Une vie de chien


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Couverture du livre de Patrice Nganang : Temps de chien
Couverture du livre de Patrice Nganang : Temps de chien

Avec « Temps de chien », Patrice Nganang passe l’humanité miséreuse des bas-fonds de Yaoundé au filtre d’un regard de chien. Un pari audacieux que le jeune auteur remporte haut la main. Du grand style. Et pour nous, une belle rencontre.

Pour raconter la misère du sous-quartier de Yaoundé, le nouvel enfant terrible de la littérature camerounaise, Patrice Nganang, a choisi le regard de la plus humble et de la plus méprisée des créatures du règne animal. Celui de Mboudjak, le chien pouilleux, victime et juge implacable du petit peuple de « Madagascar » – le bourg de bric et de broc où la classe moyenne brisée par la crise échoue, lamentable, pareille aux débris qui jonchent les bidonvilles. Loin – très loin – de son âge d’or, Mossa Yo, le maître de Mboudjak, petit fonctionnaire happé par les réformes structurelles, passe sa hargne sur le cabot. Rejeté par ses compères errants pour domesticité incurable, battu, trahi par des humains détestables, le meilleur ami de l’homme a trouvé sa revanche.

Mais non, il ne s’agit pas de « préparer la révolution canine » en fuyant dans la forêt, « loin de tout regard humain » (Mboudjak sait que cette « conscience de race, ne (le) sauverait pas de l’animalité du premier chasseur »). « Pour échapper au crime des hommes », Mboudjak va « au contraire trouver le courage de revenir dans le cercle dangereux de leurs définitions, pour exiger justice ». Beau parcours d’un chien humaniste qui prend des postures christiques, prêt à endurer toutes les vicissitudes de l’homme pour témoigner de sa profonde misère.

La vérité est sous les tables

Maintenant que Mossa Yo s’est reconverti en barman du « Client est roi », mateur frustré de jeunesses aux hanches enchanteresses, Mboudjak tient un observatoire de choix. Préférence accordée à la phase sombre des socles à bière dans ce Cameroun élu champion des dessous de tables par Transparency International : « J’observe le monde par le bas. Ainsi je saisis les hommes au moment même de leur séparation de la boue. (…) Les dessous de table me permettent toujours de surprendre les hommes dans ces lâchetés qu’ils cachent à d’autres membres de leur race ». Où diable cette démarche rédemptrice mènera notre aimable sac à puces ? Motus. On ne va pas vous raconter l’histoire. Sorte d’hybride entre l’hymne à l’amour et le roman picaresque. « Lisez-ça là », ne fût-ce que pour vous régaler de cette verve croustillante et nerveuse comme un coup de langue. Le jeune auteur enrichit la langue de Molière de néologismes « camfranglais » et de vociférations bamilékées, avec une fraîcheur et une habileté des plus réjouissantes. Juré, « Bébélé ! », ça vaut son pesant de cacahuètes.

Commander le livre aux éditions Le Serpent à Plumes.

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