Waris Dirie, la rebelle


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Waris Dirie
Waris Dirie

Waris Dirie. Définitivement, une femme pas comme les autres qui a décidé de mettre KO les mutilations génitales pratiquées dans le monde entier et dont elle a été victime en Somalie, son pays natal. Sa vie, romancée à l’écran dans le magnifique film Fleur du désert de Sherry Hormann n’est qu’un léger aperçu de la femme de caractère qu’est l’ancienne top model. Rencontre à l’occasion de la sortie du long métrage ce mercredi en France.

Pour fuir un mariage forcé à 13 ans, dans sa Somalie natale, Waris Dirie a bravé le désert et l’esclavage moderne dans la représentation diplomatique somalienne à Londres. Six ans plus tard, quand elle se retrouve dans les rues de la City avec son anglais rudimentaire, elle doit compter sur l’aide de Marylin, une jeune londonienne excentrique qui la prend sous son aile et lui trouve un travail dans un fast-food. Elle y rencontre un célèbre photographe qui lui ouvre les portes du mannequinat. En dépit du succès, elle ne peut oublier le drame de sa vie : son excision qu’elle décide de révéler à la presse afin de faire cesser cette pratique abominable. C’est la magnifique Liya Kebede qui lui donne vie à l’écran avec la sincérité qui sied si bien à Waris Dirie. Dans la peau d’ambassadrice des Nations unies contre les mutilations génitales féminines et avec sa fondation, l’ancienne mannequin en est devenue l’incarnation d’un combat qui trouve sur les écrans un nouvel écho. C’est du moins ce qu’espère Waris, la fleur qui s’oppose au chêne d’une pratique séculaire.

Afrik.com : Qu’est-ce que ça fait de voir sa vie sur grand écran ?

Waris Dirie : C’est irréel, étrange et bizarre ! C’est comme si j’étais à l’extérieur de mon corps et que je le regardais. Je n’aime pas me regarder…

Afrik.com : Qu’avez-vous pensez de la vision que Liya Kebede, qui vous incarne, et Sherry Hormann, la réalisatrice de Fleur du désert proposent de vous ?

Waris Dirie : Liya a fait un travail extraordinaire. Je connaissais le mannequin et je savais qu’elle ferait ce film dans lequel je ne voulais absolument m’impliquer (Waris Dirie et Liya Kebede ne se sont rencontrées que le dernier jour du tournage, ndlr). Mon seul desiderata était que les personnes qui verraient le film soient remuées, en colère, tristes, assez furieuses pour avoir envie d’agir sur le champ ! Et le film y parvient.

Afrik.com : Depuis votre enfance, pensez-vous qu’il y a une évolution en matière d’excision ?

Waris Dirie : D’évolution, je n’en vois aucune. Je vois seulement des changements qui vont dans la bonne direction, mais ce n’est pas suffisant parce que le problème demeure partout dans le monde. Le fait que vous soyez aujourd’hui devant moi, c’en est un. Et je parle à l’Afrique. Cependant, les choses doivent évoluer beaucoup plus rapidement. Cette pratique doit tout simplement cesser. Le monde doit savoir que l’excision n’est rien d’autre qu’un crime contre les fillettes et les femmes. C’est une torture inimaginable. Les femmes en souffrent tout au long de leur vie. Cela me fait mal au cœur d’être encore là à essayer de convaincre la planète que cette terrible pratique a toujours cours alors qu’on devrait y mettre un terme. Immédiatement ! Pas demain, ni après ! Maintenant. Qu’y-a-t-il de si difficile à comprendre dans la souffrance d’une petite fille, d’un bébé mutilé ? Je ne comprends pas pourquoi je suis assise ici à tenter de l’expliquer à la planète. Suis-je folle ? J’en ai assez et je suis terriblement frustrée de ne plus savoir à qui m’adresser pour que mon message soit enfin compris une fois pour toute. Je me suis mise à nue pour attirer l’attention sur l’excision. Je veux que les gouvernements, les politiques, l’Afrique, le monde entier se mobilise pour que quiconque la pratique soit punie. C’est désormais au monde de prendre le relais, maintenant que j’ai transmis l’information et montré la réalité et la monstruosité de cette pratique. Qui s’émeut du sort de ces millions de femmes qui sont mutilées ?

