Qui a tué à Bentalha ? Les quatre vérités de Yous


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Pour l’auteur du livre Qui a tué à Bentalha ?, Nasroulah Yous, le massacre de Bentalha qui a fait 417 victimes, est l’oeuvre des militaires algériens. La hiérarchie militaire aurait programmé le massacre et encadré les assaillants. Explications rationnelles pour un crime incompréhensible. Témoignage troublant.

Nasroulah Yous est un survivant de la plus grande tuerie de la  » deuxième guerre d’Algérie  » : le massacre de Benthala, banlieue éloignée d’Alger, survenu dans la nuit du 22 septembre 1997. Réfugié en France depuis deux ans, il a co-écrit avec la journaliste algérienne, Salima Mellah, un livre mettant en cause les militaires.

Afrik.com : Première question brutale : qui a tué à Bentalha ?

Nasroulah Yous : Je vous répondrai simplement que les assaillants étaient encadrés par les militaires. Le sale boulot était fait par les groupes armés mais l’encadrement était militaire. Tout le monde sait que les groupes armés étaient noyautés par les services secrets algériens.

Afrik.com : Assaillants, groupes armés, …vous avez un vocabulaire prudent. Qui sont ces gens-là ?

N.Y : Je ne témoigne que sur ce que j’ai vu. Ce jour-là, le 22 septembre 1997, les assassins étaient peut-être islamistes mais les donneurs d’ordre étaient des militaires. C’est un plan préparé par l’armée. Comment expliquer que les ambulances soient présentes avant le drame ? Comment expliquer la présence des blindés de l’armée à moins d’un kilomètre des lieux du massacre ? Pourquoi les militaires ont empêché la population des villes et villages avoisinants de nous porter secours ? Les barrages militaires refoulaient les fuyants. Ils les renvoyaient se faire massacrer ! Je n’utiliserai pas le mot terroriste à toutes les sauces. Cela ne veut plus rien dire !

Afrik.com : Votre livre est troublant. De la première à la dernière page, comme l’hélicoptère dans votre témoignage qui tourne en rond au dessus du drame, on est obsédé par la question : pourquoi ? Pourquoi décimer toute une population ?

N. Y : Je ne le sais pas moi-même. Cela me hante aussi. Certains militaires m’ont expliqué que c’est pour punir une population acquise aux islamistes. Mais, ce n’est pas vrai ! Une semaine auparavant, on avait demandé des armes aux autorités pour nous défendre contre les groupes armés. Cela nous a été refusé. Et le lendemain du drame, on nous a armé avec des fusils à pompe !

Afrik.com : Revenons à la question qui tue…

N. Y : Qui tue qui ? La question ne m’intéresse pas. Tous les criminels doivent être jugés. Tous. Islamistes et militaires.

Afrik.com : On a du mal à imaginer l’armée donner l’assaut à un village désarmé…

N.Y : Et moi, donc ! Mais les survivants de cette nuit-là peuvent témoigner des fausses barbes que portaient les assaillants, des seringues et de drogue trouvées le lendemain dans les rues de Bentalha. Ils peuvent aussi raconter cet hélicoptère qui tournait au dessus de nos têtes pendant qu’on nous égorgeait. Jusqu’à preuve du contraire, les islamistes ne possèdent pas encore d’aviation ! La presse, le lendemain, s’est contentée da parler de  » groupes islamiste armés  » ! Les journalistes nous ont fait aussi mal que les assaillants.

Afrik.com : Justement, vous n’êtes pas tendre avec vos compatriotes journalistes.

N.Y : Je n’attends rien d’eux. Je pense, de par leur position, qu’ils se rendent complices du pouvoir militaire.

Afrik.com : Vous êtes excessif…

N.Y : Peut-être. Quand je vois un policier tuer quelqu’un d’innocent, devant moi, et de retrouver le nom de la victime dans les journaux présenté comme un terroriste, je dis que c’est criminel. Je ne crois pas à la liberté de la presse en Algérie. C’est un leurre.

Afrik.com : Votre attitude explique peut-être la campagne médiatique contre vous.

N. Y : Cela ne me concerne pas. Je demande à ces journalistes de faire une contre-enquête sur les évènements de Bentalha. On verra, s’ils sont honnêtes, s’ils n’arriveront pas aux mêmes conclusions.

Afrik.com : On vous taxe d’islamiste, de cacher votre appartenance politique. Quel est votre parti ?

N.Y : C’est ridicule de croire que je suis un islamiste. Je suis un adversaire irréductible de l’islamisme. J’étais militant au FFS, Front des forces socialistes. Aujourd’hui, je suis sans parti. Je suis contre l’amnistie. Je veux que tous les criminels de guerre soient jugés. Je ne suis pas un homme politique.

Afrik.com : Pourtant votre livre est éminemment politique !

N.Y : Non, il est éminemment thérapeutique. J’ai failli perdre la raison. J’en veux aux gens qui ont failli rendre fou mon fils. En plein Paris, à midi, il voyait des extraterrestres partout. Moi-même, j’ai subi deux ans de traitement psychiatrique à Paris. Je veux savoir pour guérir.

Afrik.com : Quel est votre statut en France ?

N. Y : Je suis réfugié politique. En arrivant avec ma famille, je n’avais aucun sou. Je bossais épisodiquement comme maçon pour un salaire de 200 francs par jour.

Afrik.com : Envisagez-vous de repartir en Algérie ?

N.Y : Dès que les conditions de sécurité sont réunies. Pour l’instant, il est hors de question. Nous avons reçu des appels de menace, ici à Paris. Les interlocuteurs ont fait comprendre à ma femme que je suis un homme mort.

Commander le livre : « Qui a tué à Benthala ». Editions La Découverte. 120 FF.

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