Olivier Nyokas : « Nous avons un projet que nous aimerions développer en Afrique »


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Olivier Nyokas par Semmy Demmou
Olivier Nyokas par Semmy Demmou

Handballeur français d’origine congolaise, Olivier Nyokas s’inscrit aujourd’hui dans les plus hautes sphères de cette pratique sportive. En plus de ses mérites sportifs qui ne sont plus à prouver, l’homme de 34 ans est porteur d’une vision assez noble pour le continent africain.

Afrik.com est allé à sa rencontre et voici la substance de l’échange.

Afrik.com : Vous n’êtes plus à présenter, handballeur international français et médaillé d’or aux Jeux Olympiques d’été en 2016 et champion du monde 2017, joueur au club de N.A.T, chevalier de l’ordre du mérite. Notre but à travers cet entretien est de permettre à nos lecteurs de mieux vous découvrir.

Olivier : Très bien. D’abord, je suis ravi de vous avoir. J’aimerai juste apporter une correction. J’aurai bien aimé être médaillé d’or en 2016 à RIO, mais j’ai été que médaillé d’argent. J’ai été que médaillé d’argent, mais c’est quand même une grande fierté. Et aujourd’hui si j’ai accepté cette interview, c’est parce que j’ai très envie d’affirmer mon positionnement en Afrique. C’est l’endroit où sont nés mes parents, c’est l’endroit d’où je viens. Et cette volonté s’exprime parce que j’ai envie de redonner tout ce que j’ai connu. Je veux essayer de transmettre un peu l’expertise que j’ai pu obtenir pendant ces années, aux plus jeunes, en Afrique notamment.

À quel âge avez-vous découvert le handball ?

Contrairement à beaucoup de mes partenaires, j’ai connu ça très tardivement. J’ai rejoint mon tout premier club alors que j’avais 16 ou 17 ans. Comparativement à la plupart des autres joueurs, c’était très tard parce qu’à cet âge-là, les autres handballeurs normaux sont déjà en France dans des structures fédérales, c’est-à-dire qu’ils sont déjà dans des poules, etc. Mais, j’ai commencé un peu tardivement parce que j’étais plus préoccupé par d’autres problématiques, notamment par les études. D’ailleurs, plus jeune, je préférais jouer au basket plutôt qu’au handball. Donc, je suis arrivé tardivement, mais pour la bonne cause parce que ça s’est bien passé par la suite.

Avec un tel retard pour vous mettre à la pratique de ce sport, comment avez-vous vécu votre tout premier match ?

Oh, ça remonte à vraiment très longtemps. Mon tout premier match, je crois que c’était en 2006. En fait, il y avait une charge émotionnelle assez importante parce que j’ai commencé avec mon frère jumeau. C’est donc quelque chose d’assez particulier que j’ai vécu avec mon frère puisqu’on jouait dans la même équipe. Ça a été quelque chose de particulier, mais je n’avais pas forcément de rôle à jouer. À cette époque, j’étais un jeune joueur qui découvrait le monde et ses tunnels. Oui, l’émotion était forcément très forte.

Parlant de votre frère, comment vivez-vous votre passion commune pour le handball, aujourd’hui ?

On a la chance d’être tous les deux au plus haut niveau. Cela veut dire que c’est une chance parce que tous les deux, on est devenu champion du monde ; lui en 2015 et moi en 2017, par exemple. C’est quelque chose qui est quand même très rare. C’est une passion que nous partageons, donc j’ai toujours quelqu’un avec qui faire un débriefing, une personne avec qui échanger sur différentes situations que je connais dans mon sport. Donc ça, c’est plutôt un gros avantage.

 

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Nourrissez-vous l’espoir de pouvoir rejouer dans un futur proche un match avec votre frère ?

J’aurais bien aimé. Seulement, je ne pense pas que cela soit possible. Après, je ne sais pas, Dieu seul sait. Ce n’est pas forcément l’objectif. J’espère que je pourrai jouer contre lui un jour, mais jouer avec lui, ça sera compliqué.

Vous avez une association avec votre frère. Comment est-elle née et quel est son but ?

L’association est un peu dans un état léthargique, aujourd’hui. Nous l’avions créée lorsque nous étions plus jeunes. Nous avions 17 ans à l’époque. Le but de l’association se rapproche un peu de la volonté que nous avons aujourd’hui de retransmettre l’expérience que nous avons capitalisée depuis le début de notre carrière. Nous nous étions fixé pour but de palier l’ennui et la morosité qui avaient droit de cité dans nos villes qui ne proposaient que peu d’activités aux jeunes.

