Une fois veuves, elles doivent épouser le frère du défunt


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Certaines ethnies africaines estiment qu’une veuve ne doit pas rester seule. C’est pourquoi elles appliquent le lévirat, une coutume qui veut que la femme endeuillée épouse le petit frère de son mari. Une tradition dont le but social serait de plus en plus perverti par des hommes uniquement soucieux de récupérer l’héritage de l’être perdu.

« Je prendrais soin de toi comme mon frère l’aurait voulu ». Dans certaines ethnies d’Afrique, lorsque le mari d’une femme décède, elle doit épouser un frère cadet du défunt ou un fils qu’il a eu avec une autre de ses épouses. C’est le lévirat. L’objectif premier de cette coutume est de ne pas laisser une veuve et ses enfants sans soutien masculin au sein du foyer. Une cause noble, mais qui avec le temps semble s’être pervertie. En effet, de plus en plus d’hommes n’accepteraient la charge d’une nouvelle famille que pour percevoir l’héritage.

« Cette tradition est répandue dans tous les pays où il n’y a pas de système de sécurité sociale au sens large du terme. Elle permet aux familles de ne pas sombrer dans l’indigence », explique la sociologue Isabelle Gillette-Faye. Ainsi, les familles modestes résistent mieux à la disparition du père. D’abord sur le plan financier, car la veuve conserve l’héritage de son mari au travers du remariage, ce qui, selon certains, lui permet d’éviter le piège de la prostitution. Pour ce qui est de la vie de famille, le nouveau mari doit prendre en charge la ou les femmes et les enfants de son frère ou père comme s’ils étaient les siens. Il doit donc se charger de l’alimentation, de l’éducation et de la santé pour gommer l’absence paternelle.

Garder la mainmise sur la veuve

Une action de solidarité qui n’est pas remise en cause si l’homme est déjà marié. Cette tradition peut donc amener les femmes à vivre avec un homme qui deviendra, ou est déjà, polygame. « Mais il n’y a pas obligatoirement rapport sexuel. Si la veuve est suffisamment jeune pour enfanter, elle aura des enfants avec le nouveau mari qui, plus tard, participeront à l’amélioration du quotidien de la communauté », précise Isabelle Gillette-Faye. Dans le cas où un polygame décède, ses fils seront mariés aux co-épouses de leur mère biologique.

Derrière cette forme de mariage social, il y a parfois une volonté de garder possession de la veuve. « Pour qu’une veuve reste dans la communauté de son mari, à laquelle elle appartient, elle doit épouser le frère de son mari. Dans le temps, c’était aussi une façon de palier le fait qu’il y ait moins de femmes que d’hommes. Chez les Mossis, c’est au moment du partage de l’héritage que l’on désigne à quel homme reviendra la veuve », explique Rasmané, un Burkinabé mossi, ethnie qui pratique encore beaucoup cette coutume. Dans certains pays, comme la République centrafricaine, c’est une façon de ne pas perdre la dot versée.

Menacée de mort pour avoir refusé

Dans la plupart des cas, on demande à la veuve si elle accepte la présence d’un autre homme pour l’aider dans son quotidien. Si le défunt a plusieurs frères, elle peut même faire part de sa préférence. Mais il arrive que l’on fasse peu de cas de son souhait. « Elle subit des pressions pour épouser le frère du défunt même si elle a fait part de son désaccord. Auquel cas, elle sera forcée au mariage », explique Binta Sarr, présidente de l’Association pour la promotion de la femme sénégalaise (Aprofes).

Celles qui persistent et signent dans leur refus n’ont d’autre choix que de se tourner vers la justice. Rasmané raconte le parcours d’une femme qui en est arrivée là. « Thérèse a perdu son mari boucher, avec lequel elle a eu quatre enfants. Elle a accepté d’épouser le petit frère de Norbert, qui était venu exprès du village. Mais deux mois après, il voulait vendre les deux parcelles de son frère et ramener Thérèse et ses enfants au village. Elle a refusé et a fait appel à un chef traditionnel. La résolution du problème s’est révélée trop compliquée, alors elle a fait appel à la justice moderne et a obtenu gain de cause ».

Mais à quel prix ? « Thérèse a été menacée de mort, mais aux dernières nouvelles, elle est toujours en vie », conclut le Burkinabé de 35 ans. Parfois, la communauté où vit la mère « confisque » purement et simplement les enfants, qui sont propriété du groupe. Dans d’autres cas, on la menace de sorcellerie ou de la déposséder de l’héritage de son mari décédé.

Payés pour spolier les veuves

Autre côté obscur de cette tradition, le détournement vénal qu’en ont fait certains. « Avec le temps, de plus en plus d’hommes n’acceptent cette tradition que pour prendre l’héritage de la veuve, au détriment de ses enfants », constate Binta Sarr. « Les hommes deviennent de plus en plus matérialistes. Ils acceptent les parcelles et le bétail, mais le revendent pour avoir de l’argent et laissent la femme se débrouiller seule », commente Rasmané, qui reconnaît que son père a pris les deux femmes et les enfants de son frère décédé, mais qu’il s’en occupe peu.

Au Kenya, un phénomène nouveau gagne du terrain depuis quelques années. Des « laveurs de veuves » sont payés par la belle-famille pour récupérer les biens dont cette dernière a hérité. Parfois sous le regard complaisant des chefs traditionnels. Celles qui refusent d’être spoliées se voient rejetées par le cercle communautaire et n’auront pas droit à une tombe à leur mort.

Le sida fait reculer la pratique dans les villes

Des dérives qui font que de plus en plus de femmes refusent et se battent contre le lévirat dans les villes, laissant la pratique perdurer dans les villages. Ce qui a participé à son recul en milieu urbain est la peur de contracter le sida. En effet, le mari a pu succomber à cette maladie sans que sa femme ne le sache. Contaminée, elle pourra transmettre le virus à son nouveau partenaire. Ou alors, être elle-même victime du frère éventuellement infecté.

Un message que des associations relayent lors de leurs campagnes de prévention contre le VIH/sida. « Lors de nos actions de sensibilisation, nous expliquons aux gens les risques du lévirat. Nous ne leur disons pas de ne pas le pratiquer, mais que s’ils le font, ils doivent se faire dépister pour éviter la propagation du virus – comme cela est beaucoup arrivé aux Toucouleurs (ethnie sub-saharienne, ndlr), qui pratiquent beaucoup cette coutume », explique Ndeye Diagne, responsable du centre d’écoute et d’orientation contre les formes de violences faites aux femmes à l’Aprofes. Certains pays, comme la Tanzanie et le Burkina Faso, mettent en place des campagnes pour décourager cette pratique, mais l’insécurité financière pousse quelques veuves à accepter ce mariage social. Question de survie.

Cet article a été réalisé lors du Forum des communicateurs traditionnels d’Afrique de l’Ouest sur les violences faites aux femmes au nom de la tradition qui s’est déroulé à Ouagadougou (Burkina Faso) du 27 septembre au 3 octobre derniers

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