Violences urbaines en France


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La France est à la une de la presse internationale depuis que, tous les matins, depuis onze jours, sont énumérées le nombre d’automobiles enflammées par de jeunes gens des quartiers populaires. Les journaux africains ne sont pas en reste et évoquent l’échec du modèle d’intégration républicain de ces français d’origine étrangère entassés dans des cités dortoirs.

La télévision portugaise s’inquiète de la sécurité de ses ressortissants dans les quartiers populaires français et le département de Seine Saint-Denis est comparé à la Tchétchénie par la télévision russe. L’Afrique, dont sont originaires nombre des familles qui vivent dans les cités dortoirs française, ne reste pas insensible à la poussée de volence qui les frappent. Le Président malien Amadou Toumani Touré est même intervenu pour faire part de sa sollicitude et de son espoir que la situation puisse s’améliorer. Les faits d’actualité, décompte des automobiles brûlées, des locaux cassés et des réunions au sommet de l’Etat, est couverte quotidiennement, depuis le premier jour, notamment dans la presse francophone.

Si Aujourd’hui le Maroc, qui évoque la « descente aux Enfers » de la région parisienne, Le Quotidien (Tunisie), qui assure que la rue demande la tête du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, Sud Quotidien, ou encore Le Soleil (Sénégal), se contentent des dépêches d’agences internationales, d’autres journaux vont plus loin et se fendent d’analyses plus poussées.

L’échec de l’intégration républicaine

« On s’attendait à entendre ‘ayawah !’, le cri de guerre des émeutiers kabyles, dès la nuit tombée, sur la banlieue rouge de Paris », commence le reportage de Meziane Ourad pour le quotidien algérien Liberté. Le journaliste pose le décor et décrit « les boîtes aux lettres des citoyens du quart-monde français [qui] n’en peuvent plus de crouler sous les rappels angoissants des créanciers, [les] 20% de la population de Seine-Saint-Denis au chômage, le double de la moyenne nationale », ainsi que « le tramway qui va de la gare de Saint-Denis à Noisy-le-Sec, une véritable tour de Babel [où] les rares Français ‘de souche’ ont des allures d’orientalistes. »
« Il y a eu, par le passé, plusieurs bavures, plusieurs alertes. Il y a eu si peu de réponses », poursuit-il, pointant l’une des causes de l’explosion de colère. Même s’il demande si « l’ostracisme dont ont été frappées les populations des banlieues françaises durant toutes ces années justifie la violence inouïe qui s’y propage », évoquant « la voiture de Leïla – une RMiste de première génération – qui crame. C’est une vieille ‘Clio’ qui permettait au mari de ramener la pitance de la famille qui agonise. »

« Karim, 14 ans, deux fois redoublant au collège Paul Langevin de Drancy, habite la même cage d’escalier que » Aziz, dont il vient de brûler la fourgonnette, son outil de travail. « Aziz lui saute dessus et le tabasse. Le jeune ne peut expliquer son geste. Ainsi sont les jeunes qui rasent leur lit, ils foncent dans le mur.
« Je sais que nos enfants sont dans une impasse. Ce ne sont cependant pas des méthodes pour réclamer des droits », juge un retraité de Citroën à Aulnay-sous-Bois. « Ils sont en train de mordre la main qui les nourrit. Ils détruisent les seuls lieux où ils existent. »

Eteindre le feu à sa source

La collègue et compatriote de Meziane Ourad, Nadjia Bouzeghrane, d’El Watan (Algérie), abonde dans le même sens de la machine à intégration en panne. « Une fois éteint, conclut-elle son article, le feu peut reprendre à tout moment, tant que les ingrédients à même de le ranimer n’auront pas été définitivement neutralisés, soit l’éradication des sources d’inégalité sociale, de discrimination et d’exclusion des banlieues défavorisées. »

Bakayoko Youssouf, Nord/Sud (Côte d’Ivoire indique que pour certains observateurs, « les émeutes urbaines ont fait ressurgir une question, en sommeil depuis trois ans : Que doit faire la police ? A l’évidence, l’équilibre entre prévention et répression reste difficile à établir en France, où l’expression démocratique reste une réalité. »

Pour dire la même chose, Suzanne Kala-Lobé, de La Nouvelle Expression, au Cameroun, analyse. « Aussitôt [après les premiers incidents], on essaye d’expliquer ce qui se passe et on interroge la politique dite d’intégration pratiquée en France depuis les années Poniatowski. On se rend compte que celles dites de développement urbain, avec pour enjeux l’intégration et la régulation sociale, viennent d’échouer en se cognant sur les récifs de la Ve République, qui n’a pas su ménager la mosaïque France. » Plus loin : « Le comportement de la police est un des éléments déclencheurs des émeutes urbaines et participe de l’embrasement », explique-t-elle, comparant la situation française aux émeutes américaines des années 1960, de Los Angeles (1962) et de Brixton (Angleterre, 1961).
« Le fait que deux incidents majeurs se soient produits de manière presque simultanée, comme le rapatriement du Maroc des candidats à l’immigration en Europe, avec comme destinée principale la France, et la révolte des jeunes Français issus, comme on le dit pudiquement, de l’immigration, procède des deux faces d’une même médaille », rappelle-t-elle.

Complots

« Rébellion française », titre le très pro-gouvernemental quotidien ivoirien Notre Voie, qui se trouve où on l’attendait.
« Depuis une dizaine de nuits, il se passe quelque chose de bizarre en France, peut-on lire dans l’article d’Abdoulaye Villard Sanogo. Une révolte de jeunes qui a tout l’air d’une rébellion organisée souterrainement. Ces jeunes gens, qui sortent pour la plupart des quartiers défavorisés, sont en fait des fils d’immigrés auxquels se seraient ajoutés des enfants des Français d’origine, mais de basse classe. » Dans cette crise, Nicolas Sarkozy « paie le prix fort de son entêtement à vouloir briguer la magistrature suprême alors qu’il n’est qu’un fils d’immigrés, croit savoir le journaliste. Ce serait donc dans son propre camp que des gens, tapis dans l’ombre, font exécuter cette sale besogne aux jeunes gens. C’est de cette façon qu’ils ont créé l’insécurité du temps où Lionel Jospin était aux affaires ; ce qui a provoqué son élimination dès le premier tour de la présidentielle de 2002. »
« Voilà donc la grande France confrontée à une rébellion de fils d’immigrés qui refusent de discuter avec Sarkozy, mais accepterait volontiers De Villepin. Et si la Côte d’Ivoire leur proposait gracieusement une table ronde à Grand-Bassam, une banlieue abidjanaise ? ».

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