Mayotte : les dessous de la visite d’Annick Girardin


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La ministre française des Outre-mer ne comptait pas se rendre à Mayotte avant les élections législatives partielles de la 1ère circonscription fixées les 18 et 25 mars 2018. Toutefois, après plus de trois semaines de grève générale et un fort emballement médiatique, Annick Girardin a dû avancer sa venue. Sa crédibilité et son poste sont manifestement dans la balance. Analyse de ce premier jour de visite à haut risque.

Mayotte est le 101ème département français depuis 2011 et ce n’est pas une réussite. Les chiffres dont nous disposons et qui sont exposés par les médias métropolitains sont plutôt révélateurs de la chienlit locale mais demeurent toutefois éloignés de la réalité. Effectivement le territoire est le moins bien renseigné de France puisque les études manquent et sont parfois contestables. Quelques exemples : les états-civils sont fréquemment incorrects, les gens ne vont pas porter plainte en raison de l’inefficacité des enquêtes, une partie de la population est clandestine et donc pas répertoriée etc.

Quoi qu’il en soit, les estimations -si incorrectes soient-elles- n’en demeurent pas moins inquiétantes : 41% des habitants sont clandestins, 84% vivent sous le seuil de pauvreté, 26% sont au chômage, plus de 50% de la population a moins de 18ans, 71% n’a aucun diplôme qualifiant…
Grosso modo, tous les voyants sont au rouge mais ce qui rend la situation insupportable pour les Mahorais est avant tout l’insécurité. Cette insécurité souvent expliquée –à tort ou à raison- comme le résultat de l’immigration massive qui touche l’île. A lui seul, le département renvoie plus de clandestins que le reste du pays et pourtant, cela ne suffit pas à arrêter les kwassa-kwassa qui partent majoritairement des Comores et laissent derrière eux de nombreux noyés.

D’autres réalités ne sont pas chiffrables, comme l’absence de transports en commun, les heures d’embouteillages pour se rendre au travail, la rareté des professionnels de santé, la présence du plus gros bidonville de France, l’absence de cantines scolaires ou encore la non-application de nombreux droits hexagonaux…

Une situation explosive et une population excédée

Face à une situation globale déplorable et au sentiment d’abandon que ressentent les Mahorais, surtout quant aux questions de sécurité et d’immigration, une contestation s’est organisée depuis le 20 février 2018. En dépit du discours officiel, les Mahorais ont boycotté les Assises des Outre-mer organisées depuis des semaines et ont décidé de s’exprimer dans la rue. Blocages, actions coups de poing, marches. Le tout sous des trombes d’eau, en pleine saison des pluies. L’île est complètement paralysée, les citoyens se ruent dans les magasins, les stations essence, ils retirent de l’argent. Le climat est celui d’un état de siège.

Pourtant et malgré les désagréments engendrés par ce mouvement, plutôt bien encadré pour le moment et sans trop de débordements, les Mahorais restent soudés et veulent être entendus par le gouvernement. Ce gouvernement si lointain qui a attendu trois semaines avant d’envoyer un ministre, peut-être sous la pression de l’opposition et d’un Laurent Wauquiez entreprenant en terre mahoraise.

Les élus de l’Association des maires ont fait appel à un bureau d’études pour établir un plan de rattrapage de 1,8 milliards d’euros. A leurs yeux, il faudrait investir 480 millions pour mettre à niveau la distribution d’eau potable et l’assainissement, 480 millions pour la construction et la rénovation des écoles, 500 millions pour le logement social, 238 millions pour les routes, 40 millions pour les équipements sportifs et culturels. Sans compter les renforts en matière de sécurité et de lutte contre l’immigration.

C’est donc une stratégie « à la guyanaise » que tentent d’établir les élus mahorais.

Parallèlement les manifestants organisés essentiellement autour du Collectif des citoyens de Mayotte et de l’Intersyndicale, demandaient la présence du ministre de l’Intérieur, du Premier ministre ou du président de la République. Pour résumer, la venue d’Annick Girardin considérée ici comme un poids léger du gouvernement, n’était pas souhaitée. Cette dernière qui, soyons clairs, joue ici son poste, a pris le moins de risques possibles pour donner l’impression de maîtriser la situation malgré quelques huées dès son arrivée dans la commune de Dzaoudzi-Labattoir.

La réalité d’une visite

Alors que pendant le week-end les Mahorais ont vu des camions de forces de l’ordre arriver de métropole et des hélicoptères tourner dans le ciel, la ministre a commencé sa tournée ce lundi matin. Il faut savoir que Mayotte n’est pas une île en réalité mais un archipel constitué de quelques îlots et surtout de deux îles : Petite-Terre et Grande-Terre. L’aéroport, la résidence du Préfet et une grande partie des forces de sécurité s’y trouvent. Cette île est bien moins peuplée, beaucoup plus quadrillée, moins touchée par les problèmes de sécurité et finalement moins intégrée à ce mouvement. L’essentiel de la contestation et des problèmes se situe en Grande-Terre. La ministre et les autorités locales ont par conséquent cherché à assurer un premier jour de visite plutôt calme et cadré.

La visite s’est donc déroulée dans des établissements scolaires où tout se passait normalement alors que la plupart des enfants de Mayotte sont restés chez eux. Annick Girardin a également discuté avec une poignée de manifestants très sympathiques qui ont fini par prendre des selfies avec elle. Une telle scène n’aurait pas pu se passer en Grande-Terre ou avec les bonnes personnes à Petite-Terre. Par ailleurs, elle a palabré (à moins de 2km de l’aéroport) avec eux assise dans l’herbe. Un ministre ferait-il cela en métropole ou est-ce une attitude réservée aux ultramarins ?

Madame la ministre a également enfilé une tenue locale, le salouva. Cette dernière a de même dialogué avec une poignée d’élus locaux assez proches de la mouvance présidentielle, pendant que la majorité des élus a boycotté la rencontre. Enfin, elle est allée un court instant sur Grande-Terre en prenant la barge, mais les manifestants étaient quasi-absents près du Comité du tourisme… Ce qui est très étonnant quand on connaît la mobilisation qu’il y a sur cette place généralement. Peut-être que les renforts des forces de l’ordre ne servaient pas qu’à sécuriser les établissements scolaires pour la rentrée.

L’opération de com’ du premier jour a peut-être rassuré la métropole mais vue d’ici, elle est perçue comme une provocation supplémentaire.

Par Oustadh Abdourahim

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