Soigner la lèpre par la beauté


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soeur clemence

Le pavillon lèpre de l’hôpital de Tuléar, à Madagascar, n’accueille pas que des lépreux… De nombreuses femmes bien portantes viennent profiter des soins de beauté et des conseils dermatologiques mis en place par la responsable du service, sœur Clémence. Une initiative qui permet de moins stigmatiser les lépreux et de respecter leur dignité.

Le service des lépreux est devenu un lieu central et incontournable de l’hôpital de Tuléar, ville du sud de Madagascar. Dans cet endroit pas comme les autres géré par sœur Clémence, des femmes lépreuses et bien portantes papotent côte à côte en partageant des conseils beauté, se racontent leur vie, leurs déboires conjugaux et leurs affaires de cœur… Des échanges peu communs dans un pays largement touché par la lèpre et dans lequel cette maladie est encore terriblement taboue. Cette ambiance originale, sœur Clémence l’a rêvée. Et l’a créée.

Clémence appartient à la congrégation religieuse des filles de la sagesse. Elle est entrée chez les sœurs de St-Paul de Chartres à 21 ans. Et quand elle affirme avoir 42 printemps aujourd’hui, on a du mal à la croire. Avec ses lunettes rondes qui lui mangent la moitié du visage, son nez retroussé parsemé de grains de beauté et son sourire de petite fille, Clémence paraît tellement plus jeune. Dans son petit gabarit poids plume se tapie une force à déplacer les montagnes de l’île Rouge…

Nouveaux cas de lèpre

Aînée d’une famille de 7 enfants, élevée par sa grand-mère à Tananarive, la capitale, elle a travaillé 7 ans dans un dispensaire de brousse puis a remplacé une sœur missionnaire, responsable de la léproserie de l’hôpital pendant un an. Ensuite, elle quitte le domaine de la santé pendant 5 ans pour devenir maîtresse de novices. Mais la lèpre la rattrape : on l’appelle pour reprendre le service qui connaît des difficultés. « Il était dans un état lamentable, il fallait le restaurer. » En quelques mois, elle le remet sur pied. Assistée d’un infirmier, elle travaille en étroite collaboration avec les médecins de l’hôpital. Une autre sœur vient de la rejoindre il y a deux mois et elle avoue que « les visites des représentants de la fondation Raoul Follereau sont très bénéfiques à notre service. Après leur passage, les gens ont encore plus confiance en nous ».

Une confiance qu’elle a gagnée peu à peu dans cette région très pauvre et fortement touchée par la lèpre : Tuléar est la deuxième région endémique du pays après Tamatave. Dans un rayon de 170km, 42 nouveaux cas de lèpre ont été détectés en 2002. Le chiffre est passé à 56 en 2003. Et pour la période allant de janvier à juin 2004, 36 nouveaux cas ont déjà été répertoriés. « C’est beaucoup », regrette Clémence. « Certaines personnes viennent vraiment de loin pour se faire soigner chez nous. Le ministère de la Santé a adopté une politique de santé pour dépister à temps et prendre en charge les malades mais le public et le privé doivent travailler ensemble. Le public accueille moins de malades car il ne prend pas en charge toute la personne, à l’inverse des trois centres privés à Tuléar. Mon service est un centre de référence car il se trouve au cœur de l’hôpital. »

« Quand tu es aimée, tu es belle »

Lorsqu’elle a repris le centre lèpre de l’hôpital, les défis étaient clairement établis pour Clémence : dépister les malades à temps, lutter contre les mentalités, réinsérer les malades dans la société. « Comme la lèpre est une maladie honteuse, je me suis dit qu’il fallait changer la façon de travailler pour mieux dépister les malades. Pour ce faire, et pour préserver au mieux la dignité du malade, j’ai mis en place des soins de beauté… L’hôpital n’a qu’une entrée et donc, dès le portail, les gens sont étiquetés lépreux, ce qui est injuste. Pour protéger les malades, il fallait attirer tout le monde et pas seulement des lépreux, d’où l’idée des soins de beauté », explique Clémence. « Le service faisait peur. » Maintenant, il fait envie. « Les soins, ça a tout de suite marché ! La participation est élevée, 25 000 Fmg, car c’est un gage de qualité pour les clientes bien portantes. L’argent récolté aide à la lutte contre la maladie. Je reçois beaucoup de femmes non-lépreuses, de belles femmes des classes aisées de la ville. C’est étonnant mais elles s’intègrent parfaitement avec les malades et s’entendent très bien avec les lépreuses. Un proverbe dit « quand tu es aimée, tu es belle ». Il faut aimer les femmes malades pour qu’elles découvrent leur beauté. »