Nous avons donc créé cette association pour organiser des événements dédiés aux jeunes de la ville. Nous avons notamment mis en place un site d’événement culturel qui associe un concert de musique avec différents artistes locaux et un tournoi de basket. C’est quelque chose qui fonctionnait plutôt bien. Cela est devenu comme un événement de la ville, récurrent chaque année.

Même quand nous avons pris du recul par rapport à l’association, la ville à repris la m ain et a continué d’organiser l’événement à la même date que nous les années précédentes. Cela a pu se faire parce que vraiment nous étions ancrés dans la politique de la ville et nous avions réussi à transmettre tout cela à d’autres concitoyens. C’était vraiment une belle époque. Du coup, aujourd’hui, l’association est un peu dans un état de veille.

Vous comptez la remettre sur les rails ou avez-vous d’autres priorités ?

Oui, nous avons d’autres projets. Nous travaillons sur une autre manière directe de transmission. Cela veut dire qu’aujourd’hui, nous avons un projet que nous aimerions développer en Afrique. Nous ne ciblons pas uniquement le Congo, le pays de nos origines, mais visons l’Afrique dans son ensemble. Cela permettra aussi aux jeunes de découvrir une nouvelle pratique qui est plus simple. Nous la mettrons en avant sur le continent en invitant des personnalités du sport de sorte que cette pratique soit promue en Afrique. C’est donc un projet que nous sommes en train de mettre sur pied, qui est assez riche et nous avons vraiment hâte que le processus commence.

En parlant de l’Afrique, que pensez-vous des clubs africains actuellement,  notamment de leur dynamisme et de leur évolution ?

Le premier motif du sport, c’est l’exposition. Je trouve qu’il y a un manque d’exposition. Je suis convaincu qu’il y a des qualités qui sont même supérieures à ce que l’on peut trouver aujourd’hui en Europe, j’en suis convaincu. Et je pense que ce qui fait défaut, comme je l’ai dit, c’est l’exposition. C’est aussi sur cette problématique qu’on aimerait faire évoluer les choses.

On n’a pas l’ambition de révolutionner toute l’organisation du sport en Afrique, mais je pense qu’il y a énormément de choses à faire. Je pense qu’il y a de la qualité et il faut parvenir à canaliser tout ça, à associer un message aux différentes pratiques et à faire en sorte que ce soit vu et entendu. Comme on dit, je sais qu’il y a des choses fantastiques qui sont faites, mais malheureusement tout le monde n’a pas forcément accès à ces images pour savoir ce qui se passe actuellement. C’est donc aussi un gros chantier et une chose sur laquelle je veux avoir un gros impact, à terme.

A quel moment précis le projet va-t-il rentrer dans sa phase active ou est-ce déjà en cours de réalisation ?

Là, c’est en cours parce que le projet est né, il y a quelques mois. Actuellement, il est donc en développement auprès d’une agence qui nous permet de développer le projet. Aujourd’hui, c’est une chose qui m’attend et sur laquelle on est assez actif. Mais c’est quelque chose qu’on ne peut pas réaliser forcément que tous les deux.

Nous l’avons mis sur pied avec une équipe de personnes très compétentes. Mais maintenant, pour le lancer à l’échelle humaine et pour traverser les frontières, nous avons besoin d’aide et nous nous sommes justement associés à une agence qui est présente en Afrique et qui va nous permettre de poser notre projet. Je ne pourrai pas donner une date exacte, mais j’espère que l’été prochain (2021), on sera totalement actif dans différents pays du continent.

 

L’Afrique vous attend impatiemment alors. En revenant à vous, après vos belles performances avec le club allemand, comment avez-vous vécu votre retour définitif en France ?

L’Allemagne, ce fut une période assez importante pour moi parce que c’est le moment où je suis parvenu à me hisser dans l’équipe de France. J’ai été très performant en Allemagne dans un championnat qui est très compliqué et aussi très renouvelé. J’ai été très content et satisfait de cette période-là. C’est une culture nouvelle, cela m’a permis d’apprendre une nouvelle langue, de connaître un nouveau mode de vie. C’était extrêmement enrichissant. Donc, en plus du niveau de handball qui était très élevé, j’ai réussi à m’imposer comme l’un des meilleurs à mon poste. Cela m’a permis d’arriver en équipe de France. Il s’agit, par conséquent, d’une période assez importante pour moi et dont je suis très, très fier.

