Tireless : pourquoi le Maroc se tait


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Drapeau du Maroc
Drapeau du Maroc

Un sous-marin nucléaire britannique, en difficulté dans le Détroit de Gibraltar, menacerait-il les côtes espagnoles et marocaines d’une pollution radioactive ? Face à l’opacité de Londres, la société civile andalouse a fait preuve d’une remarquable combativité. Au Maroc, silence total. Faute de moyens techniques. Et surtout politiques. Un sous-marin symbole du dénuement du Sud face aux risques nucléaires imposés par le Nord.

C’est l’histoire d’un sous-marin nucléaire britannique victime d’une mystérieuse avarie quelque part, sur le rocher de Gibraltar. Une avarie suffisamment grave pour justifier une réparation qui dure depuis mai 2000. C’est l’histoire d’un pays qui se tait (le Maroc), faute de moyens de pression, et subit sans broncher le risque nucléaire sur ses côtes septentrionales.

L’affaire a considérablement malmené les relations hispano-britanniques ces derniers mois. Au point que le médiateur européen, Jacob Soderman a appelé à une enquête de la Commission.

Car si la société civile espagnole a su réagir, le Maroc, dont les côtes se trouvent à moins de 20 kilomètres du Tireless s’est contenté d’un communiqué laconique du Ministère de l’Environnement :  » Aucune trace d’éléments radioactifs dans les eaux du Détroit « . Information confirmée par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, citée par l’agence officielle, la Maghreb Arab Press (MAP), qui se fonde sur un élément des plus minces : pas l’ombre d’une notification d’accident ou d’incident nucléaire n’a été communiquée par les autorités britanniques.

Moyens technologiques insuffisants

En fait, cette foi aveugle en la transparence de Londres, masque mal un réel embarras. D’abord, les autorités espagnoles et marocaines ne semblent avoir été prévenues d’un  » incident mécanique  » qu’en août 2000. Soit trois mois après l’incident qui, selon le ministère de la Défense britannique (MoD), aurait eu lieu au cours de manoeuvres le 18 mai 2000.

Ensuite, de l’aveu même d’un responsable du Centre national de radioprotection en poste à Rabat jurant procéder  » à des analyses hebdomadaires « , le Maroc ne  » possède pas la technologie nécessaire pour faire face à un risque nucléaire grave « .

Enfin, les instruments de mesure de la radioactivité dont dispose le royaume permettent tout juste des  » analyses différées « . En clair, les scientifiques ne peuvent mesurer qu’une radioactivité massive sur leurs côtes. Ils n’ont aucun moyen d’anticiper,  » pas même à 12 heures près », l’arrivée de courants radioactifs si ceux-ci parvenaient sur le littoral des villes portuaires densément peuplées, comme Tanger ou Tétouan. Autrement dit : le Maroc est incapable de prévenir une pollution radioactive dans un détroit où l’Atlantique fait peser toute la force de ses courants par un passage large de seulement 15 km et où se concentre 10% du trafic maritime mondial !

Le Tireless a eu un vrai pépin

Faute de mieux, le service de protection nucléaire marocain s’en tient à la version officielle, de plus en plus intenable, que le MoD a bien voulu fournir :  » Le Tireless ne connaît qu’une avarie mécanique. Aucune notification d’accident, ni d’incident nucléaire ne nous est parvenue « .

Or nul n’est dupe. Tout indique que le réacteur du Tireless a eu un pépin. Grave. Et il est clair que l’amirauté britannique, sans doute avec la bénédiction du commandement de l’OTAN, a décidé de le cacher. Sans y parvenir. Selon le Sunday Times et le quotidien The Guardian le réacteur du Tireless aurait failli fondre, suite à une panne des systèmes de refroidissement, alors qu’il croisait au large de la Sicile. C’est le lendemain qu’il a rejoint le rocher de Gibraltar où il se trouve toujours.  » S’il n’y a pas de radioactivité sur le Tireless, pourquoi les Anglais ne le réparent-ils pas en Grande-Bretagne? « , font remarquer les écologistes espagnols. Pourquoi des réparations si longues pour de simples circuits de refroidissement ? Pourquoi le réacteur nucléaire éteint au moment de la panne n’est-il qu’aujourd’hui apte à redémarrer, de l’aveu des autorités britanniques? Bien embêté, le Secrétaire d’Etat britannique aux Forces armées, John Spellar, a fini par reconnaître des  » fuites mineures  » et des  » fissures de quelques centimètres sur le Tireless « . Qu’entend-il par  » des fuites sur le Tireless  » ? Quelles parties sont touchées réellement ? Les circuits de refroidissement ? Ou le réacteur lui-même ? Une semaine avant, les fissures ne mesuraient  » que quelques millimètres « …

Politique de l’autruche pour cause d’impuissance

Plus troublant encore : après plusieurs mois de bras de fer entre Madrid et Londres, des experts espagnols ont été autorisés à pénétrer dans le sous-marin, mais ils ont été empêchés d’approcher le réacteur et la salle de contrôle pour cause de secret-défense.

Au Maroc, seules les protestations du petit parti écologiste marocain sont venues troubler le silence de la classe politique marocaine dans cette affaire.

En fait, Rabat joue à l’autruche car le Maroc ne peut rien faire. Le royaume est signataire de la Convention de Bâle qui tend à réguler le transport des déchets toxiques et à éviter que les pays du Sud deviennent les poubelles de l’Occident. Du 8 au 12 janvier dernier, il a même accueilli la première  » Conférence continentale pour l’Afrique sur la prévention et la gestion écologiquement rationnelle des stocks et déchets dangereux « . On y a traité de pesticides indésirables en Tanzanie, d’incinération des déchets chlorés au Cameroun, mais pas un mot sur les substances radioactives. Et pour cause : les déchets nucléaires sont exclus de l’inventaire des produits toxiques relevant du domaine de compétence de la Convention de Bâle.

Pas d’étude d’impact

Aucune étude d’impact en cas d’incident nucléaire dans le détroit de Gibraltar n’a été réalisée par les autorités marocaines. Aucune coopération trilatérale entre la Grande-Bretagne, l’Espagne et le Maroc n’existe en la matière. Pas même l’ombre d’une convention entre Madrid et Rabat. Tout juste espère-t-on que les  » Espagnols (nous) préviendraient s’il y avait un vrai problème « . Combien de sous-marins et navires militaires à ogive ou propulsion nucléaire traversent chaque année le Détroit pour rejoindre les forces de l’Organisation du traité d’Atlantique-Nord (OTAN) stationnées en méditerranée ? Mystère.

 » De toute façon, dans le Détroit, les questions de souveraineté sur les eaux territoriales, c’est de la blague, note amèrement le porte-parole des Verts espagnols, José Santamarta Flores. Le contrôleur suprême des risques nucléaires dans le détroit, c’est l’OTAN. Pour moi, ça ne vaut rien « .

Selon un rapport de Sciences et Vie datant de 1992, les Britanniques seraient, à eux seuls, responsables de 80% de la radioactivité mondiale rejetée en mer. En 40 ans, la perfide Albion a rejeté dans une quinzaine de sites de l’Atlantique 75 000 tonnes de déchets nucléaires. Trois d’entre eux se situent au large des côtes marocaines. Jusqu’à ce jour, le commandement suprême du pacte de l’Atlantique n’y a rien trouvé à redire. Alors Rabat…

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