Sénégal : le retour à l’agriculture, une solution miracle contre l’émigration clandestine ?


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Quelques jours après le rapatriement controversé depuis les îles Canaries (Espagne) de 99 jeunes Sénégalais, le ministre sénégalais de l’Agriculture a proposé le projet Reva (Retour vers l’Agriculture) qui vise à la stabilisation des populations à travers l’agriculture. Ce plan, présenté comme la solution dans la lutte contre l’émigration clandestine, devrait entrer en vigueur le 15 juin prochain.

Par Vitraulle Mboungou

Pour faire face au problème de l’émigration illégale, le Sénégal propose le projet Reva (Retour vers l’Agriculture). Le ministre de l’Agriculture Farba Senghor espère ainsi professionnaliser les métiers de l’agriculture et créer des emplois. A l’origine de ce projet, le Président de la République, Abdoulaye Wade, qui, après différentes rencontres avec les ressortissants sénégalais à l’étranger, a demandé au ministère de l’Agriculture de trouver une solution pour encourager la création d’emplois dans ce domaine. C’est ainsi qu’est né le projet « Retour des immigrés vers l’Agriculture » mais, pour voir plus large et toucher toutes les couches de la société, les jeunes et les femmes en particulier, il a été transformé en « Retour vers l’Agriculture », tout en privilégiant les émigrants, indique Macoumba Diouf, conseiller technique de Farba Senghor. L’objectif principal du ministère est de « trouver des solutions locales et durables au problème d’émigration en offrant une activité lucrative aux émigrés rapatriés de force d’Europe, aux jeunes candidats à l’émigration illégale mais aussi aux femmes », ajoute-t-il.

Le projet sera mis en pratique avec la création de pôles d’émergence agricoles dans différents départements du pays. Le ministre de l’Agriculture a d’ores et déjà commencé une série de rencontres avec les producteurs et acteurs du monde agricole pour présenter Reva. Il a laissé entendre, lors d’une visite à Saint-Louis, que les premiers pôles seront fonctionnels dès le 15 juin prochain. Chaque département devrait recevoir trois pôles, dont un de 100 hectares exclusivement réservé aux émigrés, un autre aux jeunes – dont les bénéficiaires seront sélectionnés par le ministère de la Jeunesse -, et un troisième pôle mixte ira aux associations féminines et à une certaine catégorie des ruraux. M. Senghor espère ainsi trouver un emploi à plus de 1 200 jeunes à travers le pays. Cité par le quotidien Walf Fadjiri, il considère que ce projet, qui est la première action significative de l’Etat pour faire face à l’émigration, « devrait aider à effacer l’image de milliers de nos jeunes compatriotes candidats à l’immigration qui continuent de périr sur le chemin de l’exode ». Tous les bénéficiaires du projet seront encadrés et accompagnés par des techniciens. Ils seront également soutenus financièrement par les pouvoirs publics qui vont leur fournir du matériel agricole, des semences, des intrants et un fonds de roulement remboursable après six mois. Dans la région de Saint-Louis, trois sites (Podor, Dagana et Matam) ont déjà été choisis. Il ne reste qu’à convaincre les destinataires du projet du bien-fondé de celui-ci.

Les jeunes boudent le projet Reva

Dès leur retour forcé au pays, les jeunes Sénégalais rapatriés mercredi dernier par les autorités espagnoles ont rencontré le ministre de l’Agriculture qui leur a proposé de les insérer dans le projet Reva. Mais ces derniers, en colère, l’ont rejeté en bloc. La rencontre a même failli tourner à l’émeute. Ils réclamaient la prise en charge de leur retour immédiat en Espagne ou à défaut la mort… « Barça ou Barzakh » (Barcelone ou l’au-delà) est devenu leur mot d’ordre. « L’agriculture du pays ne marche pas et le gouvernement se permet de nous proposer un retour à la terre. Au moment où l’arachide des paysans pourrit en milieu rural », a affirmé l’un des porte-parole des rapatriés. « Nous n’allons pas cultiver ! Les produits des paysans sont en brousse et n’attendent qu’à être achetés », a-t-il ajouté. La tentative du Président et de son ministre de la l’Agriculture d’inciter les jeunes à se tourner vers la terre semble vraisemblablement vouée à l’échec. Le projet ne fait pas rêver, au moment même où les rapatriés de Ceuta et Melilla, à qui l’on avait proposé la même chose, attendent toujours.

Lors du rapatriement des Sénégalais largués dans le désert marocain après avoir tenté de rallier l’Espagne en escaladant le mur en fer de Ceuta et Melilla, l’Etat avait déjà offert aux jeunes rapatriés ce projet « Retour vers l’Agriculture » comme solution miracle pour rester au pays. Il semblerait, selon la presse nationale qui s’appuie sur différents témoignages, que beaucoup attendent toujours « les tracteurs et autres machines qu’on leur avait promis sur le tarmac de l’aéroport de Dakar ». Reva constitue donc à leurs yeux un « mirage ». Ce à quoi Macoumba Diouf répond : « Le projet Reva était en état de conceptualisation au moment de l’affaire de Ceuta et Melilla, il s’est précisé seulement bien après avec cette vague de rapatriements. Nous ne pouvions pas aller plus vite que cela. Il faut laisser le temps au temps ». Pour convaincre les plus sceptiques, le gouvernement compte sur les résultats -qu’il espère positifs- des premiers pôles, dans les prochains mois. Il envisage d’encourager des rencontres avec les premiers bénéficiaires du projet. « Nous allons mettre tous les atouts de notre côté pour que ces premiers pôles marchent », souligne M. Diouf. Pour ce qui est du problème de la commercialisation des produits cultivés, il a affirmé que l’Etat a mis en place, avec l’aide de la Banque mondiale, le projet de développement des marchés agricoles au Sénégal (PDMS). Il vise à accroître les exportations des produits agricoles en améliorant leur qualité et le marketing extérieur notamment.

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