Diaby Doucouré : « Le bon, la douce et la caillera »


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Couverture du livre
Couverture du livre de Diaby Doucouré

Le bon, la douce et la caillera est le premier roman de Diaby Doucouré, directeur d’une maison de jeunes. Préfacé par Faïza Guène, auteure du best-seller Kiffe kiffe demain, ce recueil de neuf nouvelles met en scène Sophie, journaliste d’un quotidien national chargée de réaliser un reportage sur la situation en banlieue, un an après les émeutes de novembre 2005. D’origine malienne, l’auteur qui a grandi en banlieue parisienne a bien voulu répondre aux questions d’Afrik.com

Diaby Doucouré, directeur d’une maison de jeunes à Aubervilliers en banlieue parisienne, vient de publier son premier roman, Le Bon, la Douce et la Caillera, en hommage au célèbre film américain, Le Bon, la brute et le truand. Soutenu par Faïza Guène, voisine et amie qui a écrit la préface, et par le photographe Camille Millerand, auteur des clichés présentés au début de chaque nouvelle, le jeune écrivain de 29 ans, dénonce dans ce recueil de neuf nouvelles, le malaise social que connaît la France actuellement. Sur un ton direct, clair et pédagogique, Diaby Doucouré également conseiller municipal socialiste à Pantin, invite le lecteur à venir explorer ces « quartiers impopulaires ». Sorte de « docu-roman » sous la forme de dialogues, le livre aborde ainsi des thèmes très variés tels que la mixité sociale, la laïcité, l’éducation, la discrimination positive, l’intégration, la religion, etc…

D’origine malienne, l’auteur rapporte la rencontre entre Sophie, journaliste d’un grand quotidien national venue faire un an après les émeutes de l’automne 2005, un reportage à la cité Lescure d’Aubervilliers, et Sékou, un jeune du quartier très investi dans son association. Il va lui servir de protecteur et de guide lui montrant loin des clichés véhiculés par la télévision, la « vraie réalité » de ces quartiers. Egalement président du pôle français de l’association Blonba dont l’objectif est de lier culturellement la France et le continent africain, Diaby Doucouré est un jeune auteur plein d’idées et d’avenir.

Afrik.com : Pourquoi avoir choisi ce titre ?

Diaby Doucouré : Le livre compte trois personnages principaux, je cherchais un titre qui illustre bien ces personnages que je désirais mettre en avant. J’ai pensé au film, Le Bon, la brute et le truand et je m’en suis inspiré.

Afrik.com : Pourquoi avoir choisi d’écrire des nouvelles sous forme de dialogue ?

Diaby Doucouré : Je trouvais ce style novateur et interactif car mon désir était que le lecteur s’imprègne bien des personnages. De ce fait, un récit sous forme de dialogue entre les personnages principaux était intéressant car cela permet d’avoir des choses plus vraies et ne pas être uniquement dans le descriptif.

Afrik.com : Dans votre roman, vous abordez des nombreux thèmes inhérentes aux jeunes des quartiers « impopulaires » comme vous dites, comme les discriminations, le chômage, « l’intégration à la française », la laïcité, la discrimination positive, la crise identitaire, etc. Etait-ce impératif pour vous d’en parlez ?

Diaby Doucouré : Dans ces quartiers, toutes ces choses que vous citez handicapent les jeunes. Je voulais en parler d’une manière simple car je pense qu’on serait passé à côté de beaucoup de choses si je ne les avais pas évoquées. C’est pour cette raison que j’ai souhaité aborder d’une manière personnelle ces thématiques qui reflètent la réalité.

Afrik.com : Pourquoi avoir choisi les émeutes de novembre 2005 comme thème de départ du roman ?

Diaby Doucouré : J’ai écrit le livre en janvier 2006, juste après les émeutes. A la suite de ces événements, j’ai voulu donner une image de la banlieue différente de celle décrite alors dans les médias, une image sans clichés ni préjugés.

Afrik.com : Avez-vous eu des difficultés à vous faire publier ?

Diaby Doucouré : J’ai envoyé mon manuscrit en septembre 2006 à trois éditeurs. Parmi les trois, un a répondu négativement car cela ne correspondait pas à leur ligne éditoriale, un autre était intéressé seulement par une de mes nouvelles qu’il voulait transformer en BD, chose que je vais faire après, et enfin le troisième, L’harmattan qui m’a répondu favorablement.

Afrik.com : Pensez-vous que les émeutes de 2005 ont, en quelque sorte, aidé les nouveaux écrivains dits de banlieue à se faire publier dans les plus grandes maisons d’édition françaises ?

Diaby Doucouré : Je pense que non, la preuve en est, des personnes comme Faïza Guène par exemple, ont sorti leur premier livre avant ces fameuses émeutes. Il faut cependant reconnaître qu’il est assez difficile de se faire publier en France, surtout lorsqu’il s’agit de la littérature urbaine. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, nous sommes regardés différemment parce que tout le monde veut jouer la carte de la diversité.

