Tchad : Idriss Déby pourra briguer un troisième mandat


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Grâce à la révision de la Constitution approuvée par le référendum du 6 juin, et dont les résultats ont été rendus publics mercredi, le Président tchadien Idriss Déby ne sera pas limité à deux mandats présidentiels. L’opposition tchadienne conteste les résultats du scrutin et appelle à une journée « villes mortes » le 27 juin prochain.

Jusqu’ici, l’article 61 de la Constitution tchadienne limitait à deux le nombre des mandats présidentiels, chacun de 5 ans non renouvelables. Ce n’est plus le cas depuis mardi. Suite à un référendum organisé sur la révision de cet article, les résultats proclamés mercredi par la Commission électorale nationale indépendante créditent le « oui » de 77,20%, contre 22,80% pour le « non ». Le scrutin, boudé par la quasi-totalité de l’opposition, aurait bénéficié d’un taux de participation de 71,01%. A l’annonce de ces résultats, la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC), fer de lance de la lutte contre cette réforme, a dénoncé une « imposture ».

La CPDC a appelé, lors d’un point presse le 23 juin, « à la résistance et à la désobéissance civique », dénonçant « des taux de participation imaginaires avec un vote positif tout aussi imaginaire ». « Ce référendum n’était pour le Président Deby qu’un simulacre de plus pour tromper la vigilance de la communauté internationale. » Le porte-parole de la CPDC, Oumar Mahamat Saleh, a également appelé à une journée « villes mortes » le lundi 27 juin. Quant à la Ligue tchadienne des droits de l’Homme, elle a donné ses propres décomptes : 68% pour le « non » et un taux de participation qui varie de 15 à 20%.

Participation moyenne

La quarantaine d’observateurs internationaux présents pendant le vote ont noté aussi une « participation moyenne ». Seul le Mouvement patriotique du Salut (MPS), parti au pouvoir, s’est félicité de la victoire « éloquente » du « oui ». Le Conseil constitutionnel dispose de 15 jours pour examiner d’éventuels recours contre le scrutin et proclamer ses résultats définitifs.

Ces résultats ouvrent donc la voie à un troisième mandat pour le Président Déby, et plus si affinités… puisqu’il s’achemine doucement mais sûrement vers un fauteuil de Président à vie. Bien qu’il s’en défende régulièrement, comme dans une récente interview accordée au Figaro. « Soyons clairs : ce n’est pas pour me permettre de me présenter que la Constitution a été modifiée. Il y avait plusieurs faiblesses à corriger. Et les modifications ont été votées par la majorité des élus du peuple », affirme-t-il. Précisant : « Quant à savoir si le Président Déby va se présenter, ce n’est pas une question d’actualité. L’essentiel, pour moi, c’est de montrer que je tiens mes engagements. Ensuite, ce sera au parti de décider ».

La machine Déby

Pourtant la machine politique Déby semble bien huilée pour servir ses intérêts… Idriss Déby est arrivé au pouvoir en décembre 1990 à la suite d’un coup d’Etat militaire contre son ex-allié, le dictateur Hissène Habré. « Afin de légitimer son pouvoir dictatorial, il a organisé des élections prétendues démocratiques, en réalité de véritables hold-up électoraux, en 1996 et 2001 », explique le Dr Djimadoum Ley-Ngardigal, secrétaire-général de l’Action du Tchad pour l’unité et le socialisme (Actus, parti d’opposition). Qui poursuit : « Pour s’assurer une assemblée nationale dominée par son parti, le Mouvement patriotique du Salut (MPS), des irrégularités grossières et énormes – menaces et agressions physiques sur des opposants, bourrages des urnes ou inversion des résultats – ont été constatées aux législatives de 2001. »

Voilà comment, peu à peu, Idriss Déby a étendu son pouvoir sur la vie politique tchadienne. En novembre 2003, le congrès du MPS adopte à l’unanimité la résolution de révision de la Constitution, qui lui permettra de se représenter ad vitam eternam. Le 26 mai 2004, l’Assemblée nationale vote à l’unanimité cette révision. Puis viennent le recensement et les inscriptions sur les listes électorales, en février 2005. Pour M. Ley-Ngardigal, « ils ont été caractérisés par des tricheries et irrégularités ahurissantes. Des villages, villes, quartiers favorables à l’opposition ont été évités tandis que des militants du MPS disposaient de plusieurs cartes électorales avec des identités et des adresses différentes. Des électeurs fictifs ou morts ont été inscrits… »

« Le sacre de la monarchie »

Le 27 mai dernier, la Cour suprême rejette les recours d’urgence en annulation du recensement et du référendum introduites par les députés de l’opposition Ngarlejy Yorongar, du parti Fédération, Action pour la République (Far) et Saleh Kebzabo, de l’Union Nationale pour la Démocratie et le Renouvellement (UNDR). Pour Djimadoum Ley-Ngardigal, le référendum du 6 juin a été une « mascarade ». « Le sacre de la monarchie et de la dictature héréditaire du général-président Idriss Déby vient de prendre son envol », conclut-il, amer. Mais il reconnaît aussi avec lucidité que « l’absence d’unité de l’opposition » et « l’absence d’un projet politique soutenu et affirmé » de ces partis ne jouent pas en leur faveur. Les querelles intestines profitent bien évidemment à Déby, et Félix Ngoussou, directeur du site TchadForum, écrit que « l’opposition tchadienne doit reconnaître son échec en 15 années de lutte ».

En attendant, le pays est dans un « état de déliquescence de l’appareil étatique, de pourrissement de la situation sécuritaire, sociale et économique », selon Djimadoum Ley-Ngardigal. Sans compter la terrible répression policière qui s’est d’ailleurs abattue au lendemain du référendum : menaces à l’encontre de FM-Liberté, La Voix du paysan, L’Observateur ou encore Le Temps, arrestations arbitraires de journalistes et de citoyens. Selon des chiffres fournis par les associations de droits de l’Homme, plus de 25 000 personnes ont été tuées ou sont portées disparues en 15 ans de régime.

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