin entre leurs mains. Si avant la fin de la semaine, Laurent Gbagbo n’a pas quitté le poste qu’il occupe en violation de la volonté du peuple ivoirien, ils seront nommément sur la liste des sanctions», avertit le chef de l’Etat français. Dès le 21 décembre, le président ivoirien sortant et une trentaine de ses proches sont empêchés de séjourner aux Etats-Unis. Le lendemain, c’est au tour de l’Union européenne de prendre des mesures contre Laurent Gbagbo et dix-huit personnes de son entourage, y compris son épouse légale, Simone, et sa compagne Nadiana, avec qui il a contracté un mariage coutumier.

A la France et aux Etats-Unis, qui lui ont donné le week-end pour quitter le pouvoir, le ministre de l’Intérieur de Laurent Gbagbo répond le lundi suivant : « Le président Laurent Gbagbo ne prend pas de vacances en Europe, alors ce n’est même pas une vraie sanction ». Et d’ajouter « même si cela nous coûte, nous ne céderons pas». La montagne de l’ultimatum accouche d’une souris : Laurent Gbagbo continue d’être cité comme l’un des deux présidents ivoiriens. La France et les Etats-Unis accusent là un sérieux revers, d’autant qu’elles n’ont pas l’intention de se déployer en Côte d’Ivoire. Ce qu’elles confirment quelques jours plus tard. « Il n’y a aucune ambiguïté. Les soldats de la France, n’ont pas vocation à s’ingérer dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire. Ils agissent, en vertu (…) d’un mandat des Nations unies », indique le 4 janvier dernier Nicolas Sarkozy, confirmant les précédentes déclarations des autorités françaises. Car l’option militaire, logique après un ultimatum, relève désormais de la Cedeao.

Une patate chaude entre les mains de la Cedeao

Dans le communiqué publié à l’issue de son sommet extraordinaire du 24 décembre, l’organisation sous-régionale exige le départ de Laurent Gbagbo et le prévient qu’« en cas de rejet de cette demande non négociable, la Communauté n’aura d’autre choix que de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris l’usage de la force légitime pour réaliser les aspirations du peuple ivoirien ». Cependant, avant de mettre sa menace à exécution, trois émissaires sont envoyés à Abidjan le 28 décembre. « On ne parle plus d’une intervention militaire de la Cedeao qui semble, heureusement, écartée pour le moment », indiquait le lendemain, Jorge Borges, le secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères du Cap Vert, l’un des pays médiateurs. Un nouveau rendez-vous est pris par Laurent Gbagbo pour le 3 janvier 2011 avec la délégation de la Cedeao, renforcée par le médiateur nommé par l’Union africaine, Raila Odinga, le Premier ministre kényan. Dès le début de la crise post-électorale, ce dernier estime que la force est la meilleure option pour obliger le président ivoirien sortant à quitter le sommet de l’Etat. « Gbagbo doit être contraint, même si cela signifie qu’il faut faire usage de la force militaire », souligne-t-il.

La médiation de la Cedeao n’a pas été couronnée de succès, mais une option militaire n’est toujours pas à l’ordre du jour. Pourquoi ? La Cedeao et l’Union africaine (UA) ont indiqué ce mardi 5 janvier que Laurent Gbagbo a « accepté de négocier une issue pacifique de la crise sans condition préalable ». La Cedeao s’est, semble-t-il, appliquée le conseil qu’elle donnait à Laurent Gbagbo quand il a demandé le 18 décembre dernier le départ des forces onusiennes. Dans un communiqué publié deux jours plus tard, l’organisation sous-régionale constate : « L’ultimatum, au lieu d’améliorer la situation, va accentuer les tensions et aggraver le sort des personnes vulnérables ». Les violences post-électorales ont fait plus de 200 morts en Côte d’Ivoire.

Alassane Ouattara, qui par la voix de son Premier ministre Guillaume Soro, n’a pas caché sa préférence pour l’usage de la force pour venir à bout de Laurent Gbagbo, s’est, lui aussi, essayé à l’ultimatum. Le premier est survenu quand il a annoncé qu’il se lancerait à l’assaut de la télévision nationale (RTI) et installerait son Premier ministre le 16 décembre. Son appel, réitéré le lendemain, est un semi échec et se solde par la mort de plusieurs de ses partisans. Le vendredi 31 décembre, un nouvel ultimatum est lancé. « Si d’ici minuit, (Gbagbo) ne quitte pas le pouvoir, le président de la République sera au regret d’envisager d’autres mesures », menace Guillaume Soro. Réponse de Laurent Gbagbo ce vendredi-là sur les antennes de la télévision ivoirienne : « Je ne pas céderai pas aux pressions ».

Dans les derniers entretiens publiés mercredi et jeudi, Alassane Ouattara se montre toujours aussi ferme, mais son propos est plus nuancé. La Cedeao, déclare-t-il dans une intervention rapportée par Le Patriote, « a pris un certain nombre d’engagements. Je [lui] demande (…) de mettre en œuvre sa déclaration. (…) J’ai été en contact avec le président Johnatan Goodluck (qui assure la présidence tournante de l’organisation, ndlr) et plusieurs chefs d’Etat de la Cedeao qui m’ont indiqué qu’il y aura une nouvelle réunion à la suite de la visite des trois chefs d’Etat et qu’une conférence prendrait les mesures adéquates pour faire partir Laurent Gbagbo. Je préfère la solution pacifique ». En d’autres termes, Alassane Ouattara souhaite que la force soit uniquement employée « pour enlever Laurent Gbagbo ». « Ça ne veut pas dire une force contre les Ivoiriens », précise-t-il. Pour lui, « Quand la Cedeao se mettra en œuvre, il (Laurent Gbagbo, ndrl) prendra la fuite comme beaucoup de dictateurs l’ont fait».

Pour l’heure, Laurent Gbagbo ne semble pas perturbé par ses vains ultimatums. Bien au contraire. « Ses affectations diplomatiques ces derniers temps ont été rejetées, ce qui montre clairement que ses jours (à la tête de la Côte d’Ivoire, ndlr) sont comptés », selon Ibrahim Ben Kargbo, le porte-parole du gouvernement sierra-léonais, autre médiateur de la Cedeao. Cependant, l’inaction apparente de la communauté internationale le maintient dans sa bulle de Président qui décide encore de tout en Côte d’Ivoire. L’enfant ne craint plus la menace de la chicotte trop souvent brandie…

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