P comme Parents


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« L’Apprentissage » : P comme Parents. Un livre délicieux sur Internet, sous forme d’abécédaire, pour dire en 100 mots comment la France adopte ses enfants de migrants. « Lettres persanes » d’aujourd’hui qui seraient écrites par une enfant de migrants, petit manifeste sur la double identité culturelle des Français d’origine étrangère, l’initiative de la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a séduit Afrik.com qui a décidé de vous offrir deux mots par semaine. A savourer, en attendant la parution du livre….

De A comme Accent à Z comme Zut, en passant par H comme Hammam ou N comme nostalgie, 100 mots pour un livre : L’apprentissage ou « comment la France adopte ses enfants de migrants ». Une oeuvre que la journaliste/auteur Nadia Khouri-Dagher a choisi de publier d’abord sur Internet. Un abécédaire savoureux qu’Afrik a décidé de distiller en ligne, pour un grand rendez-vous hebdomadaire. Une autre manière d’appréhender la littérature…

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Parents

Pour Doormattee, de l’île Maurice, 30 ans de ménages en France et deux fils docteurs de l’université

On parle beaucoup aujourd’hui des enfants d’émigrants. Mais que connaît-on du vécu de ceux qui ont le plus souffert, qui ont le plus subi – et bien plus que leurs enfants – l’exclusion, le racisme, la discrimination à tout: emploi, logement, bars ou restaurants? On parle aujourd’hui de discrimination dans les boîtes de nuit branchées de Paris. Il y a 30 ans, à l’époque de ces parents, les patrons sur les chantiers les propriétaires de restos les bons pères de famille parlaient de bougnouls, de ratons, de sales arabes, et personne ne bronchait.

Dans mes interviews auprès de Maghrébins et Maghrébines de France « qui ont réussi » comme on dit, j’étais toujours frappée, dans les histoires racontées, du rôle constructif des parents. Même lorsque le père était ouvrier illettré, la mère tatouée ne parlant pas français, s’ils voulaient que leurs enfants réussissent à l’école, réussissent en France, qu’ils soient heureux en somme, ils y réussissaient. Contre leurs traditions, quand par exemple ils envoyaient les filles à l’école alors qu’au bled, elles n’y vont pas, ou la quittent à 16 ans. Ou quand la maman se prenait un emploi, alors qu’au pays là-bas les femmes ne travaillent pas. Ou encore quand le garçon était sommé d’aider à la maison, quand là-bas ça ne se fait pas.

Les vrais tampons entre la tradition et la modernité, les vrais vecteurs d’intégration, ce ne sont pas l’école l’emploi l’usine ou l’université, qui seules ne peuvent rien. Ce sont les parents, dans une famille de migrants. Qui ont un pied là-bas et un autre ici. C’est d’eux que dépend, le plus souvent, l’intégration des enfants. Et des mères spécialement, qui dans les familles de migrants gèrent le quotidien, école soins des enfants sécurité sociale administration sociabilité de quartier, tout ce par quoi une famille s’intègre en France finalement. Des études l’ont prouvé.

Le film documentaire « Mémoires d’immigrés », de Yamina Benguigui a initié un mouvement d’intérêt, de la part de leurs enfants aujourd’hui devenus adultes, pour les histoires de ces hommes et femmes dans la génération des parents. Les études sur les chibanis, ces travailleurs algériens aujourd’hui âgés, qui finissent souvent leur vie seuls, en foyers, et les études sur les pères et les mères dans l’émigration, se multiplient depuis quelques années *. La société française, et plus encore les enfants de migrants, se penchent aujourd’hui avec intérêt, avec compassion, sur toute une génération oubliée, dont personne à l’époque ne se souciait.

Je voudrais ici rendre hommage à la génération des parents, à ces millions d’hommes et de femmes qui vivaient silencieux, qui étaient simplement venus en France pour vivre bien, pour vivre mieux, pour vivre heureux, même loin de chez eux. Et qui y ont, sinon réussi pour eux, du moins, le plus souvent, réussi à rendre leurs enfants heureux.

* On trouvera l’ensemble de ces études sur les mères et les pères et leur rôle dans l’intégration des enfants de migrants, au centre de documentation de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, 4 rue René Villermé, 75011 Paris, www.histoire-immigration.fr.

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