Le service de sœur Clémence traite tous les problèmes de peau car il n’y a pas de dermatologue dans la région de Tuléar. « Des gens aisés qui cachent leur lèpre pour éviter la discrimination au travail ou dans leur propre famille n’ont plus peur de venir nous voir car ils savent que l’on protège leur dignité », indique la sœur. Qui précise avec un grand sourire : « Je ne suis pas spécialiste en esthétique ! » De fait, elle donne des conseils de beauté basiques qui ont souvent à voir avec le bon sens sanitaire. « A Tuléar, il fait très chaud. Les femmes ont donc des problèmes de sudation, elles ont la peau qui brille. Elles ont aussi des taches noires et se fabriquent elles-mêmes des produits pour les faire disparaître… on leur explique que c’est dangereux ! Beaucoup de femmes ne se lavent pas le visage, on leur dit que c’est très important et on leur explique comment faire : avec un savon antiseptique, deux fois par jour. Je parle avec des spécialistes mais je fais surtout en fonction des habitudes des patientes. J’utilise des produits simples : certaines sont brûlées par les corticoïdes contenues dans les crèmes éclaircissantes, je leur applique alors de la Biaphine. Pour soigner la beauté, on utilise la bonté. Cette bonté, c’est peut-être l’esprit saint qui me l’a révélé. Ce n’est pas un effort pour moi, c’est ma vocation… J’ai toujours cette phrase dans ma tête : ‘La charité ne se limite pas car celui qui aime n’en fait jamais assez’. »

Poulets, vaches, cochons…

Le pavillon de Clémence ne reçoit donc pas que des lépreux. Les médecins de l’hôpital n’hésitent pas à lui envoyer leurs malades les plus démunis, qui ne peuvent payer leurs médicaments. « Les médicaments cardio-vasculaires coûtent très cher. Moi, je les vends à 1/10ème du prix pratiqué en pharmacie. C’est pourquoi la porte de mon service est toujours ouverte aux plus pauvres. » Le pavillon accueille une trentaine de malades par jour, toutes maladies confondues. Pour avoir les moyens de prendre en charge tout le monde, la sœur s’est tournée en 2000 vers un autre secteur d’activité : l’élevage ! « J’ai commencé avec les poules pondeuses puis je suis passée aux poulets de chair et aux cochons… »

Pour les poulets de chair, Clémence a passé un partenariat avec une société d’exportation : « Elle m’en a commandé 1 tonne par mois ! C’est trop, je ne peux fournir pour le moment que 400 à 800 kg. Les anciens lépreux masculin m’aident, ils trouvent la matière première pour la nourriture des animaux (maïs, poisson sec) que je fabrique moi-même. » Les anciens malades peuvent ainsi travailler et apprendre la recette de la nourriture, ce qui leur permettra de vendre leurs service ailleurs… L’équipe de Clémence livre aussi des poulets aux grandes surfaces et les stocke dans un congélateur à l’hôpital. « On en vend sur place aux médecins et personnels de santé. C’est totalement nouveau : avant les gens n’achetaient pas aux lépreux… » Et Clémence de poursuivre, l’œil brillant : « Je viens d’acheter deux vaches laitières ! » Le lait sera donc le prochain sujet de conversation dans le service. En plus de l’élevage, des produits de beauté et… de la maladie. Qui passerait presque au second plan.

Article original publié en 2005 sur afrik.com

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