Nord-Mali : « Les jihadistes utilisent les otages comme une arme et un bouclier »


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Philippe Hugon

Les autorités maliennes, le président Dioncounda Traoré et le Premier ministre Cheikh Modibo Diarra ont officiellement demandé une résolution de l’ONU validant une intervention militaire au Nord-Mali. Des consultations « préliminaires » auront lieu ce jeudi après-midi au Conseil de sécurité des Nations Unies. L’Algérie, qui dénonce une opération « vouée à l’échec », est préoccupée par le sort de ses diplomates capturés par le Mujao en avril 2012 à Gao. Selon Philippe Hugon, chercheur à l’Iris et spécialiste du Mali, la France ne peut pas non plus être en première ligne d’une attaque armée contre les islamistes, en envoyant des troupes de combat, car les terroristes détiennent ses quatre ressortissants au Niger depuis 2010 . Interview.

Philippe Hugon
Afrik.com : Une intervention militaire au Nord-Mali est-elle la meilleure solution ?

Philippe Hugon :
C’est risqué. Mais, il faut se demander quelles sont les alternatives à une attaque armée. L’occupation du Nord-Mali par les jihadistes ne peut pas être acceptée par les pays africains, l’ONU et la communauté internationale. Car, la situation empire de jour en jour par le recrutement, le financement des armées, ainsi que par le régime de terreur imposé par les islamistes.

Afrik.com : Quel genre de risques représente une attaque armée ?

Philippe Hugon :
Un important risque pour les otages. C’est pour cela que l’Algérie est réticente à une attaque armée parce que ses diplomates sont détenus par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Ce qui explique aussi pourquoi la France ne peut pas être en première ligne, en envoyant des troupes de combat, car ces islamistes affiliés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) détiennent quatre otages français au Niger depuis 2010. Les otages représentent un bouclier, une arme, un lieu de négociations pour les jihadistes. S’ils assassinent les otages, ça créera de la division entre les différentes factions et supprimera les bases de la négociation. L’otage est utilisé comme une manière de négocier les rançons, s’ils le tuent, ils détruisent un capital.

Afrik.com : Comment le Mali peut-il reconquérir le Nord ?

Philippe Hugon :
Par le renseignement. Par de l’infiltration des 5 000 hommes armés qui occupent (depuis plus de six mois maintenant) le Nord-Mali. Deux types d’intervention sont possibles. Une soft (légère, ndlr), par le biais des drones américains afin de cibler les responsables des groupuscules terroristes, ce qui engendrera la disparition et le renversement des forces armées. Puis, réintégrer celles qui ne sont pas armées dans les structures, dans l’armée régulière par exemple. Une autre, c’est de passer par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Mais, cette organisation ouest-africaine n’est pas armée. Cette alternative s’accompagne, par ailleurs, d’un risque d’enlisement. De toute façon, s’il y a une intervention militaire, elle ne pourra pas avoir lieu avant plusieurs mois puisque l’armée malienne n’est pas non plus constituée, or il y a beaucoup de milices à combattre.

Afrik.com : Est-ce possible de négocier avec les islamistes ?

Philippe Hugon :
Oui, tout dépend avec qui. Il faut dissocier Ansar Dine, groupe de Touaregs pro-charia, le Mouvement nationale pour la libération de l’Azawad (MNLA) qui revendique une certaine autonomie, et avec le Mujao, lié à l’économie criminelle et mafieuse, qui impose à la population les règles de la terreur. Il faut résoudre les aspirations des Touaregs qui réclament l’autonomie de l’Azawad. Ainsi qu’une négociation différente entre le MNLA et les islamistes.

Afrik.com : Quel doit être le rôle de l’ONU ?

Philippe Hugon :
L’ONU a un rôle à deux niveaux : l’Assemblée générale des Nations Unies où s’est exprimé François Hollande en faveur d’une intervention militaire au Nord-Mali. Et, le Conseil de sécurité. Les pays sont majoritairement favorables pour que le conflit soit réglé. Pour valider l’intervention militaire, il faudra les 2/3 des voix de l’Assemblée générale, mais au Conseil de Sécurité, il y a un vrai risque de véto. L’influence diplomatique de l’Algérie peut pousser la Chine et la Russie de poser leur véto.

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