Afrik.com : Pensez-vous que ce mouvement « d’écrivains de banlieue » soit un phénomène éphémère du fait de son émergence soudaine ou qu’il est amené à durer ?

Diaby Doucouré : La littérature est un domaine réservé à l’élite en France, et c’est peut-être cela qui a changé aujourd’hui parce qu’elle a ouvert ses portes à tout le monde. Je ne pense pas qu’il soit éphémère, il y aura toujours des auteurs issus de la banlieue qui se feront publier et qui devront faire face à la concurrence.

Afrik.com : À la fin du roman, vous invitez le lecteur à donner son avis sur la fin plus ou moins énigmatique du récit et à en suggérer une autre sur votre site Internet. Pourquoi cette initiative ?

Diaby Doucouré : Je voulais voir comment le lecteur avait interprété le récit en l’incitant à fabriquer une autre fin que celle que je propose, et peut-être susciter chez lui l’envie d’écrire une nouvelle ou un roman. Et depuis, j’ai eu pas mal de réactions de lecteurs qui m’interroge souvent sur la fin du roman. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à travers le parcours des deux personnages principaux, les deux frères jumeaux, je mets en lumière deux modèles de vie qui dominent actuellement dans la société française. D’un côté, il y a le fameux modèle républicain français et de l’autre le modèle américain de plus en plus présent. Et on s’aperçoit lorsqu’on analyse par exemple les résultats des élections présidentielles, que c’est le second model qui l’emporte. C’est cette mort que je voulais en quelque sorte amorcer.

Afrik.com : Le point commun entre ces différents écrivains dits de banlieue, c’est la volonté de mettre en lumière des réalités ignorées par beaucoup de Français. Etait-ce également le cas pour vous ?

Diaby Doucouré : Il est vrai que la majorité des Français ignorent la réalité des quartiers en difficulté, en particulier leur cause. Souvent, on fait un zoom sur ces quartiers lorsqu’il y a un fait divers sans se questionner sur le pourquoi, le comment. Par exemple, comment expliquer l’échec scolaire, le chômage, le manque d’équipements culturels, l’absence du service public dans ces quartiers, etc ? Je pense qu’il est important de voir historiquement pourquoi ces quartiers sont devenus ce qu’ils sont aujourd’hui, ce qui a généré tous ces problèmes. En somme, pourquoi ces quartiers populaires sont devenus impopulaires ?

Afrik.com : Dans le livre, on aperçoit très clairement le côté militant de l’œuvre. Pensez-vous que la littérature urbaine soit en règle générale une littérature militante?

Diaby Doucouré : Je dirais oui mais en même temps ce style, nous ne l’avons pas inventé. Lorsqu’on regarde un peu l’œuvre de Molière, le célèbre dramaturge français du 18e siècle qu’on étudie au collège en France, on s’aperçoit qu’il avait également cette fibre militante dans la mesure où il dénonçait aussi les injustices sociales par rapport au système politique et social de l’époque. Aujourd’hui, c’est quelque chose qui s’est démocratisé dans tous les domaines culturels, que ce soit la littérature, le théâtre, la musique ou le cinéma.

Afrik.com : Vous insistez aussi beaucoup sur le rapport de ces jeunes avec les pays d’origine de leurs parents. Pour quelles raisons ?

Diaby Doucouré : Cela vient des nombreuses discussions que j’ai pu avoir avec les jeunes de mon quartier. Ils sont souvent en quête d’une identité propre. Comme ils ne sont pas toujours acceptés dans ce pays malgré le fait qu’ils soient Français à part entière, ils cherchent souvent ailleurs cette identité et en règle général il s’agit du pays d’origine des parents. Ainsi, Sekou qui se dit Malien se comporte comme un vrai « toubab » une fois qu’il est au Mali, tandis que son frère Djibril qui se dit Français tout en assumant ses origines, se rend au Mali dans le but de mieux connaître une partie de son histoire afin de continuer sa construction identitaire. Il y a aussi parfois des jeunes qui rejettent carrément le pays d’origine de leurs parents. Tout cela est propre au parcours de chacun. Il me paraissait donc important d’aborder ce sujet et le débat que cela peut susciter. Il était également important pour moi d’évoquer le retour au pays de ces jeunes à l’occasion des vacances scolaires car il est perçu différemment d’un jeune à un autre. Il y en a certains qui le voient comme une sanction de la part des parents.

Afrik.com : Quel rapport entretenez-vous avec le Mali dont sont originaires vos parents ?

Diaby Doucouré : En ce qui me concerne, je pense que c’est une erreur de nier ses origines, j’assume complètement cette partie de moi, je vais au Mali le plus souvent que je peux. J’ai mis longtemps avant d’y retourner par peur de la déception car on l’idéalise tellement qu’une fois qu’on y est, le choc culturel peut être énorme au point que certains décident de ne plus y retourner.

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