Union pour la Méditerranée : « un projet qui manque de maturité politique »


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Après la Turquie, la Libye ou encore la Syrie, c’est au tour de l’Algérie d’exprimer ses réticences pour le projet d’Union pour le Méditerranée (UPM). Les difficultés auxquelles fait face la France pour réunir tous les pays de la rive sud sur une même table montre le manque d’attractivité du projet aux yeux de certains chefs d’Etat. Les ministres des Affaires étrangères de 12 pays riverains de la Méditerranée se sont réunis vendredi pour tenter d’élaborer une position commune sur la structure de la future Union. Mais l’Algérie souhaite davantage de précision sur la finalité d’une telle union avant de se prononcer sur sa participation.

Les pays arabes de la Méditerranée, l’Algérie en tête, attendent des « clarifications » sur le projet d’Union pour la Méditerranée (UPM) et notamment sur les conséquences de l’entrée d’Israël dans le processus. L’Algérie pose cette condition avant d’annoncer sa participation au sommet de Paris, qui doit solennellement lancer l’UPM le 13 juillet prochain. C’est ce qui est ressorti de la 15ème conférence ministérielle du Forum méditerranéen (Formed) qui s’est tenue vendredi à Alger. Bernard Kouchner est reparti à Paris bredouille. Mais la position officielle d’Alger, qui évoque la présence d’Israël pour justifier ses réticences, cache des raisons plus profondes. A l’approche du sommet, la France a beaucoup de mal à fédérer tous les Etats autour du projet. Hichem Ben Yaïche explique pour Afrik.com les raisons du blocage et les enjeux actuels d’une telle union.

Afrik.com : Quelles sont les freins qui empêchent la réalisation de l’UPM aujourd’hui ?

Hichem Ben Yaïche :
La France n’a pas su structurer le projet comme il le fallait et elle s’est prise au piège toute seule. Après une série de négociations et de désaccords avec l’Union européenne, l’UPM a finalement pris le même format que le processus de Barcelone (projet Euromed formulé en 1995 qui s’est enlisé depuis, ndlr). L’idée de relancer ce processus est géniale mais la France est contrainte aujourd’hui de tout faire avec l’aval de la Commission européenne. Elle a dû adopter un schéma a minima qui n’a plus rien à voir avec ses ambitions initiales. Des projets d’infrastructure, d’environnement, de dépollution de la mer sont en cours d’élaboration mais on est loin du projet initial. Aujourd’hui, l’Algérie a marqué une forme de scepticisme. Une bataille est désormais engagée pour attirer l’attention des pays du Nord vers le Sud. Même si les venues du Maroc, de la Tunisie et de l’Egypte sont acquises d’avance (le 13 juillet, ndlr), il n’en reste pas moins que la non-réponse du président algérien constitue un électrochoc qui pourrait bien obliger la France à reformuler le projet.

Afrik.com : L’Algérie attend des « clarifications » quant aux conséquences de l’entrée d’Israël dans l’UPM. Le règlement du conflit israélo-palestinien devrait-elle être posé comme condition?

Hichem Ben Yaïche:
La présence d’Israël pose évidemment problème et occasionne une réticence – pour ne pas dire méfiance – de la part des pays arabes qui ont posé le règlement du conflit comme un préalable à la réussite du processus de Barcelone. Mais surtout, Israël a surestimé son ambition au sein de l’UPM. Shimon Pérès a proclamé son soutien total au projet lors de sa visite en France en mars, position qui a été vue comme une provocation. L‘intégrer est essentiel mais le conflit israélo-palestinien reste un obstacle majeur au bon déroulement du processus. Cependant, le rôle des hommes politiques est aussi d’agir sur les obstacles. Voici le défi face auquel ils se trouvent.

Afrik.com : L’UPM a été créée pour souligner l’échec d’Euromed. Mais le projet actuel ne va-t-il pas subir le même sort ?

Hichem Ben Yaïche :
Le projet qui doit être porté par les pays de la Méditerranée a été complètement annexé par l’Union européenne. La seule innovation positive consiste en la création d’un secrétariat co-présidé par un pays du Nord et du Sud et qui permettrait d’élaborer des projets ensemble, ce qui n’a pas été fait par le passé. C’est la seule chose qui permettra de sortir du sur place qu’on a vécu ces dix dernières années.

Afrik.com : Y’aurait-il des raisons plus profondes quant aux réticences formulées par Alger ?

Hichem Ben Yaïche :
L’Algérie a les moyens de ses ambitions. Elle a vraiment atteint une puissance et une aisance financière grâce au pétrole. Elle estime donc que l’Europe ne peut rien lui apporter de plus que le savoir-faire et des techniques. La deuxième raison provient du fait que Nicolas Sarkozy n’a pas su tenir sa parole. Lors de sa première visite en Algérie en juillet 2007, Sarkozy a fait miroiter que l’Algérie sera l’un des piliers majeurs de l’UPM. Cependant, il a prononcé son principal discours sur l’UPM à Tanger et bientôt à Fès (au Maroc, ndlr). La coprésidence sera vraisemblablement attribuée à l’Egypte, le poste de secrétaire général au Maroc et le secrétariat général sera basé à Tunis. Nicolas Sarkozy a donné l’image d’un homme qui manque de fiabilité et de confiance, d’où la susceptibilité algérienne. Mais l’Algérie reste toujours intéressée par le projet. Elle veut juste monnayer sa présence à ce sommet en valorisant son poids sur la scène régionale et ne donnera probablement sa réponse que dans les derniers jours.

Afrik.com : Qu’est-ce qu’il manque au projet pour qu’il puisse fonctionner ? Quelles sont vos recommandations pour établir une UPM viable sur le long terme ?

Hichem Ben Yaïche :
D’abord, le financement du projet. Il n’y a pas assez de moyens à la hauteur des ambitions affichées par la France. Il faudra donc solliciter les entreprises ainsi que les fonds souverains pour développer le projet, ce qui commence à être fait. Mais surtout, le projet manque de maturité politique. La construction de l’UPM doit être commune et englober hommes politiques et société civile. L’UPM devra permettre aux pays des deux rives la mutualisation des moyens, le partage des savoirs et l’ouverture des frontières qui s’avère être nécessaire pour que le dialogue entre les peuples s’instaure. Enfin, on oublie souvent la société civile dans l’élaboration de tels projets. Il faut que l’UPM prenne une dimension médiatique pour marquer la transparence du projet auprès de l’opinion. Il y en a assez des discours. Il faut rentrer dans le concret et mener en parallèle le dialogue politique.

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