Petit conte cruel


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La plume de Sembène Ousmane découvre l’envers de la société dakaroise. Derrière l’apparente solidarité qui unit les habitants d’un quartier pauvre, chacun est engagé dans une quête vitale pour l’argent. Avec Le Mandat, l’auteur appuie sur le détonateur et fait exploser toutes les hypocrisies. Ce petit chef-d’oeuvre vient de sortir en poche.

Sembène Ousmane signe Le Mandat, et ce n’est pas la chose la plus généreuse qu’il ait faite. Dans une banlieue pauvre de Dakar, où nourrir sa famille relève de l’exploit quotidien, l’arrivée d’un mandat pour Ibrahima Dieng fait l’effet d’une bombe. Ses femmes, ses voisins, sa famille,… chacun voit dans ce petit bout de papier la réponse à ses problèmes, la porte de sortie – au moins temporaire – d’une existence faite de dettes, de crédits impayés, de privations et d’humiliations. A peine la lettre parvient-elle à son destinataire que l’argent du mandat est déjà dépensé dix fois, cent fois, mille fois en imagination …

L’Odyssée de Dieng

Encore faudra-t-il que Dieng puisse le toucher. Alors que tous ses proches l’assaillent, espérant glaner quelques miettes du fameux mandat, le vieil homme s’enfonce dans un parcours administratif qui prend des allures d’Odyssée. La poste lui demande une carte d’identité. Mais pour obtenir cette carte, il lui faut de l’argent. Et de l’argent, personne n’en a. Alors, lui aussi se met en quête d’amis à qui il peut quémander les sommes qui lui manquent. Mais dès qu’un billet tombe dans sa main, un oncle, un mendiant, une cousine lointaine, sont toujours là pour le solliciter. Et il donne. Et doit à nouveau trouver de l’argent. Et redonne. Et redemande. Comme tout le monde. Le temps presse pourtant : au bout de 15 jours, le mandat ne sera plus valide. La tension monte aussi. L’argent virtuel de Dieng attire de plus en plus de convoitises.

Petit conte cruel et drôle que ce Mandat. A travers les errances de Dieng, c’est tout un pan de la société dakaroise que l’auteur dissèque. Sa plume se fait scalpel, et montre à vif les liens serrés de solidarité dans lesquels s’emmêlent les individus, les petits mensonges et les mesquineries quotidiennes qui permettent à chacun de se débrouiller avec la misère. Sembène Ousmane signe Le Mandat, et tous les Dakarois payent la note. Ils ne sont pas les seuls coupables. Une sentence, radicale mais largement illustrée par cette histoire, émerge de leur mêlée :  » Malheur à celui qui a inventé l’argent « .

Sembène Ousmane, Le Mandat, Présence africaine, Paris 2002.

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