Sénégal : « L’autre option pour l’opposition, c’est le boycott total »


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La candidature du chef de l’Etat sénégalais Abdoulaye Wade a été validée par le Conseil constitutionnel il y a deux semaines. Bien que l’opposition continue de la contester, le président sortant bat le pavé depuis le 5 février,date officielle de l’ouverture de la campagne électorale. le politologue sénégalais Abdou Khadre Lô revient sur tension politique qui règne au Sénégal à quelques jours de la présidentielle. Entretien.

Abdou Khadre Lô est notamment titulaire d’un diplôme en sciences politiques à la Sorbonne. Il est directeur général du cabinet de conseil Primum Africa Consulting, spécialisé dans la stratégie et la communication.

Afrik.com : La candidature de Me Abdoulaye Wade est-elle anticonstitutionnelle ou non ?

Abdou Khadre Lô :
Au regard de l’article 27 et de l’article 104 de la Constitution, il ne pouvait en aucune façon briguer un troisième mandat. Notre texte fondateur est très clair. Abdoulaye Wade a été élu en 2000 pour un mandat de 7 ans, sous le sceau de l’ancienne Constitution qui date de 1963 et qui ne limitait pas le nombre de mandats. Abdoulaye Wade, lui-même, a décidé en 2001 de faire appliquer la nouvelle Constitution votée par référendum la même année. Et le nouveau texte stipule, en son article 27, que le Président est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Seulement, avec son mandat de sept ans, il y avait un problème. Si on appliquait à la lettre la nouvelle Constitution, il devait y avoir des élections en 2005. Mais il aurait alors été injuste d’interrompre son mandat. Pour régler cette question, l’article 104 a permis au chef d’Etat de finir son précédent mandat, donc d’organiser une nouvelle élection en 2007 au lieu de 2005. Mais l’alinéa 2 ajoute que toutes les autres dispositions de la nouvelle Constitution lui sont applicables, notamment l’article 27 qui évoque le mandat renouvelable une seule et unique fois. Le premier mandat allait de 2000 à 2007, le second de 2007 à 2012. Par conséquent, le Président Wade ne pouvait en aucune façon briguer un troisième mandat dès lors qu’il a voulu faire appliquer la nouvelle Constitution.

Afrik.com : Le Conseil constitutionnel est-il réellement indépendant ?

Abdou Khadre Lô :
Non, parce que les cinq membres sont nommés par le président de la République. Mais, au Niger par exemple, ils sont neuf au Conseil constitutionnel mais ils sont choisis par le président de la République, par l’Assemblée, par le barreau, l’université… pas uniquement par le chef de l’Etat. Sur le plan légal, Wade peut concourir une fois que le conseil s’est prononcé en sa faveur, mais sur le plan légitime, il ne peut pas le faire car ce droit lui est dénié par notre Constitution. C’est certain, il y a eu forcing de la part du président sortant.

Afrik.com : Le président Wade avait affirmé qu’il ne se représenterait pas en 2012 avant de revenir sur sa parole. Au-delà du côté légal, n’y a-t-il pas un problème d’ordre moral ?

Abdou Khadre Lô :
Quand Wade est arrivé au pouvoir, il a déclaré que Senghor est resté vingt ans au pouvoir et Abdou Diouf 19 ans et que c’est beaucoup trop. Il a affirmé que dix ans suffisaient largement pour changer un pays. Or, s’il est réélu cette année, il aura fait au total 19 ans au pouvoir, soit autant que son prédécesseur. De plus, lui-même avait affirmé avoir verrouillé la Constitution et ne plus pouvoir se représenter en 2012. Aujourd’hui, il dit : « Je l’ai dit mais je me dédis ». Moralement, c’est tout de même très gênant pour un chef d’Etat. Certains opposants ont déposé des recours arguant que le Président avait dit qu’il ne pouvait se représenter. Mais le Conseil constitutionnel considère que la parole du chef de l’Etat n’a pas de valeur juridique, ce qui est gravissime. Lors de meeting ou de conférences, le Président a nommé des ministres sur sa simple parole. C’est un argument fallacieux surtout lorsqu’un Président écrase et étouffe toutes les autres institutions. Dans la théorie, le gouvernement est responsable devant l’Assemblée et le président de la République. Dans les faits, nous avons un régime présidentialiste très fort. C’est le cas dans la plupart de nos pays où le Président est l’instance suprême. A son crédit, on peut dire que Wade a changé le pays et son bilan en matière de réalisations n’est pas mauvais. En dix ans, il y a eu beaucoup d’acquis et de nouvelles infrastructures. Au-delà de cela, la liberté d’expression et d’opinion et une réalité au Sénégal. Cependant, pour les Sénégalais, le respect de la Constitution est sacré.

