Murhabazi Namegabe, l’espoir des enfants soldats


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Depuis 18 ans, Murhabazi Namegabe intervient auprès des groupes armés présents dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) pour libérer les enfants soldats qu’ils ont recrutés. Son but : leur permettre de se reconstruire pour espérer un avenir meilleur. Portrait d’un des lauréats du concours Harubuntu 2012.

En swahili, son nom signifie sauveur. Coup du destin ? « Depuis que je suis dans le ventre de maman, je savais qu’un jour j’accomplirais cette mission. C’est une vocation ». Une vocation qui rythme la vie de Murhabazi Namegabe, dans la province du Sud-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

Posé. Calme. Sa voix grave est rassurante. L’homme inspire confiance au premier regard. Il fait preuve de beaucoup de sang froid. Du sang froid, il en faut, car sa mission est périlleuse. Rêver d’un avenir meilleur pour les enfants soldats n’est pas une sinécure. Ni donné à tout le monde. C’est au péril de sa vie qu’il se rend auprès des groupes armés pour négocier leur libération. Et là, une fois devant ceux qui n’ont aucun scrupule à inciter ces jeunes garçons à regagner leurs rangs, il doit faire preuve de prudence. Armés jusqu’au cou, vite irritables et suspicieux, Murhabazi Namegabe doit avant tout les convaincre du fait que les enfants sont l’avenir de leur pays. Qu’ils constituent une richesse. Qu’ils doivent être protégés plutôt qu’utilisés comme miliciens. Et qu’en les contraignant à se battre, leurs droits sont violés.

Murhabazi Namegabe n’a pas peur. Le quadragénaire né en 1964 dans une période tumultueuse de son pays dit lui-même « être un enfant de la guerre ». Son amour pour les enfants est un moteur pour ce père d’une adolescente de 14 ans. « L’éducation de mes parents m’a poussé à avoir une attention particulière pour les enfants », explique ce titulaire d’un doctorat sur la croissance et le développement de l’enfant. Un diplôme qui fort utile à son combat. Ce qui ne l’a pas empêché de quitter très vite les bancs de l’université pour se consacrer entièrement à sa cause.

L’homme qui dérange

Seulement, son discours irrite les groupes armés. Ces derniers ne sont surtout pas disposés à entendre des propos sur le droit et le respect des enfants. Et surtout, ses interlocuteurs armés ont peur d’être trahis. Alors, parfois les négociations n’aboutissent pas. Murhabazi Namegabe est régulièrement placé en détention. Il finit miraculeusement toujours par réapparaitre avec cinq, huit enfants. Non sans inquiéter les membres de son association, le Bureau pour le volontariat au service de l’enfance (BVES) qui compte 257 personnes. Ce scénario se répète inlassablement depuis 18 ans. « Notre travail est complexe et très dangereux. Nous risquons au quotidien notre vie », confie-t-il. « Nous avons conscience de ces risques, nous recevons fréquemment des menaces ». Mais peu importe, pas question pour Murhabazi Namegabe de capituler : « Nous faisons ce travail car nous devons le faire ! Nous avons une équipe très importante composée de jeunes, femmes et hommes volontaires. Tous bénévoles. Nous sommes une organisation de la société civile. Nous travaillons avec les forces armées du pays et des organisations de l’Onu pour être encore plus efficaces. Les autorités nous aident aussi à atteindre nos objectifs. Le cadre juridique légal international interdisant le recrutement des enfants soldats nous est également très utile ».

De retour en société

La situation est particulièrement tendue dans la province du Sud-Kivu. Elle est donc propice au recrutement d’enfants soldats. Ces derniers, qui ont entre 8 et 17 ans, sont parfois recrutés à peine quatre ans. Livrés à eux-mêmes, ils perdent tout repère. « La RDC a connu plusieurs années de guerre. Au fur et à mesure, on a su que des groupes armés recrutaient des enfants soldats pour différents conflits. Ces conflits perdurent et le recrutement des enfants aussi. On s’est rendus compte que la RDC a signé une convention de l’ONU des droits de l’enfant. Nous travaillons avec les autorités gouvernementales pour faire en sorte que cette convention puisse être appliquée et respectée. »

Le travail de son association ne s’arrête pas qu’à extirper les enfants des griffes de leurs recruteurs. Elle les réintègre à l’école, leur donne de meilleures perspectives professionnelles, avant de les ramener à leurs familles. Ces dernières « restent sans nouvelles des années avant de revoir leurs enfants disparus ». Une fois libérés, certains d’entre eux n’auront malheureusement même pas la chance de revoir vivants leurs parents décimés par les groupes armés. Pour ceux qui ont perdu leurs proches, « nous recherchons des familles prêtes à les adopter ».

De la prison militaire à l’université

Les enfants soldats vivent un véritable calvaire. Souffrance. Violence. Leur quotidien est rude. Au moins 88% d’entre eux sont recrutés de force, constate le « sauveur ». Seuls 10% ont été convaincus par les groupes armés de regagner leurs rangs contre une certaine somme d’argent ». Depuis 1994, grâce à l’action de Murhabazi Namegabe et son équipe, 50.000 enfants ont été libérés des mains des milices. Leur retour en société est loin d’être aisé. « Lorsque nous les récupérons, ils sont presque « sauvages ». Leur expérience avec les groupes armés est très traumatisante. Ils leur apprennent la violence, les poussent à participer à des exactions, à consommer du chanvre ». Certains enfants, bien qu’ils souffrent, se braquent et refusent de nous accompagner lorsque nous venons les libérer. « C’est sans doute la partie la plus difficile du travail. Eux aussi, il faut également réussir à les convaincre de nous suivre. Et les groupes armés ne nous facilitent pas la tâche. Ils les dissuadent de partir. Nous menons alors un travail de sensibilisation, en leur expliquant qu’ils n’ont pas d’avenir en restant avec ces milices, et leur proposons une autre voie ».

Pour l’activiste congolais, la pauvreté est la principale plaie des enfants soldats. « Nous avons lancé un programme de lutte contre la pauvreté car c’est un des facteurs à l’origine de l’établissement des groupes armés dans le pays ». Son association a également mis en place un programme éducatif dans les zones où les risques de recrutement d’enfants sont très élevées. L’objectif est de sensibiliser la population pour qu’elle reste sur ses gardes face aux différentes milices présentes dans la région.

Une action qui a fini par payer. Les recrutements dans ces zones ont été réduits de plus de 70%. Certains ex-enfants soldats ont même pu accéder à l’université et décroché leur diplôme malgré leur passé ombrageux. D’autres s’engagent au sein de leur communauté pour aider au développement. « Notre modeste travail a porté ses fruits. C’est un vrai bonheur, je les considère tous comme mes propres enfants », dit fièrement Murhabazi Namegabe. Le « sauveur », appelé aussi « papa » par des milliers d’ anciens enfants soldats, est bien leur espoir. L’espoir de briser les chaînes du cercle vicieux de la violence.

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