Rwanda : la main de fer de Kagame


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A l’approche de la date des élections présidentielles au Rwanda, le 9 août prochain, le Président sortant Paul Kagame semble donner des signaux inquiétants concernant le respect du processus démocratique. Dans cette contribution que nous vous proposons aujourd’hui, Eleneus Akanga, rédacteur du Weekly Post rwandais, analyse de manière minutieuse des faits (suspension et interdiction de certains journaux, arrestations d’opposants, etc.) qui traduisent les tendances despotiques de Kagame. L’auteur interpelle la communauté africaine et internationale sur les dangers que présente la centralisation du pouvoir par le président sortant, ce qui menace non seulement l’avenir de la démocratie, mais également la paix dans ce pays surtout lorsque l’on connaît les drames du génocide rwandais.

Il a été salué par l’Occident comme un leader exceptionnel et a accumulé des témoignages de fans du monde entier pour ses politiques économiques et la remise de son pays sur les rails après le terrible génocide de 1994. Mais alors que le Rwanda se prépare pour sa deuxième élection présidentielle depuis le génocide, l’ancien héros, le Président Paul Kagame semble se transformer en un dictateur permanent, soutenu par une aide extérieure massive : jeudi 24 juin 2010 il s’est inscrit comme candidat, sans opposition crédible pour le scrutin du 9 août, lors d’une semaine où deux de ses opposants ont rencontré des assassins.

Le secrétaire d’État adjoint aux affaires africaines des Etats-Unis, Johnnie Carson a dit devant le Congrès américain en mai que le Rwanda récemment « a suspendu deux journaux, a révoqué le permis de travail et a refusé le visa d’un chercheur de Human Rights Watch, et arrêté (et par la suite libéré sous caution) la leader d’opposition, Victoire Ingabire, qui a été liée à la FDLR [l’armée rebelle hutu]. Malgré plusieurs tentatives, deux partis politiques – le Parti Vert et de l’UPF Inkingi – n’ont toujours pas été en mesure de s’inscrire. »

Victoire Ingabire, aspirante politicienne n’est pas une « leader d’opposition », mais elle semble être une nouvelle victime de la conception très spéciale de Kagame de la paix civile : pas d’obstacle au milliard de dollars ou presque d’aide étrangère reçus chaque année, qui constituent un cinquième de la totalité des revenus du pays. Et un quart de la totalité de cette aide va directement à l’État. Les largesses des États-Unis sont passées de 50 millions de dollars en 2004 à 117 en 2008.

Le 19 juin c’est le lieutenant-général rwandais Kayumba Nyamwasa qui a été blessé par un tireur isolé à Johannesburg, lors ce que sa femme n’a pas tardé à qualifier de « tentative d’assassinat de mon mari par Kagame. » Le mois dernier, l’ex-chef d’état-major, encore récemment ambassadeur en Inde, a fui vers l’Afrique du Sud. Il avait qualifié Kagame de dictateur ne rendant pas de comptes, ce qui lui a valu d’être accusé de corruption par le gouvernement de Kigali et d’être lié aux attentats à la grenade qui ont secoué la capitale il y a quelques mois.

Jeudi 24 juin, c’est le journaliste Jean Léonard Rugambage qui a été tué au Rwanda. Le rédacteur en chef de son journal Umuvugizi, en exil, Jean Bosco Gasasira, a déclaré à la Voix de l’Amérique que Rugambage avait enquêté sur l’attaque de Nyamwasa, ajoutant: « Je suis à 100% sûr que c’était le bureau des services de sécurité nationale qui l’a abattu. »

Le Rwanda de plus en plus intolérant

Avec les élections présidentielles prévues pour le 9 août, le Rwanda est devenu de plus en plus intolérant à l’égard de la critique, emprisonnant et condamnant les politiciens d’opposition en usant de la loi vague sur « l’idéologie du génocide », en insistant qu’il est nécessaire de prévenir une répétition de 1994, quand environ 800 000 Tutsis, et certains Hutus modérés, ont été massacrés en l’espace de 100 jours.

Plus tôt le mois dernier, Victoire Umuhoza Ingabire, une Hutu et nouvelle venue en politique, revenue des Pays-Bas pour candidater au scrutin du mois d’août, a été arrêtée en vertu de la loi sur l’idéologie du génocide, accusée de « divisionnisme » et de travailler avec les ennemis de l’Etat, c’est-à-dire les restes de l’armée hutu appelé la Force Démocratique pour la Libération du Rwanda (FDLR). Elle n’a pas encore été inculpée, mais sa vie politique a été laissée en plein désarroi. Avec une semaine pour s’inscrire en tant que candidate à la présidentielle, son parti FDU-Inkingi n’est pas encore inscrit.

Un autre aspirant politicien, Frank Habineza, ancien staff du gouvernement, s’est également vu également refuser l’inscription de son Parti vert démocratique du Rwanda. L’État affirme que son parti sera inscrit dès qu’il remplira les conditions de ce qui est requis par la loi, soit d’avoir tenu plus de quatre assemblées générales des membres du parti. La vérité est très difficile à déterminer.

Après un long refus de s’engager, le Président Kagame est devenu le jeudi 24 Juin la première personne à enregistrer sa candidature, avec deux autres appartenant à de petits partis étroitement liés au sien. Ironie du sort, le même jour, la police a réprimé fortement un groupe de plus de 500 partisans de l’opposition qui manifestaient pacifiquement contre les restrictions imposées aux partis d’opposition – et exigeant la libération inconditionnelle de Mme Ingabire, afin qu’elle puisse faire sa campagne. Habineza a été arrêté le même jour alors qu’il manifestait devant l’ambassade des États-Unis. L’inscription pour les candidats sera clôturée le 2 Juillet.

Aujourd’hui, la nation n’est pas menacée par un autre génocide, mais par les effets secondaires de celui qu’elle a subi il y a 16 ans. En essayant de maintenir un contrôle strict, Kagame a centralisé le pouvoir entre les mains de la présidence au lieu d’impliquer plus de Rwandais dans le processus politique. Comme M. Carson l’a dit au Congrès: « La meilleure façon de promouvoir la stabilité à long terme, c’est la gouvernance démocratique et le respect des droits de l’homme. »

Eleneus Akanga est journaliste rwandais, rédacteur du Weekly Post désormais interdit, dont les reportages sur les attaques à l’encontre des journalistes ont été refusés par le New Times, un journal pro-gouvernemental. M. Akanga bénéficie de l’asile politique au Royaume-Uni. Une Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org

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