Mémoires de porc-épic : hommage aux contes africains


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Alain Mabanckou, le célèbre romancier congolais, revisite les fables africaines dans son dernier ouvrage, Mémoires de porc-épic, le second volet d’une trilogie inaugurée par Verre cassée. De passage à Paris, l’écrivain qui enseigne la littérature africaine contemporaine dans l’une des plus grandes universités américaines, celle de Californie Los Angeles (UCLA), revient pour Afrik sur ce nouveau roman déjà très remarqué par les critiques. Entretien.

Après l’énorme succès de Verre cassé paru en 2005 (éditions du Seuil), Alain Mabanckou natif du Congo-Brazzaville, revient un an après avec ce nouveau roman, Mémoires de porc-épic, véritable fable philosophique qui s’inscrit dans la lignée du précédent. Le livre rapporte à travers un long monologue l’histoire insolite d’un porc-épic de 42 ans contraint de satisfaire les moindres désirs et fantasmes de son double humain, un certain Kibandi, jeune homme frustré et animé d’une folie meurtrière. L’animal réfugié au pied d’un baobab raconte à ce dernier comment, poussé par son « double nuisible » qu’il était censé accompagner jusqu’à la mort, il a été forcé de commettre une centaine de crimes. Déjà sur les premières listes des prix Renaudot et Médicis, Mémoires de porc-épic qui rend hommage à la littérature africaine, aux fables notamment, est le phénomène de la rentrée littéraire en France. Fervent défenseur de la littérature africaine, Alain Mabanckou était le président de la première édition du salon Livres d’Afrique dont la prochaine édition se tient le 28 octobre prochain à l’Unesco. Il s’est entretenu avec Afrik sur son dernier ouvrage et sa vision de la littérature congolaise et africaine.

Afrik : Beaucoup qualifient ce dernier roman Mémoire de Porc-épic de fable philosophique. Etes-vous d’accord avec cette définition ?

Alain Mabanckou : Tout a fait. C’est une fable philosophique car le roman pose la question de ce qu’il y a derrière l’existence de l’être humain, sur le sens de la vie de l’homme. Il montre également le rapport entre l’homme et l’animal.

Afrik : Pouvez-vous le résumer en quelques mots ?

Alain Mabanckou : Mémoire de porc-épic est un livre qui met l’animal face à l’homme. Pour une fois, les animaux prennent la parole pour juger le comportement des hommes.

Afrik : Pourquoi décider de donner la parole à un animal ? Et pourquoi avoir choisi un porc-épic ?

Alain Mabanckou : J’ai toujours été émerveillé par les fables de la Fontaine et les contes africains, j’ai donc voulu leur rendre hommage avec ce roman. J’ai choisi le porc-épic car c’est un animal qui a une mauvaise réputation à cause notamment de ses piquants qui lui servent d’arme. Il est souvent vu comme un animal répugnant et terrifiant. Tout cela réuni crée donc un récit qui reflète bien l’animal.

Afrik : N’avez-vous pas ressenti un peu d’appréhension, trop de pression à la sortie de ce nouveau roman, après le succès du dernier, Verre cassé ?

Alain Mabanckou : La pression est toujours présente même sans le succès. J’essaye de ne pas me focaliser dessus. Par ailleurs, je me mets toujours la pression moi-même.

Afrik : L’animal est présenté comme l’esclave de l’homme, mais en même temps comme son alter ego. Dans ce cas, pourquoi ne s’est-il pas rebellé face à la folie meurtrière de son double humain ?

Alain Mabanckou : Il ne parvient pas à se rebeller car il est écrasé par le poids de la coutume et de la tradition qui est trop lourd pour lui. Et puis en règle générale, cela prend toujours du temps pour qu’un esclave se rebelle.

Afrik : Il semblerait que ce roman suive la trace du précédent Verre cassé qui a reçu de nombreux prix. Mémoires de porc-épic serait déjà sur les premières listes des prix Renaudot et Médicis. Il connaît également un véritable succès en librairie. Il est sans aucun doute l’un des romans le plus important de cette rentrée selon plusieurs médias français. Comment expliquez-vous ce succès médiatique et populaire en France ?

Alain Mabanckou : C’est sûrement dû à l’originalité du sujet et du style. C’est également la preuve que les lecteurs restent fidèles à cette forme d’écriture. C’est un risque que j’ai pris d’écrire un autre roman peu de temps après le précédent, qui continue par ailleurs à se vendre très bien.

Afrik : Et face à un tel succès, pourquoi avoir décidé de vivre et d’enseigner aux Etats-Unis ?

Alain Mabanckou : Aux Etats-Unis, le système d’enseignement est plus ouvert qu’en France où les écrivains ne sont pas intégrés à l’enseignement. Et puis j’aime bien écrire loin de la France.

