Miraculée du ciel


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Avion avec train d'atterrissage sorti
Avion avec train d'atterrissage sorti

Seules 21 personnes ont réchappé du crash du Boeing 727 de l’Union des transports africains, survenu le 25 décembre dernier à Cotonou (Bénin). Parmi elles, Aminata Bangoura, une hôtesse de l’air guinéenne. La miraculée de 23 ans revient sur les circonstances de l’accident qui a coûté la vie à 139 personnes.

139 morts. C’est le nombre de personnes qui ont péri, le 25 décembre dernier à Cotonou (Bénin), dans le crash d’un avion de l’UTA (Union des transports africains). Le Boeing 727, provenant de Conakry (Guinée), avait fait une première escale dans la capitale économique béninoise, avant de repartir pour Beyrouth (Liban). Peu après le décollage, l’appareil a heurté un bâtiment situé en bout de piste. Il s’est ensuite abîmé en mer avec les 160 passagers (principalement libanais) et membres d’équipage qui se trouvaient à son bord. Un accident qui, selon l’un des derniers bilans officiels, n’a laissé la vie sauve qu’à 21 personnes. Dont Aminata Bangoura, une hôtesse de l’air chef de cabine guinéenne de 23 ans. Elle est sortie dimanche de l’hôpital Ambroise Paré de Conakry, où elle était hospitalisée depuis la catastrophe. Alors que l’examen des enregistreurs de vol est encore en cours à Paris (France), elle s’exprime sur les circonstances qui ont, selon elle, causé le drame.

Afrik : Quels sentiments éprouviez-vous juste avant le décollage ?

Aminata Bangoura : J’avais un très mauvais pressentiment et j’étais vraiment très mal à l’aise. A chaque fois qu’il va m’arriver quelque chose de mal, je le sens. Et là, mon sixième sens me disait que nous n’allions pas décoller. Je m’attendais vraiment à ce qu’il se passe quelque chose. J’ai même confié cette impression à l’une de mes collègues.

Afrik : Quelles sont, selon vous, les causes de l’accident ?

Aminata Bangoura : J’ai tout de suite remarqué que les porte-bagages étaient beaucoup trop chargés. Il n’y avait pas que des bagages à main comme le prévoit la réglementation. Beaucoup avaient des paquets bien trop lourds qui auraient dû aller en soute. L’avion était vraiment très surchargé. Cela faisait deux ans que je travaillais pour l’UTA (Union des transports africains, ndlr), et c’était la première fois que cela arrivait. Il y a avait aussi un surplus de passagers. L’avion pouvait contenir 140 personnes, en plus des 10 membres d’équipages. Cette fois-ci, il y en avait dix de plus : des enfants. Je pense que cela a dû aussi jouer un rôle dans l’accident.

Afrik : Comment avez-vous réagi après cette observation ?

Aminata Bangoura : Je suis partie expliquer au commandant de bord qu’il y avait beaucoup trop de bagages dans la cabine. Il ne s’est pas déplacé pour vérifier. Mais quelques instants plus tard, je l’ai vu parler en arabe dans la cabine de pilotage. Il avait l’air inquiet. Pourtant, nous avons décollé comme prévu.

Afrik : Comment s’est passé l’accident ?

Aminata Bangoura : Les moteurs ont commencé à tourner. Nous sommes arrivés au point de décollage et nous avons quitté le sol. Je me trouvais à l’avant de l’appareil lorsque j’ai entendu un grand bruit. Je croyais que c’était le moteur qui avait lâché. Quelques instants plus tard, nous étions toujours dans l’avion, mais dans l’eau. Ceux qui étaient encore en vie étaient paniqués et criaient. Je n’ai pas eu peur parce que j’avais senti qu’un malheur allait se produire. Tout s’est passé très vite. Je dirai que deux minutes séparaient les moments du décollage et de l’accident. De l’endroit où je suis sortie de l’avion, je n’étais pas très loin du rivage. J’ai donc nagé pour regagner la terre ferme et sauver ma vie.

Afrik : Avez-vous été blessée ?

Aminata Bangoura : J’avais des plaies ouvertes à la tête, au pied gauche et aux fesses. Je m’étais également faite une entorse au pied droit. J’ai été emmenée à l’hôpital dès que j’ai regagné le rivage. Je suis restée hospitalisée du jour de l’accident à dimanche dernier. Je pense que je vais devoir rester immobilisée encore un mois.

Afrik : Qui a pris en charge vos soins ?

Aminata Bangoura : C’est la société UTA, qui a par ailleurs reconnu sa responsabilité dans l’accident.

Afrik : En voulez-vous à l’UTA pour cette catastrophe ?

Aminata Bangoura : Oui. Mais je ne sais pas encore si je vais porter plainte. Pour l’instant, la priorité est de me remettre sur pieds.

Afrik : Qu’avez-vous ressenti en apprenant que vous étiez l’une des rares survivantes ?

Aminata Bangoura : Je me suis sentie miraculée. Quand je repense à tous les gens qui sont morts, je me dis que j’ai vraiment beaucoup de chance. C’est Dieu qui m’a sauvée, j’en ai la conviction. Mais d’un autre côté, je ressens une très grande tristesse et un profond désespoir. Car j’ai perdu beaucoup d’amies avec la mort des hôtesses de l’air, qui étaient aussi guinéennes. Je les connaissais bien et je faisais énormément de choses avec elles.

Afrik : Gardez-vous des séquelles psychologiques de cet accident ?

Aminata Bangoura : Avant, je faisais de nombreux cauchemars. Mais aujourd’hui leur fréquence diminue. Le scénario reste le quasiment le même : je revois le chaos de ce jour avec les passagers et surtout les enfants.

Afrik : Envisagez-vous de reprendre le métier d’hôtesse de l’air ?

Aminata Bangoura : Je sais que, comme tout le monde, je mourrai un jour. Et je ne pense pas que ce sera dans un avion. Alors je reprendrai ce travail dès que cela sera possible.

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