Justement, à propos des périodes importantes de votre carrière, pouvez-vous nous donner quelques moments phares ?

Il y a forcément les participations aux Jeux Olympiques butoirs, au weekends du championnat du monde. Mais après, dans ma carrière, il y a l’arrivée à N.A.T. Elle est assez marquante pour moi aussi parce que c’est un club où j’arrive en tant que garant et responsable du jeu. C’est quelque chose qui rend fier parce que j’arrive dans l’équipe avec un vrai rôle et on a pu obtenir des résultats assez concrets avec N.A.T. A la coupe de France, nous sommes arrivés jusqu’à la finale de la ligue des champions alors qu’on n’était pas du tout prédisposé à atteindre ce niveau. Je trouve que c’est une belle période également d’être venu à N.A.T.

Qu’en est-il de cette saison ?

Avec le Comité International Olympique, on est en train de connaître, malheureusement, du Covid-19, on ne jouera pas de match. La saison a été arrêtée ; donc on finit à la deuxième place du championnat, juste derrière le PSG. Mais c’est un peu dommage parce qu’on était en finale de la coupe de France, on était en demi-finale de la coupe de la Ligue, on était en position aussi pour jouer le dernier carré de la coupe d’Europe.

Malheureusement, ce sont des choses que nous ne pourrons pas aller chercher. Nous étions dans une saison, qui était presque parfaite. Seulement, avec tout ce qui s’est passé, l’environnement dans lequel on évolue actuellement et le Covid-19, on ne pourra pas donner suite à tous ces résultats.

Dans une interview accordée à Ouest France dans le cadre de la 27ème journée, vous avez évoqué le changement en ce qui concerne votre jeu. À quoi doit-on s’attendre pour la saison prochaine ?

C’est une saison particulière parce qu’on a changé d’entraîneur. C’est pour cela que nous avons mis en place de nouvelles pratiques, de nouvelles tactiques, un nouveau fonctionnement. Et aujourd’hui, quand au calme, je me plonge dans la saison à venir, je commence à dire qu’on a déjà subi un peu des changements, on a été acteurs de ces changements, on aura plus d’expérience dans ce nouveau système. Et l’ensemble de ces changements a eu un impact positif puisqu’on a fini deuxième. Nous allons les maintenir et les améliorer par conséquent et espérer faire encore mieux la saison prochaine.

 

Avec votre palmarès, quel est votre moment favori sur un terrain de jeux ? Quel est le moment que vous préférez le plus ?

Pour moi, le meilleur moment, c’est quand je gagne un match. Et lorsque j’ai été très, très bon, c’est encore mieux. Mais le véritable meilleur moment reste celui où l’arbitre siffle et que j’ai gagné le match. C’est vraiment le meilleur moment pour moi.

Quelles sont vos plus belles réussites ?

Celle dont je suis le plus fier, c’est d’avoir réussi à me hisser au plus haut niveau. Ensuite, c’est la reconnaissance de mes pairs en connaissance de la communauté pour ce que j’avais réalisé. Aller à la Coupe du monde, être décoré par le Président du pays dans lequel je vis, sans entrer dans la politique. Voilà, c’est des accomplissements comme ça qui font que je suis très fier. Aujourd’hui, je suis également en train de me former, je suis en Master 1 dans une école de commerce. C’est une chose qui n’est pas facile à côté du sport, mais je fais ce qu’il faut.

Je suis très fier parce que cela va me permettre d’utiliser des outils pour les projets que j’entreprends et que j’ai pour ambition de développer. Donc voilà, ce sont ces différents accomplissements qui font que j’avance dans ma carrière et que je sais qu’il y a encore et encore beaucoup de choses à faire.

Quelles sont vos ambitions futures pour votre carrière notamment ?

Alors mes ambitions, c’est parvenir à venir en aide à mes semblables. Cela veut dire aux joueurs en activité, aux jeunes joueurs, aux plus jeunes qui découvrent la pratique. C’est permettre une certaine évolution sociale par le sport parce que le sport, c’est une forme noble de l’école. Mais je ne parle pas seulement du sport au plus haut niveau. Le sport permet de mettre en lumière des capacités chez l’Homme.

On le voit très bien, aujourd’hui, toutes les entreprises se servent des situations du sportif pour motiver des équipes et améliorer un peu plus la productivité. Et nous-mêmes en tant que sportifs, nous ne savons pas mettre cela en avant. J’aimerai donc changer un peu ce regard du sportif sur ce qu’il sait faire parce que le sportif est pétri de qualités, de compétences dont il n’a pas forcément conscience.