Afrik : Avez-vous le même succès outre-Atlantique ?

Alain Mabanckou : Non, mais il est prévu que Verre cassé et Mémoires de porc-épic sortent en librairie là-bas en janvier 2007, le temps de les traduire et c’est assez long.

Afrik : Vous êtes devenu en quelque sorte le porte-parole de la littérature africaine, notamment congolaise dans le monde ?

Alain Mabanckou : C’est toujours comme ça dès qu’un écrivain devient plus visible. Je suis content et fier de donner ainsi une bonne image de la culture et de la littérature congolaise, ça fait longtemps qu’on n’a pas parlé de notre culture.

Afrik : Qu’en est-il justement de la littérature congolaise à l’heure actuelle ?

Alain Mabanckou : Elle souffre d’un petit désert à cause de la guerre civile, des difficultés pour les jeunes auteurs à se faire publier sur place. Mais je reste optimiste, une nouvelle génération d’écrivains est en train de se constituer.

Afrik : Avez-vous la même reconnaissance en Afrique qu’en France ?

Alain Mabanckou : Mes romans sont commercialisés dans les grandes capitales africaines. C’est plus facile désormais qu’ils sont édités en livres de poche.

Afrik : Comment y sont-ils reçus ?

Alain Mabanckou : Au Congo, mes romans sont reçus avec fierté car je suis un compatriote. Les Africains sont des grands lecteurs en règle générale. Je pense qu’ils se retrouvent dans l’univers que je décris dans mes romans, ce qui me fait particulièrement plaisir.

Afrik : Vous étiez auparavant désigné comme « auteur francophone » et aujourd’hui, vous êtes devenu un « écrivain de langue française ». Quelle est la différence entre les deux expressions ?

Alain Mabanckou : La première ghettoïse les auteurs ainsi désignés tandis que la seconde signifie qu’on ne vous considère plus comme faisant partie d’un ghetto mais de la grande famille de la littérature française.

Afrik : Vous faites souvent référence dans vos romans au Congo, votre pays d’origine. Quelle relation entretenez-vous avec ce pays ? Y-avez-vous des projets ?

Alain Mabanckou : Mes projets concernent particulièrement la littérature, j’aide à la vulgarisation de la lecture. Cette année je suis retourné au pays pour la construction d’une bibliothèque dans le quartier de Ouenzé à Brazzaville. Je veux aider les jeunes congolais à reconquérir la lecture.

Afrik : Les débats organisés en marge des salons du livre sur l’Afrique tournent souvent autour de la politique au lieu de rester centré sur la littérature, comme si l’auteur africain se sentait toujours obligé d’avoir un discours politisé ? On vous a d’ailleurs souvent reproché de manquer à cette règle ?

Alain Mabanckou : Les mêmes personnes qui vous font ce type de reproches sont les mêmes qui vous demandent de rester à votre place lorsque vous tentez de vous impliquer politiquement. Pour ma part, je préfère agir dans le sens de mes convictions, ce qui m’intéresse avant tout autre chose c’est la littérature et non la politique. Je n’ai aucun contact avec les hommes politiques africains.

Afrik : Verre cassé et Mémoire de porc-épic font parti d’une trilogie. Sur quoi va porter le troisième volet de cette dernière ?

Alain Mabanckou : J’ai envie d’écrire une histoire sur la prostitution, un thème très récurrent en Afrique et que j’ai envie d’explorer. J’ai vécu une coexistence pacifique avec les prostituées zaïroises du quartier REX à Pointe-Noire pendant ma jeunesse. J’ai envie de leur rendre hommage en quelque sorte.

Afrik : L’année dernière vous avez été président du jury à la première édition du salon Livres d’Afrique. Qu’en est-il cette année ? Comptez-vous renouveler l’expérience en tant qu’invité par exemple ?

Alain Mabanckou : J’aimerais beaucoup être présent, malheureusement j’ai d’autres engagements ailleurs. Mais nous allons nous arranger, je vais faire tout mon possible pour honorer le public de ma présence.

Afrik : Que pensez-vous de ce type d’initiatives venant de la part des jeunes africains vivant en France ?

Alain Mabanckou : Cela me fait très plaisir, c’est la preuve que les jeunes aujourd’hui ne pensent pas qu’à faire la fête, à s’amuser.

Afrik : Que représentent pour vous ce type de manifestations en général ?

Alain Mabanckou : Elles permettent de participer à des tables rondes, de retrouver les lecteurs et pouvoir discuter ouvertement avec eux. Elles font également vivre la littérature car ils permettent aux auteurs de venir présenter leurs livres.

Mémoires de porc-épic, éditions du Seuil, août 2006.

La seconde édition de Livres d’Afrique se tient à l’UNESCO, à Paris, le samedi 28 octobre 2006.

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