Afrik.com : Vous avez échappé à un lion quand vous traversiez le désert pour vous réfugier chez votre grand-mère à Mogadiscio, après avoir fui un mariage forcé. Depuis, vous vous considérez en mission et vous le prouvez avec votre engagement dans la lutte contre la mutilation génitale féminine. Le mannequinat a été une étape vers l’accomplissement de cette mission ?

Waris Dirie : Ma raison d’être sur terre va au-delà de mon combat actuel que je continuerai de mener. J’ai tant à faire dans cette vie. Quelles que soient les raisons pour lesquelles le Tout Puissant m’a permis de survivre en dépit de toutes les épreuves qui ont été les miennes, je suis certaine que je ne suis qu’au début de l’aventure. Je suis plus que reconnaissante de faire ce que je fais, de voir qu’il m’est possible, d’une manière ou d’une autre, d’aider des gens à en finir avec la souffrance, quelle qu’elle soit. L’amour et le respect, c’est tout ce dont nous avons besoin dans ce monde. Nous pouvons apprendre à mieux nous connaître les uns les autres… La vie ne devrait pas être si compliquée, toute cette cupidité, cette violence, cette manipulation… Ce qui me désole le plus, c’est l’avenir des plus jeunes. Ce que j’appelle « la génération perdue ». Ils ont besoin d’aide et c’est sur eux que je me focalise. Ce sont mes héros de demain et on ne doit pas les briser dans leur élan. La vie n’a pas de limites. Chacun de nous constitue sa propre limite et tant qu’on suit son cœur, on n’est jamais perdant dans la vie.

Afrik.com : C’est de cela que vous allez parler dans votre livre à paraître, Black Woman White Country, du racisme dont vous dites avoir été victime dans un poste de police belge, après votre disparition en 2008 ?

Waris Dirie : Il en sera question dans mon prochain livre. J’ai tant de choses à dire au monde…J’ai des droits et je mérite amour et respect parce que c’est ainsi que je traite mes semblables. Et je n’ai pas de problèmes pour dire ce que je pense (rire).

Afrik.com : L’art, le cinéma et surtout la littérature. Vous êtes l’auteur de plusieurs livres, c’est une sorte de thérapie pour vous ?

Waris Dirie : Je ne parlerai pas de thérapie parce que je n’ai jamais eu de mal à admettre que j’avais un problème. Je sais ce que j’ai à faire et je le fais. Et ce que j’ai à dire, je le dis.

Afrik.com : Vous dites qu’il n’y a pas d’évolution en matière de mutilation génitale. Qu’espérez-vous donc de ce film ?

Waris Dirie : J’espère que ce film ouvrira les cœurs et les esprits. Je souhaite que les gens sortent de ce film dévastés parce que la mutilation génitale féminine est une réalité qui se vit ici même en France. Il devrait y avoir des lois qui soient effectivement appliquées. Les différentes communautés doivent êtres éduquées quant au fait que ces pratiques traditionnelles ne devraient plus avoir cours. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour sensibiliser les gens non seulement en matière d’excision, mais aussi en ce qui concerne tous les abus dont les femmes sont victimes. Je ne saurai accorder du crédit à une culture, une tradition ou une religion qui tolère que les femmes soient abusées. Bien au contraire, la religion est un bienfait quand on est sensible à son véritable message. Il faut en finir avec cette confusion qui est due au fait que la plupart des pays où se pratique l’excision sont musulmans. Nous avons tout simplement besoin que les gens soient éduqués, que les femmes reçoivent éducation et information pour en finir avec cette coutume d’un autre âge.

Afrik.com : Rien de nouveau sous le soleil en matière d’excision. Mais si l’on devait finir sur une note positive, quelle serait-elle ?

Waris Dirie : Quinze pays africains disposent d’une loi qui interdit les mutilations génitales féminines. Mais il ne suffit pas de voter une loi, il faut l’appliquer et sanctionner quand il y a manquement.

Afrik.com : Savez-vous que votre livre est enseigné à Princeton

Waris Dirie : Ah oui ? Mon livre est étudié un peu partout dans le monde mais je ne savais pas qu’il l’était aussi à Princeton… (sourire)

Afrik.com : Comment gérez-vous cette image de rebelle ?

Waris Dirie : Vous ne m’avez pas encore vue à l’œuvre. Je vais mettre le feu à la planète, tout particulièrement à l’Afrique (rire).

Fleur du désert de Sherry Hormann

Avec Liya Kebede, Sally Hawkins, Timothy Spall

Durée : 2h04

Sortie française : 10 mars 2010

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