Speed dating musulman


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Habiba, l'organisatrice du speed dating
Habiba

Sept hommes, sept femmes, une même religion, sept minutes pour séduire. Le premier speed dating musulman parisien s’est tenu, samedi dernier, dans un restaurant oriental du 17ème arrondissement. Après plusieurs soirées organisées à Nice et à Cannes, Habiba, à l’origine du concept, s’est attaquée au marché des célibataires musulmans de la capitale française.

La pluie tombe dru en ce début de soirée, à Paris, et le froid de l’hiver n’incite pas à mettre le nez dehors. La lueur orangée qui sort de « L’Aïd », un restaurant oriental de la rue Boursault, à un jet de pierre du Sacré-Cœur de Montmartre, invite les passants à faire une pause. Mais tout le monde ne rentre pas ce soir. Assises sur un long canapé d’angle autour d’un thé, cinq jeunes filles d’origine maghrébine patientent en papotant, éclairées par le halo de lumière d’un abat-jour mural en peau de chèvre. Dans une salle mitoyenne, sept jeunes hommes, également originaires d’Afrique du Nord, discutent et fument par petites grappes autour de trois tables. Le rideau noir en velours qui sépare les deux pièces n’est pas tiré et les deux groupes peuvent tout juste s’observer. Il ne s’agit pas d’un mariage strict avec séparation hommes-femmes, ni d’une fête qui a mal tourné, mais du premier speed dating musulman parisien. Le principe consiste à faire se rencontrer des célibataires hommes et femmes musulmans, qui disposeront à tour de rôle de sept minutes pour se séduire. Seuls sont échangés les contacts des personnes qui se sont mutuellement plues.

Derrière ses lunettes rectangulaires, le téléphone portable à la main pour joindre les retardataires, Habiba est à l’origine du concept. Après deux soirées organisées à Nice et à Cannes, depuis septembre, la jeune franco-marocaine gestionnaire de patrimoine la semaine, entremetteuse le week-end, a décidé de s’occuper des célibataires musulmans de la capitale. « Déjà toute petite, je mariais tout le monde », raconte Habiba en rigolant. « Gestionnaire de patrimoine, c’est un métier passionnant, mais ce n’est pas très marrant », ajoute-t-elle dans un éclat de rire. L’azuréenne voulait faire quelque chose dans le domaine matrimonial, mais ne savait pas quoi. Ouvrir une agence ? « Trop d’investissements ». Trop impersonnel et inefficace « pour le client qui a attendu son rendez-vous des semaines, et repart bredouille si ça n’a pas collé. Avec le speed dating, au moins, on a plus de chance de trouver la bonne personne et de rencontrer des gens », explique-t-elle.

Organisation minutieuse

Le téléphone collé à l’oreille, Habiba tente de joindre deux jeunes filles parties de Rouen pour participer à la soirée. D’une pièce à l’autre du restaurant, elle rassure les séducteurs, inquiets de se retrouver en nombre supérieur, et plaisante avec les employées : « vous allez devoir participer. » « Au départ, je pensais que les garçons, qui viennent souvent seuls, se désisteraient plus que les filles, qui viennent à plusieurs et se motivent entre elles. Mais le problème, c’est que lorsque l’une se désiste, les autres font de même », a finalement compris Habiba. Assise un peu en retrait des autres filles, le chemisier blanc tranchant avec son teint mat, les cheveux plaqués au dessus d’immenses yeux bleus, Fatima n’a pas trouvé d’amie pour faire le voyage depuis Tours. C’est donc Christophe qui a dû se dévouer pour encourager la jeune berbère marocaine âgée de tout juste vingt ans.

L’âge presque minimum pour participer. « Quand j’ai commencé, raconte Habiba, les femmes me reprochaient d’accepter des hommes trop jeunes, et les hommes d’inviter des femmes trop âgées » Pull-over sur jean, baskets, les cheveux noirs coupés courts sur un visage clair et la moustache de trois jours, le grand franco-algérien Zouhir, pourtant âgé de 24 ans, a dû faire des pieds et des mains pour être présent ce soir. Autre difficulté, l’organisatrice craignait de voir affluer à ses speed dating musulmans des sans-papiers désireux de régulariser leur situation par le mariage. Car elle ne s’autorise pas à réclamer des papiers d’identité aux participants. Seule obligation, pour elle, être musulman. Sans distinction d’origine. « Un Italien qui avait vécu au Maroc m’a ainsi soumis sa candidature, raconte Habiba. J’ai demandé aux participantes si ça ne les dérangeait pas, et il a pu venir ».

Risque de repli communautaire ?

