Thomas Ibinga : « Ali Bongo n’arrive même pas à la cheville de son père »


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L’élection présidentielle gabonaise du 31 août, qui a vu officiellement l’élection d’Ali Bongo Ondimba à la tête du pays, continue d’être contestée. Les candidats déçus ont formé un front de coalition pour dénoncer les fraudes du scrutin. Porte-parole de l’opposant historique Pierre Mamboundou, Thomas Ibinga apporte son éclairage sur une situation des plus complexes.

Thomas Ibinga, porte-parole de l’opposant gabonais Pierre Mamboundou, a répondu aux questions d’Afrik.com concernant l’élection présidentielle du 30 août dernier. Le candidat, « menacé par le pouvoir, préfère pour l’instant limiter ses interventions publiques », explique-t-il. Il prendra la parole « en temps et en heure ». Alors que la situation est loin d’être apaisée, M. Ibinga apporte l’analyse de son candidat sur le front constitué par les candidats opposants contre le « coup d’Etat électoral » d’Ali Bongo, sur les soupçons de fraude, le rôle de la France dans l’élection, le bilan des violences post-électorales et la place de l’opposition face au clan Bongo.

L’Union du peuple gabonais (UPG), parti de Pierre Mamboundou, nous a fait parvenir sa version des résultats du scrutin. Elle est présentée comme constituée de la synthèse des procès-verbaux des bureaux de vote, rassemblés par les observateurs de l’UPG.

Résultats officiels Résultats de l’UPG
Ali Bongo 41,73% 28,86%
André Mba Obame 25,88% 24,68%
Pierre Mamboundou 25,22% 40,71%

Afrik.com : Quelles sont les objectifs du front commun contre Ali Bongo après l’aboutissement de la procédure de contestation légale des élections ?

Thomas Ibinga :
Le front commun contre Ali Bongo est né de la concertation des candidats. Cette initiative est tout à fait conjoncturelle car les visions des différents candidats de l’avenir du Gabon sont loin d’être unanimes. Les personnes qui constituent cette alliance sont intelligentes et ont bien compris qu’au-delà des divergences, Ali Bongo reste le plus mauvais choix imaginable pour le pays.

Afrik.com : Quel rapport Pierre Mamboundou a-t-il avec les anciens ministres qui en font partie, à l’image d’André Mba Obame ?

Thomas Ibinga :
André Mba Obame était ministre de l’Intérieur jusqu’en juin, comme vous le savez. Il est à présent dans l’opposition et certains électeurs, à choisir entre le mal et le pire, ont choisi le mal. Encore une fois, notre positionnement est circonstanciel. Nous n’avons pas le droit de rester sourds au cri de changement du peuple, c’est pourquoi nous avons accepté de faire partie du front d’opposition.

Afrik.com : Serait-il acceptable pour M. Mamboundou de participer à un gouvernement d’union nationale sous la présidence d’Ali Bongo ?

Thomas Ibinga :
Ali Bongo n’arrive même pas à la cheville de son père. Pierre Mamboundou a toujours refusé de participer au pouvoir lorsque ce dernier était en place et il n’a aucune raison de changer de position aujourd’hui. La situation reste exactement la même qu’avant le décès de Bongo père.

Afrik.com : Les dirigeants de l’opposition avaient déjà été menacés, ils ne peuvent plus quitter le territoire gabonais. Est-ce un sujet de crainte ?

Thomas Ibinga :
Les opposants sont pourchassés, monsieur. Ali Bongo est tout à fait prêt à tuer ! Il traque tous ceux qui ne pensent pas comme lui. Pierre Mamboundou constitue à ce titre une cible prioritaire pour Ali, car il est un véritable opposant, qui tient ses positions. Il avait prévenu avant les élections que les choses risquaient fort de tourner ainsi.

Afrik.com : Comment les médias gabonais traitent-ils de votre candidat ? Quelle est la liberté pour la presse critique du régime ?

Thomas Ibinga :
Dans les médias, c’est le black-out total sur ce que fait et dit Pierre Mamboundou. Ali Bongo régente la télé publique comme la télé privée. Le seul espace d’expression médiatique que nous avons pu avoir nous a très vite été retiré. La chaîne Africa 24 [basée en France, ndlr] avait ouvert son antenne à des membres de l’opposition. Visiblement, cela a eu suffisamment d’impact pour que le pouvoir expulse l’équipe du Gabon.

Afrik.com : Selon beaucoup de commentaires, le terrain avait été préparé bien en amont. Quelles irrégularités êtes-vous en mesure de prouver ?

Thomas Ibinga :
Avant même les fraudes du processus électoral, il est important de comprendre ce qui précède… La mort d’Omar Bongo a été à la fois un malheur et une chance, car il existait enfin une possibilité de changer les choses ! Chacun sait depuis des années que les fichiers électoraux sont le principal outil pour truquer les élections au Gabon. Nous avons donc essayé d’en finir avec les listes fictives en faisant appel à la communauté internationale, mais rien n’y a fait…
Par exemple, pour cette élection, le Gabon comptait 800 000 électeurs pour 1,2 million d’habitants. Vous conviendrez que le chiffre est aberrant ! On peut dire sans trop de risque de se tromper que le collège électoral est constitué d’environ 500 000 personnes. Près de 40% des votants sont donc des électeurs-fantôme ! Le pouvoir n’a pas de scrupules à faire voter les morts, à donner leur carte d’électeur à des étrangers…

Afrik.com : N’y a-t-il pas un procès-verbal pour chaque bureau de vote ?

