Philippe Hugon : « L’intervention militaire au Mali n’est pas la solution »


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Philippe Hugon
Philippe Hugon

Le Mali s’enfonce dans la crise. Le Nord du pays est contrôlé par les rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad et le groupe islamiste Ançar Dine. Philippe Hugon, chercheur à l’Iris, explique les enjeux de cette situation pour le pays et ses Etats voisins.

Afrik.com : Le Mali est désormais coupé en deux. Quels sont les conséquences de cette situation inédite pour le pays ?

Philippe Hugon : La situation du Mali est extrêmement grave. Elle peut évoluer très rapidement pour le pays et ses voisins. Touts les Etats d’Afrique de l’ouest et la communauté internationale ont condamné le putsch. Le Nord est aujourd’hui contrôlé par les Touaregs et Ançar Dine mais on ne sait pas ce qui va se passer pour le Sud du pays. Ançar Dine, qui souhaite instaurer la charia dans tout le Mali, a des liens avec Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). La situation est d’autant plus grave que Tombouctou, qui est une ville symbolique, on peut même dire la Mecque du Sahara, est tombée désormais entre les mains d’Ançar Dine. Cette crise est une opportunité extraordinaire pour Aqmi qui est logé dans le Nord du Mali, dans des grottes, pour ne pas être repéré. Bien évidemment, les membres d’Aqmi ne descendront jamais dans le Sud du Mali car ils risquent d’être démasqués.

Afrik.com : Les rebelles pourront-t-il s’emparer de Bamako ?

Philippe Hugon : Non je ne pense pas. D’abord je ne vois pas pour quelles raison les Touaregs iraient jusqu’à Bamako. D’autant plus qu’ils n’en ont pas la possibilité ni les moyens bien qu’ils possèdent du matériel militaire très sophistiqué. En revanche, Ançar Dine pourrait envisager une progression vers Bamako. Même si le groupe n’a pour le moment pas les moyens militaires pour réussir à le faire, il peut néanmoins recruter des milices pour agrandir ses rangs. Aujourd’hui, vous avez dans ces territoires des jeunes qui sont sans perspectives d’avenir ni d’emplois. Il suffit juste de leur tendre la main pour qu’ils acceptent de s’enrôler à vos côtés. C’est ce type de cas de figure qui peut se révéler dangereux pour Bamako. D’autant plus que l’armée malienne est très affaiblie. Elle est dans la débandade et aurait beaucoup de difficultés à résister aux rebelles.

Afrik.com : Quels sont les liens entre les Touaregs du MNLA et Ançar Dine ?

Philippe Hugon : Les Touaregs et Ançar Dine n’ont pas de liens idéologiques. Un risque d’affrontements entre les deux groupes qui contrôlent le Nord est d’ailleurs tout à fait envisageable. Ançar Dine cherche à instaurer l’intégrisme religieux dans le pays. Les Touaregs revendique l’autonomie de l’Azawad dans le territoire malien. Il y a des connivences entre les deux groupes, notamment sur le plan militaire, qui mènent des actions communes pour gagner du temps. La meilleure solution actuellement pour le Mali est la formation d’un gouvernement légitime le plus rapidement possible. Il faut un retour de l’ordre constitutionnel.

Afrik.com : Est-ce qu’une intervention militaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) est indispensable pour sortir le pays de la crise ?

Philippe Hugon : Une action militaire de la Cédéao n’est pas possible ni souhaitable. La Cédéao n’a jamais montré son efficacité sauf une fois dans le cas du Liberia. Elle a 2 000 hommes et il lui faudra au moins un mois pour préparer l’offensive. D’ici là, il sera déjà trop tard. L’intervention militaire n’est pas la solution au Mali. Il faudrait entamer des négociations après la mise en place d’un régime de transition légitime et désigner un médiateur au sein de la Cédéao qui puisse engager des discussions avec les Touaregs. Durant toute son histoire, le Mali a toujours eu à faire à la rébellion. A chaque fois, les tensions se sont apaisées grâce aux négociations. Aujourd’hui la situation est beaucoup plus complexe car le pays est coupé en deux. Il est vrai que lorsque Kadhafi était en vie, il facilitait le dialogue entre Bamako et les Touaregs. Son rôle en tant que médiateur a été très important. Il attisait le feu entre les deux camps puis apparaissait comme un pompier pour éteindre l’incendie. Kadhafi apportait un soutien financier considérable aux Touaregs, tout en restant proche de Bamako.

Afrik.com : La communauté internationale sera-t-elle contrainte à envoyer des militaires si les négociations n’aboutissent pas ?

Philippe Hugon : Je pense que la communauté internationale sera contrainte d’intervenir pour gérer la situation humanitaire. Il y a déjà plus de 200 000 personnes déplacées. Leur nombre va sans doute s’agrandir. Il faudra mettre en place plusieurs camps de réfugiés. L’intervention militaire ne donne jamais d’effets positifs comme en témoignent des pays comme l’Afghanistan, ou la Somalie. La France a pour sa part indiqué qu’elle n’enverrait pas d’hommes sur place. Son soutien sera uniquement matériel et logistique. Stopper la progression des rebelles dans le Sud malien pourrait être la seule raison qui pousserait la communauté internationale à intervenir militairement.

Afrik.com : Les rumeurs selon lesquelles le Président Amadou Toumani Touré aurait provoqué cette crise pour se maintenir au pouvoir sont-t-elles fondées selon vous ?

Philippe Hugon : Je ne crois pas du tout à ces rumeurs. Amadou Toumani Touré a été très laxiste et a fait preuve d’une grande faiblesse notamment vis-à-vis d’Aqmi. Il était dans une logique de départ et n’a pas fait preuve d’une grande efficacité. Tout le monde savait qu’après la chute de Kadhafi, les Touaregs, qui étaient ses anciens mercenaires, allaient rentrer dans leur pays d’origine. Et pas seulement au Mali, mais aussi au Niger et en Mauritanie. Au départ, l’objectif pour ces états était de les intégrer dans l’armée nationale. Plus réactive que le Mali, la Mauritanie a été très dure envers les Touaregs qui sont rentrés les mettant hors d’état de nuire. Mais le Mali a laissé faire. L’armée était confrontée à de graves problèmes de corruption. Le Nord du pays n’était plus du tout contrôlé. Les militaires maliens ont déserté la région. D’ailleurs les villes de Kidal, Gao et Tombouctou, rapidement tombées aux mais des rebelles, témoignent de cette réalité.

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