Une mode rentable pour les Maliennes


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Le coton damassé teint à la main (encore appelé bazin) est la matière première de la mode malienne. Les chanteurs aveugles Amadou Bagayoko et Mariam Doumbia ont rendu hommage à ce tissu dans un album sorti en 2005, « Beaux à dimanche », avec les paroles suivantes : « Le dimanche à Bamako, c’est le jour du mariage. Les hommes et les femmes ont mis leurs plus beaux boubous. Les bazins sont au rendez-vous, c’est le jour du mariage ».

Deux aveugles qui chantent la beauté du bazin, des motifs floraux et des couleurs chatoyantes qui rendent les jeunes femmes si élégantes que les célibataires se précipitent pour les demander en mariage ? Le paradoxe a de quoi séduire.

Processus de fabrication

Les femmes qui fabriquent le bazin découpent le tissu selon les dimensions standards, puis font des nœuds à différents endroits, qui ne seront pas teints lorsque le tissu sera trempé dans des seaux de pigments et de fixateur. Quand le tissu ressort, il présente des spirales colorées, de grands ronds ou différents motifs. Pour le faire briller, il est ensuite trempé dans une solution d’amidon et mis à sécher sur des clôtures.

« Teindre un bazin à la main nécessite beaucoup d’effort », explique Djénéba Diarra, qui vit à Badalabougou Ouest, un quartier de la capitale malienne reconnu pour sa teinture de haute qualité.

Les Maliens ont toujours été connus pour leur fabrication de tissu et rivalisaient auparavant avec les Yorubas du Nigeria. Dans les années 1960, lorsque les colorants synthétiques sont arrivés en Afrique de l’Ouest, les Maliens ont appris à les utiliser en fonction de leurs préférences esthétiques. Depuis, les Nigérians se sont taillés un créneau dans la broderie, laissant aux Maliens la première place dans le secteur des tissus de haute qualité teints à la main.

Un secteur en pleine croissance

Maxine Downs, anthropologue, produit en ce moment, en collaboration avec Maureen Gosling, réalisatrice américaine, un film sur le bazin intitulé Bamako Chic: Threads of Power, Colour and Culture. Elles veulent montrer, explique Maxine Downs, comment « des femmes africaines se donnent les moyens de faire de leur créativité artistique et leur débrouillardise une force de réduction de leur pauvreté ».
C’est aussi un secteur où les femmes réalisent des profits. Elles forment ainsi un groupe social très uni ayant un objectif socio-économique commun. « C’est comme une entreprise collective, très communautaire. Les femmes teignent les tissus avec leurs enfants, amis et d’autres membres de la famille. Elles les étalent sur les clôtures de leurs voisins pour les faire sécher, faisant ainsi du voisinage un grand espace publicitaire », explique-t-elle.

Ce secteur fait également intervenir des importateurs de textiles, des vendeurs de teinture, des tailleurs, des banquiers et, finalement, des consommateurs. C’est une bonne nouvelle pour un pays classé par la Banque mondiale comme l’un des plus pauvres du monde. L’espérance de vie y est de seulement cinquante-et-un ans, et le produit intérieur brut moyen par habitant de 691 dollars. Le pays se classe à la 175e place sur 187 pays dans l’Indice de développement humain (IDE) du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).

L’industrie du bazin est encore informelle. Cependant, la réussite entrepreneuriale des femmes dépend des micro-crédits d’organisations non gouvernementales comme Freedom from Hunger, basée aux États-Unis. Lancé en 1989, le programme Epargner pour le Changement au Mali de cette organisation a jusqu’à présent bénéficié à plus de 350 000 femmes maliennes, avec un financement total d’environ 7,5 millions de dollars. Selon Christopher Dunford, chargé d’études dans cette ONG, certaines de ces femmes travaillent dans la fabrication du bazin. Le programme offre des services de crédit et d’épargne abordables, avec des conditions souples de remboursement . Pour obtenir des crédits, ajoute M. Dunford, les femmes se regroupent pour ne pas être limitées par le faible montant de leur garantie. « Elles forment en quelque sorte des groupes de solidarité. Elles se portent garantes les unes des autres et remboursent conjointement les prêts. » Les ONG accordent des microcrédits par l’intermédiaire d’institutions locales de crédit, qui permettent aussi d’organiser les femmes en groupes.

Marchés incertains

Aussi prometteur que puisse paraître aujourd’hui ce secteur pour les femmes maliennes, elles craignent néanmoins que l’industrie textile nationale moribonde freine leur progrès. Les deux plus grandes entreprises maliennes de textile, Comatex et Batexci, toutes deux privées, sont dépassées par l’arrivée sur leur propre marché de produits moins chers et de meilleure qualité en provenance d’Europe et d’Asie.

En outre, du fait de la baisse mondiale du prix du coton, l’Afrique de l’Ouest peine à rester concurrentielle au niveau international. La production du coton au Mali est ainsi passée de 600 000 à 240 000 tonnes entre 2004 et 2011, et les producteurs de coton ne perçoivent que 30 cents par kilogramme. Moins de 2 % du coton malien est transformé sur place, le reste est exporté vers les pays développés et l’Asie, où il est traité et revendu à des négociants, y compris ceux de l’Afrique de l’Ouest.

Débouchés dans la région

A mesure que la popularité du bazin s’étend au-delà des frontières du Mali, les femmes redoublent d’effort. Beaucoup exportent déjà vers des pays comme le Sénégal et le Nigeria, et de plus en plus de commerçants étrangers font des achats au Mali.

Il est logique de s’intéresser à l’énorme marché ouest-africain, qui compte 252 millions de personnes. Les Africains de l’Ouest aiment s’habiller avec soin et selon les traditions. Les dirigeants du Nigeria, du Mali, du Libéria et d’autres pays arborent souvent des tenues traditionnelles, par exemple lors des cérémonies officielles. Divers tissus et styles font régulièrement leur apparition pendant les mariages et autres grands événements, ainsi que dans les films africains.

La demande croissante de bazin a favorisé l’innovation. Les Maliennes proposent des couleurs plus exotiques et des produits de meilleure qualité. Mais le problème est qu’un commerce aussi croissant et rentable risque d’attirer des gens plus intéressés par le profit que par la qualité. Tant que ce jour n’est pas encore arrivé, les femmes maliennes continuent tranquillement à remplir leur compte en banque, le sourire aux lèvres.

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