Et j’estime que quelqu’un qui est arrivé au plus haut niveau, c’est parce qu’il a su mettre en place, de manière consciente ou inconsciente, un nombre incalculable de qualités, de process et de savoir-être pour arriver à ce niveau-là. Ce que j’aimerai, c’est développer un peu cette prise de conscience auprès des pratiquants du sport et divulguer aussi ce message acquis au fil de ma carrière. Voilà, c’est un rôle de consulting auprès de la société en tant qu’ex-sportif, expérimenté et compétent. C’est ce que j’aimerai faire.

Parlant de formation professionnelle, sur votre page Facebook, on voit que vous avez participé au « Café visio » de l’AJPH. Doit-on comprendre par là que vous préparez déjà votre retraite ?

Non pas du tout. Pour moi, aujourd’hui, cette implication pour la nouvelle génération, c’est d’abord un rôle de transmission. Cela veut dire transmettre quelque chose dont j’ai une expertise et que je maîtrise pour pouvoir l’apporter aux plus jeunes. Mais en fait, c’est le fait d’avoir suivi un cursus professionnel, extra-professionnel qui me permet aujourd’hui d’avoir la légitimité de m’exprimer sur ces différents sujets.

Je pense que ce sont des sujets qui ne sont pas beaucoup évoqués chez les jeunes joueurs, et même chez les gens en général. Mais, c’est pour moi très important et c’est pour cela qu’il est important de diffuser ce message. Cela n’a pas grand rapport avec une retraite. C’est juste qu’il faille préparer la suite d’une carrière professionnelle, et il faut le prendre en main le plus tôt possible.

Durant tout votre parcours parsemé de moments de gloire, quels sont vos plus grands regrets ?

Honnêtement, je suis tellement fier de tout ce que j’ai pu accomplir. Je dirai qu’en 2018, j’ai joué la finale de la ligue des champions, puis j’ai perdu. Je dirai que c’est peut-être cela, avoir la sensation de ne pas avoir tout donné, de ne pas avoir fait assez. Je dirai que cela serait ma plus grande déception. Même si c’est un bon parcours et que tout le monde ne m’attendait pas là, ça reste une forte déception.

Que direz-vous aux jeunes et aux Africains désireux de vous emboîter le pas ? Quel message leur envoyez-vous ?

Ce que je pourrai dire, c’est qu’il y a des jeunes qui ont un fort potentiel et qui ont beaucoup de talent, mais en fait ces talents sont à la recherche du travail qui va avec. Je ne vais pas dire que cela ne sert à rien. Je pense que c’est la répétition des gestes, des mouvements, etc., qui construit le sportif. Mais c’est aussi le développement des structures.

En Afrique, il y a des choses qui ne sont pas forcément bien pour la pratique du sport. Il faut songer à développer les infrastructures et structurer la formation. Mais, si je devais parler à un jeune, je dirais qu’il doit croire en ce qu’il fait déjà, croire dur comme le fer en ce qu’il est en train de faire, travailler et répéter les gestes, s’inspirer de ceux qui le font le mieux. C’est le meilleur chemin pour y parvenir.

En cette période où le Coronavirus sévit, comment vivez-vous le confinement ?

On voyage énormément en tant que sportif professionnel. Donc, moi personnellement, cela me permet de passer plus de temps avec ma famille. Forcément, cela me permet aussi d’être présent complètement pour suivre mes cours de Master, etc. Là, actuellement, j’ai un cours qui va commencer donc je ne pourrai pas rester encore très longtemps. Toutefois, c’est un peu frustrant de ne pas pouvoir faire du sport, de ne pas pouvoir faire du sport à haute dose.

Cela me demande juste de me maintenir en forme. Donc je fais un petit sport dans la maison, je vais courir de temps en temps, mais ce n’est pas très intense. En revanche, cette crise me permet d’être sur plusieurs fronts, de gérer pas mal de projets que j’avais. Les projets que j’avais à côté et pour lesquels je n’avais que peu de temps ont un petit peu accéléré.

Un mot de fin ?

Le mot de fin pour moi… J’espère que mes projets verront très prochainement le jour, que je puisse les présenter, les mettre en place et les développer auprès du jeune public africain de manière panafricaine. Cela ne sera vraiment pas sur une seule région, mais c’est quelque chose qu’on peut diffuser dans toute l’Afrique.

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