Thomas Ibinga :
Le bourrage des urnes, c’est le sport roi du Parti démocratique gabonais (PDG) ! Des procès-verbaux de vote fictifs sont rédigés, avec la complicité de certains partis prétendument d’opposition. Des candidats se laissent parfois acheter pour quelques millions de francs CFA [quelques milliers d’euros, ndlr]. Vous savez, quand on manque d’argent pour se nourrir et qu’on vous offre autant… Plusieurs opposants ont tourné casaque et se sont retirés la veille du vote pour favoriser Ali Bongo.

Afrik.com : Mais la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cénap) n’est-elle pas censée effectuer un décompte indépendant ?

Thomas Ibinga :
Les résultats ont été proclamés alors que la Cénap n’avait pas fini son décompte ! Le ministère de la Défense est chargé de convoyer les urnes et les procès-verbaux des bureaux de vote. Ce n’est pas un hasard si Ali Bongo était à la tête de l’armée jusque quelques jours avant l’élection ! Il a ainsi pu préparer les résultats, en s’assurant de garder la mainmise sur le ministère le temps du vote. C’est le décompte du ministère qui a été proclamé…

Afrik.com : Et la Cour constitutionnelle ? N’est-elle pas garante des institutions et donc de la validité du scrutin ?

Thomas Ibinga :
Encore aurait-il fallu qu’elle soit équitable dans son jugement ! Sa présidente Marie-Madeleine Mborantsuo est dans les faits très intéressée par les résultats du vote. C’est la belle-mère d’Ali Bongo, comment pourrait-elle juger de manière indépendante ? Sans compter qu’elle est entrée à la Cour en 1991, et qu’elle a largement dépassé les 5 ans renouvelables une fois que prévoient la loi. Elle a toujours ignoré le droit, alors vous croyez qu’on peut lui faire confiance ?

Afrik.com : On a pu entendre des propos étonnants de l’avocat Robert Bourgi, réputé proche du président Sarkozy, et la France a reconnu l’élection d’Ali Bongo avant la fin des procédures de contestation. Avez-vous des éléments concrets qui confirment votre thèse d’une ingérence française dans l’élection ?

Thomas Ibinga :
Rien qu’avec ce que vous décrivez, il n’est pas besoin d’éléments supplémentaires pour prouver l’ingérence de la France ! Robert Bourgi se disait parent d’Omar Bongo, il l’appelait « papa », vous savez. La France n’a même pas attendu que notre recours aboutisse, malgré ses engagements. Si ce n’est pas de l’ingérence, qu’est-ce donc alors ? Par ailleurs, Pierre Mamboundou a tout fait pour tenter d’éviter un bain de sang, et pour aider au bon déroulement de l’élection. Il a demandé bien avant le vote à la France comme à l’Union européenne (UE) d’agir en ce sens. L’opposition a pris ses responsabilités, pas la France.

Afrik.com : Justement, vous travaillez à établir un bilan des victimes des violences de Port-Gentil. Que savez-vous, à ce stade de votre enquête ?

Thomas Ibinga :
A l’heure qu’il est, même si nous n’avons pas encore de chiffres précis, je peux affirmer qu’il y a eu au moins une quarantaine de morts à Port-Gentil … Les soldats avaient des armes de guerre et ont tiré dans la foule. Nous avons appris qu’ils ramassaient les cadavres pour les jeter à la mer. N’est-ce pas inacceptable ? Le gouvernement a refusé de permettre aux observateurs missionnés par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) de revenir sur le terrain pour rencontrer à ce sujet le gouvernement et l’opposition. « Pas assez de morts », ont-ils prétexté ! Alors l’enquête internationale que propose le pouvoir, nous en connaissons d’avance les conclusions… Ces enquêtes sont toujours faites pour calmer les gens : le gouvernement arrose les observateurs et tout le monde repart la conscience tranquille.

Afrik.com : Vous avez annoncé détenir des résultats de l’élection qui contredisent la version officielle. Quels sont-ils donc et sur quelles preuves vous basez-vous ?

Thomas Ibinga :
Grâce à nos représentants dans les bureaux, nous avons pu récupérer les procès-verbaux originaux. Pierre Mamboundou arrive en tête, comme nous l’avions dit, suivi d’André Mba Obame. Ali Bongo arrive troisième. Je ne peux vous les communiquer avec exactitude mais je pourrai vous les envoyer depuis mon bureau. [Selon les résultats finalement communiqués, Ali Bongo est deuxième, ndlr]

Afrik.com : Selon vous, Pierre Mamboundou a-t-il pu avoir l’impression sous le règne d’Omar Bongo de servir de caution démocratique ? Les choses sont-elles parties pour changer ?

Thomas Ibinga :
Que voulez-vous y faire ? Nous sommes pour une alternative légale. Et puis notre situation est loin d’être simple. Pierre Mamboundou a été condamné par le passé pour avoir osé fonder un parti ! Le pouvoir n’a donc aucun scrupule à nous attaquer. Tout ce que nous pouvons dire est mauvais pour son image. Par exemple, il veut mettre les violences de Port-Gentil sur son dos. Les gens ont résisté violemment parce que c’était le seul moyen pour eux d’exprimer leur déception de voir leurs voix volées. Le droit de résister à l’oppression, c’est écrit noir sur blanc dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, vous savez. Pierre Mamboundou n’a pas appelé à se battre, il n’aurait pas pu de toute manière. Il s’était rendu pour un sit-in pacifique et bon enfant devant la Cénap. Les bérets rouges ont chargé, lancé des grenades lacrymogènes et tiré à balles réelles. Or la réaction a été quasi immédiate après la proclamation des résultats.

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