Vers une internationalisation du terrorisme islamiste au Maghreb ?


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Analyse des évolutions récentes qui affectent le terrorisme islamiste au Maghreb.

Le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), rebaptisé Al Qaida Maghreb depuis septembre dernier, a montré mercredi ses capacités de nuisance en frappant en plein cœur d’Alger. L’attentat commis au Palais du gouvernement, tout près de la Grande poste et de la rue d’Isly, et celui qui a visé un commissariat de Bab Ezzouar, dans la banlieue est de la capitale, ont fait 33 morts selon le dernier bilan du ministère de l’Intérieur. Ils interviennent alors que le dernier groupe terroriste actif en Algérie a accru ses attaques contre les symboles de l’Etat, ces derniers mois, et qu’une série d’événements, attentats ou accrochages, ont eu lieu au Maroc et en Tunisie. Même si la tentation est grande, Ali Laïdi refuse sans preuve formelle d’établir un lien entre ces événements. Actuellement journaliste à France 24 et chercheur en charge du terrorisme islamiste à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), il estime néanmoins qu’un nouvel acte terroriste, dans les jours à venir, ne serait pas loin de constituer une preuve de cette internationalisation du terrorisme au Maghreb.

Afrik : Avez-vous été étonné par les attentats qui ont frappé Alger, ce mercredi, après que l’on a assisté à une augmentation des attaques ces derniers mois ?

Ali Laïdi :
Je pense que lorsque l’on travail sur le terrorisme comme alilaidi.jpgje le fais depuis le début des années 1990, on ne peut pas être étonné, car le terrorisme n’a jamais complètement disparu en Algérie. Evidemment, des progrès énormes ont été réalisés et la situation n’a plus rien à voir avec le milieu des années 1990, lorsque les terroristes assassinaient des villages entiers de centaines de personnes. Pour autant, des attaques ont continué à être commises, contre des intérêts étrangers et contre les autorités. Dans le même temps, la Réconciliation nationale a été suivie et de nombreux terroristes ont rendu les armes. C’est pourquoi il n’est pas possible de dire que les attentats de mercredi marquent un total échec de la politique de Bouteflika.

Afrik : Qu’est ce que l’allégeance à Al Qaida change dans les objectifs du GSPC ?

Ali Laïdi :
Il faut déjà bien comprendre qu’il y a des scissions au sein du GSPC. Il faut remonter à sa création en 1997, suite, déjà, à des dissensions au sein du Groupe islamique armé (GIA). Certains ont commencé à rejeter la stratégie mortifère du GIA et refusé de s’en prendre au peuple, aux civils. Je me souviens que le GSPC avait alors été adoubé par Rachid Ramda, qui finançait le GIA depuis Londres. On parlait déjà d’un certain Ben Laden, qui estimait que le GIA se trompait quand il massacrait des villages entiers. Suite au constat d’échec de sa lutte et à la proposition de la Réconciliation nationale, de nouvelles scissions sont apparues au sein du GSPC. Hassan Hattab (son émir national, ndlr) a annoncé en décembre 2006 qu’il acceptait la proposition de Bouteflika. Au sein du GSPC, ceux qui n’étaient pas d’accord avec la Réconciliation avaient sauté sur l’occasion, en septembre, lorsque Ayman Al Zaouahri (numéro deux d’Al Qaida, ndlr) leur a proposé de faire allégeance à Al Qaida. A l’époque, déjà, Hattab ne voulait pas se mettre au service d’une lutte internationaliste. Après les attentats de mercredi, on peut également parler d’une tellement bonne reprise en main du GSPC qu’il est prêt à frapper le Palais du gouvernement.

Afrik : Il semble que ce soit la première fois depuis le début des années 1990 qu’un attentat kamikaze a lieu en Algérie… ?

Ali Laïdi :
Des éléments du GIA m’ont expliqué comment, à partir du moment où ils se sentaient blessés, foutus, ils pouvaient se faire exploser à l’image des kamikazes japonais. Mais il est vrai qu’un attentat kamikaze, organisé, n’avait jamais eu lieu.

Afrik : L’allégeance à Al Qaida va-t-elle entraîner un changement dans le mode opératoire du GSPC. Al Zaouahri avait demandé à ce que les « mécréants » français et américains soient visés en Algérie, mais son groupe autorise-t-il les attentats contre les civils ?

Ali Laïdi :
Non. Al Qaida n’est pas d’accord avec la stratégie d’Al Zarkaoui, en Irak, qui réalise des attentats aveugles contre les sunnites. Ils savent que cela dessert leur cause.

Afrik : Est-il normal que les services de sécurité algériens ne parviennent pas à réduire ce que le président algérien désigne depuis plusieurs années comme du « terrorisme résiduel » ? Est-ce une question de moyens ou de volonté ?

Ali Laïdi :
Les moyens, ils les ont. L’armée algérienne combat les groupes terroristes dans le sud algérien avec l’appui logistique de l’armée américaine. La question est de savoir s’ils les mettent en œuvre. Maintenant, et ce qu’il y a une instrumentalisation…? Depuis plus de vingt ans, on observe des tentations de toutes parts. Mais je refuse d’entrer dans ce débat sans éléments.

Afrik : Les spécialistes du terrorisme qui s’expriment depuis mercredi se disent peu armés pour faire le lien entre les événements qui secouent depuis quelques mois le Maghreb…

Ali Laïdi :
Il est vrai qu’il n’y a pas encore d’éléments factuels, de preuves formelles permettant de faire le lien entre tous les groupes. Mais quand nous voyons ce qui se passe à Casablanca, puis à Alger, il n’est pas possible de ne pas faire ce rapprochement. Si un nouvel attentat se produit dans les jours qui viennent au Maghreb, cela constituerait presque une preuve… Il est aussi vrai que ce qui s’est passé hier (mercredi) à Alger, avec des terroristes aguerris et un attentat qui nécessite une grande préparation, n’a rien à voir avec les mômes de Casablanca qui ne savent pas où prendre leurs ordres. Nous verrons si l’internationalisation du GSPC s’effectue. Cela voudrait dire que le groupe devra frapper hors de l’Algérie…

Afrik : Les réseaux démantelés ces derniers mois en Espagne et en France montrent-ils que l’on va dans cette direction ?

Ali Laïdi :
Il existe des liens de soutien logistiques en Europe. On allait se reposer chez l’un, utiliser de l’argent… Mais il faut savoir que ces gens sont extrêmement surveillés. Le pire, c’est ce qui s’est passé à Casablanca. On ne s’attendait pas à ce que des jeunes dont le numéro de téléphone n’apparaît nul part et qui ne sont connus d’aucun service passent à l’action.

Afrik : Des candidats aux présidentielles ont profité de l’attentat d’Alger pour sonner l’alerte en France… La menace est-elle réelle ?

Ali Laïdi :
Je refuse d’alimenter la psychose, je n’en sais rien.

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Crédit photo : New Press Algérie

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