RDC : devoir d’élu


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Donner son suffrage est loin d’être un cadeau dans une démocratie. Il suppose pour l’élu qui en bénéficie des devoirs envers ses administrés. Cette totologie, semble-t-il, ne va pas toujours de soi. Dans le Kasaï Oriental, le Centre d’études et de formation populaires pour les droits de
l’Homme (Cefop) tente d’introduire cette pratique démocratique dans les mœurs politiques de la province en favorisant le dialogue entre les élus et leurs députes.

Exercer sa liberté d’expression quand il s’agit de dialoguer avec ses élus qui ne l’entendent pas de cette oreille. Une Gageure ? Dans le Kasaï Oriental, les paris sont pris depuis janvier 2008 grâce à un projet mis en place par le Centre d’études et de formation populaires pour les droits de l’Homme (Cefop). L’ONG, qui milite pour les droits de l’Homme depuis 1994 et opère de la capitale de la province, Mbujimayi, a lancé sa nouvelle activité deux ans après les élections historiques de 2006. La République Démocratique du Congo n’avait pas connu jusqu’alors de véritable scrutin présidentiel et législatif depuis son indépendance en 1960 et son histoire récente était marquée de longues années de guerre civile. Le Programme de concertation des organisations de la société civile et des députés ( les membres de
l’Assemblée provinciale, nationale et du Sénat de la Province du Kasaï
Oriental) a été initiée sur la base d’un constat. « Nous n’étions plus habitués aux élections et la communication était difficile entre l’élite politique, comparable à une bourgeoisie, et la base. Les élus ne se sentaient pas redevables envers leurs électeurs. Nous avons donc décidé de mettre en place une plate-forme de concertation entre élus et électeurs », explique Emmanuel Kabengenle Kalondji, le directeur du Cefop depuis 2007. Et les premières impressions sur les élus locaux ne sont pas flatteuses.

Dans le cadre de ce projet, une étude intitulée « Principales préoccupations de la population de la province du Kasaï Oriental » a été menée de juillet à septembre 2008 et présentée en octobre de la même année. Droits civiques, sociaux et économiques sont passés en revue dans une enquête dont les résultats ont été présentés aux députés provinciaux et nationaux. « Il est ressorti de cette enquête que les élus ne s’acquittaient pas de leurs tâches comme ils devraient, selon leurs administrés. Au moment de la publication de l’enquête, les débats ont été houleux ». Les députés pensent alors qu’on veut les « charger ». « Certains députés ont compris notre démarche, et sont même devenus des alliés, mais d’autres restent convaincus que notre action s’apparente à un jury populaire ». Une crainte qui explique la désaffection d’une grande majorité des représentants du peuple. Le Kasaï Oriental compte 66 députés provinciaux et une quarantaine au niveau national pour une population de plus de10 millions d’habitants. Seuls une vingtaine d’entre eux échangent avec une cinquantaine d’associations lors de rencontres dites « de dialogue social » qui se tiennent chaque trimestre dans le cadre du programme de concertation.

Frilosité des élus contre droit de regard des électeurs

Le dialogue entre administrés et élus n’est peut-être pas du goût de tous, mais il fait ses preuves. « Le projet a permis de renforcer l’agir politique de la base. Les politiques pensaient qu’après les élections ils pourraient faire comme bon leur semble. Notre action leur rappelle que nous pouvons exercer un droit de surveillance sur nos élus. » Se sachant surveillés, les politiques se surveillent également. Une commission de contrôle parlementaire a été installée. « Après la parution de notre enquête, des maires, des bourgmestres ont été limogés. Ces derniers sont nommés en attendant les prochaines élections actuelles. Ce qui permet une telle sanction ». L’étude a également donnée lieu à la naissance d’un groupe de travail qui planche sur des projets de lois en matière de droits civiques à soumettre.

Un projet estampillé Harubuntu 2009

L’édition 2009 du concours Harubuntu des porteurs d’espoir et créateurs de richesse africains connaîtra son épilogue le 20 décembre prochain à Marrakech, au Maroc, en marge de la 5e édition des Journées panafricaines des collectivités locales, Africités. Afrik.com vous propose tout au long de cette semaine de faire connaissance avec les lauréats qui ont retenu l’attention du jury cette année.

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L’apprentissage de la démocratie dans le Kasaï Oriental se fait dans un climat qui n’est pas des plus propices. S’il y a eu des avancées en matière de droits de l’homme, les reculs paraissent tout aussi importants, selon Emmanuel Kabengele Kalondji. « La liberté d’expression est étouffée. Les médias sont verrouillés par des manoeuvres simples : on les prive par exemple de leurs animateurs vedette. Quand nous enquêtons, nous nous rendons compte qu’on veut tout simplement les empêcher d’exercer leur esprit critique quand il s’agit du gouvernement de la province ». En outre, plus qu’auparavant, la préservation des droits socio-économiques et culturels préoccupe tout autant que celle des droits civiques. L’accès au travail s’est particulièrement dégradé dans la province à cause des difficultés de la Société minière de Bakwanga (Miba). « Détenue à 80% par l’Etat, la société minière, qui exploitait et commercialisait le diamant, est en cessation de paiement depuis deux ans. Plus de 6 000 salariés se retrouvent sans ressources depuis 24 mois. »

Malheureusement, défendre les droits de l’Homme dans le Kasaï, comme cela l’est bien trop souvent ailleurs aussi, est une entreprise risquée. Emmanuel Kabengele Kalondji et ses collaborateurs font régulièrement les frais de leur engagement. Récemment, ce sont leurs locaux qui ont été attaqués. « La sentinelle a été torturée par les malfaiteurs qui souhaitaient connaître nos adresses personnelles », se souvient le directeur du Cefop. Beaucoup de frayeur certes, mais pas assez pour renoncer. D’autant plus qu’une petite révolution est en marche dans le Kasaï : celle où élu doit apprendre à rimer avec électeur.

 Visiter le site du Cefop

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