Tunisie : l’organisation des élections entre crise et consensus


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Créée par le pouvoir exécutif, l’Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la Révolution doit participer à l’organisation de l’élection d’une Assemblée constituante en Tunisie. Le consensus recherché sur la loi électorale sera toutefois difficile à atteindre tant qu’un certain nombre de polémiques sur sa composition et son rôle ne seront pas éteintes.

Le débat s’annonce rude, pour parvenir à un accord sur les conditions de l’élection d’une Assemblée constituante en Tunisie. Créée sur décision du président par intérim, Foued Mebazaa, et du Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, l’« Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique » fait l’objet de nombreuses critiques, alors que chacun ressent l’urgence de graver dans le marbre de la Constitution les acquis de la Révolution qui a mis à bas le dictateur Zine el-Abidine Ben Ali.

Les jeunes et les régions

« L’instance supérieure a commencé ce mardi son travail pour élaborer la loi électorale, sur un rythme de trois réunions cette semaine », rapporte Ahmed Brahim, premier secrétaire du mouvement Ettajdid (social-démocrate). En théorie, l’élection d’une assemblée constituante devrait se tenir en juillet et la campagne électorale commencer en avril. Mais rien n’est simple, dans la période post-Ben Ali.

La toute première réunion de l’Instance supérieure, jeudi 17 mars, a été le théâtre de violents affrontements verbaux, au point qu’elle a rapidement été ajournée. Sans être « opposé a priori à sa création », le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) a ainsi eu de nombreux griefs à exprimer, explique son représentant en France, Adel Thabet. Outre la composition décidée « sans concertation » par l’exécutif, c’est surtout « l’absence de représentation des principaux acteurs de la Révolution » qui le choque. Ni les Conseils de protection de la Révolution qui se sont créés dans les régions, ni les organisations de jeunesse ne sont en effet représentés. Un comble, alors que l’âge avancé de Béji Caïd Essebsi comme celui de son prédécesseur à la tête du gouvernement, Mohammed Ghannouchi, ont fait l’objet de critiques acerbes.

Dirigée par le juriste Yadh Ben Achour, l’Instance supérieure comprend 71 membres, dont 12 représentants de partis politiques,18 représentants d’organisations professionnelles ou de syndicats et 42 personnalités politiques. Parmi ces dernières, certaines étaient « extérieures», voire « opposées à la Révolution », note également Adel Thabet, qui dénonce une volonté du gouvernement de limiter le pouvoir de nuisance de l’Instance supérieure en y nommant de nombreuses personnalités à la représentativité aléatoire.

Date et modalités du scrutin

Pour Ahmed Brahim, toutefois, le temps n’est pas à l’emportement ni au « ciblage d’individus » au sein de l’Instance supérieure : « La question de la composition est en train d’être réglée et nous devons à présent travailler sans tarder à l’organisation des élections ». Le maître-mot, pour le premier secrétaire d’Ettajdid, est la recherche du consensus, dans un climat apaisé.

Les détails de la loi électorale devraient être décidés au sein de l’Instance supérieure « par consensus ou bien, à défaut, par un vote », expose Ahmed Brahim. Parmi les enjeux les plus importants figure celui du type d’élection pour l’Assemblée chargée de rédiger la nouvelle Constitution, avec soit un scrutin uninominal à deux tours, soit un scrutin de listes à la proportionnelle. Pour Ettajdid, la première solution pourrait s’avérer dangereuse, en favorisant des « potentats locaux issus du régime de Ben Ali ». Signe que chaque choix doit être soigneusement soupesé.

L’autre question reste la date du scrutin. Adel Thabet estime clairement les délais « trop courts pour organiser des élections crédibles par la majorité du paysage politique ». Et malgré une préférence pour une élection en juillet, Ahmed Brahim reconnait que « les experts internationaux parlent en général d’un délai de 22 semaines nécessaires à l’organisation d’élections sérieuses », et se déclare prêt à discuter.

« Chambre d’enregistrement »

Restera ensuite, pour l’Instance supérieure, à faire reconnaître ses décisions par le gouvernement. Or, dénonce Adel Thabet, l’exécutif tunisien n’y verrait en fait qu’une « chambre d’enregistrement » de ses propres décisions. « Lors de la première réunion, le 17 mars, il a été annoncé que le projet de loi électorale allait y être distribué », raconte-t-il, et ce n’est, d’après le représentant du PCOT, que grâce à ses protestations que l’Instance supérieure pourra disposer d’une plus grande marge de manœuvre.

La solution, pour Ahmed Brahim, est une fois de plus dans le consensus. « Depuis le début de la Révolution, Ettajdid a défendu la création d’une instance consultative, car le gouvernement n’osera pas aller contre des décisions approuvées par une instance aussi diverse dans ses opinions », relativise-t-il. Mais malgré leurs divergences, les deux hommes politiques se rejoignent dans une même conviction : c’est par le vote d’une nouvelle Constitution que la Tunisie tournera avec succès la page de la dictature.

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