Afrik.com : D’où la naissance du mouvement citoyen du 23 juin 2011 ?

Abdou Khadre Lô :
Oui, car en juin dernier Wade proposait que le président soit élu avec 25% des suffrages exprimés et non plus 50% et une voix. Et surtout, il a voulu mettre en place un ticket présidentiel. Ce qui équivaut à élire un Président et son vice-président. Cela veut dire qu’il estime ses forces à 25%. Pas plus ! Ce ticket est une façon d’introduire quelqu’un dans le sérail du pouvoir en ayant la possibilité de lui céder la place, avant même d’entrer en fonction et sans raison valable. C’est ce que disait le texte de loi. Ce qui est inacceptable au Sénégal. C’est de là qu’est né ce mouvement de refus citoyen qui regroupe aujourd’hui la société civile et l’opposition. Voir des gens converger vers l’Assemblée nationale, ce fut une première au Sénégal. Ils ont campé devant le Parlement matin et soir afin que le projet de loi soit retiré.

Afrik.com : Ce projet de loi instaurant un ticket présidentiel était-il destiné à installer son fils au pouvoir ?

Abdou Khadre Lô :
: Wade a toujours eu dans l’idée de mettre son fils Karim à la tête de l’Etat. Et c’est aussi l’interprétation qu’en ont fait beaucoup de Sénégalais. Karim Wade s’est présenté à la mairie de Dakar lors des dernières élections locales de 2009. Cela aurait dû lui servir de tremplin, mais ça n’a pas marché. Wade l’a du coup nommé super ministre avec quatre portefeuilles. Il est en charge des Infrastructures, de l’Aménagement du territoire, du Transport aérien et de l’Energie. Comme le disent les Sénégalais, il est ministre du ciel et de la terre. Lors d’une interview, Abdoulaye Wade a déclaré qu’il avait encore besoin de deux à trois ans supplémentaires pour finir ces chantiers : le nouvel aéroport, l’autoroute à péage qui sera une première dans la sous-région, le parc culturel… Il souhaiterait ensuite passer la main à la nouvelle génération. Sauf que ce n’est pas au Président sortant, qui a été élu, de choisir son successeur mais au peuple sénégalais.

Afrik.com : L’opposition propose un large éventail de candidats. Dans ces conditions, Abdoulaye Wade peut-il l’emporter à la loyale au premier tour ?

Abdou Khadre Lô :
Le plus important pour Wade, c’était la décision du Conseil constitutionnel. Maintenant, face à l’opposition, il va tout faire pour passer au premier tour. Le fait que l’opposition entérine la candidature du président sortant en poursuivant la campagne veut dire de fait qu’elle accepte de perdre dès le premier tour. Car Wade va se donner tous les moyens pour y parvenir. Il ne va pas courir le risque d’aller au second tour et voir une forte coalition se liguer contre lui. A la loyale, il n’a aucune chance de passer directement au premier tour mais il fera tout pour cela. S’il s’est donné tant de mal pour être candidat, ce n’est pas pour se voir éliminé, c’est pour gagner ! Si l’opposition veut contester une fois le vote effectué, elle se retournera vers le Conseil constitutionnel, celui-là même qui a entériné la candidature de Wade. La boucle est bouclée.

Afrik.com : Vous évoquez des éventuelles fraudes de la part du camp Wade pour passer à tout prix au premier tour. Si ce scénario prévaut le 26 février prochain, les Sénégalais vont-ils l’accepter ?

Abdou Khadre Lô :
Je ne sais pas. Le combat ultime, c’était celui contre la candidature du président sortant. Si les opposants se font battre à leur propre jeu et crient ensuite à la fraude, ce n’est pas sûr que la population les suivent à nouveau et descendent dans la rue. Le Mouvement du 23 juin s’est constitué avec des personnes venues défendre le respect de la Constitution. C’est aux politiques, qui ont maintenant rejoint ce mouvement, de bien manœuvrer pour rester conformes à cet esprit. L’autre option, maintenant que la candidature de Wade est passée, c’est le boycott total des opposants. Ils peuvent retirer leur candidature pour envoyer un signal fort à la communauté internationale. Même si, à mon avis, Wade ira tout de même aux élections !

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