Samson Ssenkeba, styliste, musicien, graffeur et engagé


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Samson Ssenkeba, dit Xenson, a atterri sur le 5è Festival international de la mode africaine comme un ovni. Le jeune styliste, graffeur et musicien ougandais appréhende la mode comme une performance artistique globale et pas seulement comme l’opportunité de présenter au public ses vêtements en « barckloth », un tissu obtenu à partir de l’écorce du mutuba. Ses créations et défilés ont tant surpris que le jury a créé un « prix spécial » rien que pour lui.

Lorsqu’en novembre dernier le jury du concours des jeunes créateurs « L’Afrique est à la mode » a annoncé la création d’un « prix spécial », quelques minutes avant de rendre son verdict, même les moustiques tournoyant autour des projecteurs ont compris à qui il était destiné. Samson Ssenkeba, dit Xenson, a traversé le 5è festival de la mode africaine (Fima) comme un ovni. Le jeune styliste ougandais, également graffeur, musicien et peintre, a étonné les festivaliers par l’originalité de ses tenues, ainsi que par sa volonté d’exprimer un message à travers elles. La collection qu’il a présenté à Niamey était totalement composée de barkcloth, un tissu obtenu à partir du mutuba, un arbre dont l’écorce est découpée sur une centaine de centimètres, rendue flexible puis traitée pour lui donner une teinte marron orangée.

« Je vois aujourd’hui une renaissance, une redécouverte de nos produits africains, que même Christian Lacroix ou Jean-Paul Gaultier ont utilisé dans leurs créations. La question est maintenant de savoir comment exploiter ces produits de notre histoire de façon moderne ? », s’interroge Samson, également auteur d’une ligne de « streetwear ». Cette question, toute la jeune génération de stylistes retenue au Fima a cherché à y répondre. Le Nigérien Sambo style en occidentalisant des vêtements en pagne, le Rwandais Bill Ruterana en alliant raphia et produits naturel à des matériaux de récupération, ou encore le Camerounais Anggy Haïf en utilisant des calebasses et autres cordes, à l’état brut, pour des tenues d’une extraordinaire modernité.

Faire défiler l’oppression

« A l’origine, le barkcloth était utilisé uniquement dans le palais royal, pour la confection du kusumika, la tenue des hommes, et du ssuka, celle des femmes, raconte Xenson. Mais lorsque le roi a vu que les gens s’habillaient avec des peaux de bêtes, il a accepté de les laisser porter des vêtements en barkcloth. C’est alors devenu un produit d’utilisation quotidienne qui servait même de linceul, jusqu’à l’arrivée des colons et des missionnaires chrétiens. Aujourd’hui, je l’utilise en y écrivant des poèmes, en y gravant de belles histoires, à partir de sa propre histoire, ou en y taguant des graffitis. »

De la même façon qu’il utilise une toile ou un mur, Xenson profite de la scène pour s’exprimer. Il a ainsi voulu symboliser l’enfermement et la privation de liberté, dans la collection présentée lors du Fima, en utilisant des branches de bambous dans la confection de ses tenues. « Les barrières peuvent protéger des animaux, mais elles peuvent également enfermer lorsque l’Armée de résistance du seigneur (groupe rebelle sanguinaire du nord de l’Ouganda, ndlr) vient perpétrer des massacres et que les gens se retrouvent bloqués dans les camps censés les protéger. Le message vaut pour n’importe quelle situation, pour un enfant avec ses parents, pour un individu avec son ami, et même pour moi, où pour les festivaliers, dans la machine du Fima. J’aimerais que les gens puissent lire cela à travers mes vêtements. »

Lorsque les dix jeunes créateurs sélectionnés pour le concours, tous plus talentueux les uns que les autres, présentent sur des rythmes endiablés leurs créations colorées, Samson Ssenkeba choisit, lui, une musique reposante pour faire défiler ses modèles, qui s’avancent lentement, presque flottants sur la scène, le visage fermé. Les trois jeunes filles qui apparaissent derrière le rideau sont enrubannées dans un seul et même vêtement, fait d’une pièce rectangulaire de barckloth, l’une ne pouvant avancer sans forcer l’autre à la suivre. Conscientes de leur sort, elles marchent sur le même rythme et empruntent le même parcours. Ce jeune homme est entravé dans sa marche par des branches de plus de deux mètres qui lui sortent du dos, alors que la vue du mannequin suivant coupe la respiration. Son buste est complètement enroulé dans un tissu, les bras compris. Nul doute que les festivaliers ont reçu le message.

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