L’initiative ne va-t-elle pas contre « l’intégration » chère à la République ? « Je m’attendais à ce qu’on me fasse cette critique. J’ai même préparé tout un speech », explique Habiba, toujours avec le sourire. « Mais on ne me l’a pas encore faite ! » Sur le fond, « je suis très partisane des mariages mixtes », avoue-t-elle. « J’ai commencé en janvier 2003 en organisant des speed dating « normaux », mais je me suis aperçu qu’il y avait vraiment une forte demande de mariages au sein de la communauté musulmane ». Alors, Habiba s’attache à la satisfaire. Tout en restant persuadée que l’initiative ne va pas à l’encontre de l’intégration.

Trente ans, d’origine algéro-marocaine, les cheveux noirs brillants ondulés, coupe irréprochable et costume impeccable, Djamel souhaite trouver une compagne maghrébine : « les parents remettent la pression depuis deux ans », explique-t-il. Né en France de parents algériens, Mouss, 38 ans, raconte pour sa part avoir « toujours vécu avec des Européennes. J’ai même vécu dix ans avec l’une d’elles, précise-t-il. Ça n’a pas marché et je me suis aperçu qu’il me fallait un retour aux sources ». « C’est plus facile quand on est de la même culture », reconnaît Khaled, jeans sweat, complètement décontracté au fond de son fauteuil en acier forgé. « Je sais que mes parents préféreraient me voir avec une Maghrébine. Je les adore et je n’ai pas particulièrement envie d’entrer en conflit avec eux », explique le trentenaire franco-tunisien. « Mais si je tombe amoureux d’une Européenne, ajoute-t-il, je prendrai le risque ».

Même constat chez les filles. A ceci près que la pression familiale pour elles est autrement plus forte. « A 27 ans, mes parents commencent vraiment à se poser des questions sur moi et ma grande sœur », admet Myriam, 27 ans, venue avec sa petite sœur Khadija, 24 ans. Les cheveux longs, bouclés, et de grands yeux noirs, les deux sœurs, au contraire des garçons, distinguent l’appartenance communautaire et l’obédience religieuse. « Indonésien ou Marocain », expliquent-elles, il importe plus pour nous de rencontrer un musulman qu’un homme originaire d’Afrique du Nord.

Islam à la mode française

Les deux Rouennaises ne sont pas arrivées mais les « entretiens » vont commencer. Ils auront lieu dans la salle où se tenaient les garçons car les tables y sont plus nombreuses. Pas de lumière tamisée, l’éclairage y est plus intense que dans l’autre pièce. Chacune des cinq filles a pris place à une table, et, un par un, cinq garçons s’installent à leurs côtés. Une chicha mise à contribution commence à diffuser dans tout le restaurant une odeur sucrée de pomme. Mouss, qui ne participe pas au premier tour, attend le second en compagnie de Djamel. Il précise que si il estime préférable pour lui de se marier avec une femme d’origine maghrébine, il n’acceptera jamais le mariage arrangé. « Je ne m’engage pas à l’aveuglette, explique-t-il. Quand on va au pays, on est très sollicité. Et on craint toujours que la fille veuille juste se marier pour venir en France. Ce que je désire, c’est trouver une femme maghrébine née en France, scolarisée en France ». « Le décalage est trop grand avec les femmes de là-bas », confirme Djamel, qui cite les exemples de jeunes tunisiennes vite rentrées dans leur pays après quelques mois passés en France. Les deux garçons se félicitent d’ailleurs de l’initiative de Habiba, qui facilite les rencontres au sein de la communauté maghrébine. Une communauté où les « contacts hommes-femmes ne sont pas toujours évidents, même à Paris ».

A l’issue des sept tours, filles et garçons, pas très à l’aise, se séparent pour inscrire sur une feuille le nom des prétendants qui les ont attirés. Mais très vite, Habiba invite tout le monde à prendre le thé. Elle a expérimenté les speed dating, avant d’organiser les siens, et les a trouvés trop stricts. Alors, en plus de ce thé commun, elle a agrémenté ses soirées d’un repas (hommes et femmes séparés), à l’issue du quatrième tour, qui détend l’atmosphère et rend les entretiens moins « industriels ». Des initiatives saluées par tous les participants, nombreux à féliciter et à remercier l’organisatrice, tout en déboursant les 30 euros demandés pour la soirée. « Ils sont tous très gentils, on aimerait tous les revoir, mais en tant qu’amis », expliquent plusieurs jeunes filles, alors qu’elles échangent leurs numéros. L’une d’elles se demande si ils en accepteraient l’augure. Elle a trouvé durant les entretiens qu’ils étaient, plus qu’elle, tendus vers l’idée de former un couple d’amants et non d’amis.

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