Sur les ailes de la misère


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Sida (illustration)
Sida (illustration)

Né en Afrique, le VIH a envahi le Continent à son insu. Quels sont les axes et les facteurs de sa diffusion ? Avant les traditions, la pauvreté et la guerre semblent être les premiers responsables de l’épidémie.

Il est difficile d’expliquer la propagation de l’épidémie du sida en Afrique en décrivant seulement un ou des axes géographiques de diffusion du virus VIH. La maladie est certes née sur le continent, où elle conserve son épicentre et où elle fait la majorité de ses ravages. Mais bien que les déplacements des personnes jouent un rôle important dans sa diffusion, le VIH est vécu par toutes les sociétés comme une catastrophe apparue brutalement en leur sein même.

L’ONUSIDA, institution spécialisée des Nations Unies, expliquait récemment* les raisons de ce sentiment. Au début des années 80, alors que de nombreuses personnes étaient infectées dans chaque pays mais que peu de patients développaient la maladie, le VIH s’est installé sans être visible des services de santé. C’est en peu d’années, à la charnière des décennies 80 et 90, que le sida a submergé les hôpitaux et les dispensaires et commencé d’endeuiller massivement les 15 – 50 ans, provoquant la terreur face à ce qui semblait une agression soudaine.

Géographies du mal

Le sida ne s’était pas, évidemment, disséminé par les airs d’une ville d’Afrique à une autre. On commence à comprendre comment se transmet la contamination, presque exclusivement par le biais de rapports hétérosexuels. La maladie s’est répandue des régions côtières vers les pays de l’intérieur et vice-versa, au travers des migrations économiques temporaires en particulier. L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique australe sont même les régions du monde où la liaison entre migrations et sida est la plus forte. Des hommes d’origine rurale, pauvres, jeunes, sans instruction, souvent célibataires, se déplacent pour trouver du travail, dans les mines ou les usines. Ils vivent dans des zones d’habitation denses, où des femmes seules sont contraintes à se prostituer, ne serait-ce qu’en échange de  » cadeaux  » en nourriture. Ces hommes peuvent aussi être chauffeurs routiers, conduisant leurs camions le long d’axes vitaux et surchargés. Une étude menée dans le nord namibien par l’ONG Save the Children a montré que le taux d’infection atteignait 30 % le long de la route empruntée par les camions, et chutait à 10 % dans les villages voisins.

Prise de conscience tardive

La responsabilité des armées en campagne est, d’autre part, écrasante en Afrique centrale, mais aussi ailleurs. Le Dr Robert Shell, un chercheur sud-africain, n’en finit plus de déplorer la décision prise par son pays en 1994 de ne pas faire subir de tests de séropositivité aux anciens soldats de l’ANC, alors que ceux-ci revenaient d’Angola et intégraient les forces nationales régulières de défense (SANDF)… Où que ce soit, la prise de conscience des militaires a été très tardive. Ce n’est qu’en mai de cette année, par exemple, que l’armée nigériane a résolu de fournir des préservatifs à tous ses soldats.

Les coutumes et la tradition tiennent, elles aussi, une place importante parmi les causes spécifiquement africaines de l’expansion du sida. C’est ainsi que les scarifications, circoncisions et autres excisions se déroulent rarement dans des conditions d’hygiène sûres. Par ailleurs, un certain nombre d’événements sociaux sont l’occasion rituelle et presque obligatoire de rencontrer un nombre élevé de partenaires sexuels. C’est le cas, par exemple, après la commercialisation du café et du cacao chez les Baoulé de Côte d’Ivoire, ou après des funérailles en pays Bété.

Le sentiment de culpabilité des malades, la panique associée à un mal connu comme incurable jouent enfin leur rôle, inquantifiable mais essentiel, dans la diffusion de la maladie. La perte du sens de la vie peut également conduire, en Afrique autant qu’ailleurs, à agir de façon inconséquente : si je suis malade, pourquoi les autres ne pourraient-ils pas l’être, et donc pourquoi les protéger ?

Un sentiment d’inefficacité

En effleurant ces causes morales de l’épidémie, on ne peut qu’en revenir à la misère, décidément au coeur du problème du sida. Comment quelqu’un luttant au jour le jour pour sa survie peut-il se projeter cinq ou sept ans plus tard, quand son infection par le VIH évoluera en sida déclaré ?

Les limites de la prévention sont là pour une bonne part. Bien qu’étant de plus en plus efficaces, les actions visant à sensibiliser les Africains au danger butent souvent sur la réaction irrationnelle des personnes découvrant leur séropositivité. D’autre part, l’explosion des statistiques de mortalité conduit beaucoup de gens à penser que la prévention est inefficace, alors que ses résultats sont importants.

La géographie sanitaire est utile à ceux qui veulent comprendre les origines sociales de l’épidémie africaine de sida. Mais pour se protéger et protéger les leurs, c’est leur environnement immédiat que les hommes et femmes du Continent doivent maîtriser.

* UNAIDS, Guidelines for studies of the social and economic impact of HIV/AIDS ; disponible sur Internet

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