Maroc : 43% des prostituées n’utilisent pas de préservatifs


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L’organisation Panafricaine de Lutte de lutte contre le Sida au Maroc, Opals-Maroc, a dévoilé lundi les résultats d’une étude réalisée auprès de 500 prostituées marocaines. Outre les conditions misérables dans lesquelles ces femmes vivent, on y apprend qu’elles sont très peu sensibilisées au problème crucial des infections sexuellement transmissibles alors qu’elles sont les plus exposées. Le Dr Nadia Bezad, présidente déléguée de l’OPALS-Maroc revient avec Afrik.com sur le chemin qu’il reste à parcourir en matière de prévention.

Pauvreté, analphabétisme, exclusion sociale, l’étude dévoilée lundi par l’OPALS-Maroc met en lumière le visage actuel de la prostitution marocaine. Certaines révélations sont étonnantes comme la complicité occasionnelle des familles ou la surreprésentation de femmes diplômées dans la rue. L’étude menée sur 500 « travailleuses du sexe » dans sept villes du pays, Azrou, Khénifra, Béni Mellal, Meknès, Fès, Agadir et Rabat, est par ailleurs accablante sur l’ignorance des prostituées à propos des infections sexuellement transmissibles (IST). En 2007, 2,59% des prostituées marocaines étaient séropositives selon les chiffres du contrôle périodique.
Créée en 1994, l’OPALS lutte contre le Sida et les IST à travers trois volets : la prévention, l’action communautaire et la prise en charge médicale et psychosociale des personnes atteintes. L’organisation dont le siège est à Rabat, dispose de seize sections dans le pays. Sa présidente déléguée, le Dr Nadia Bezad, diplômée en santé publique et médecin spécialisée en dermatologie-vénérologie, nous explique les enjeux de l’étude de l’OPALS et ce qu’il reste à faire pour endiguer les IST dans le royaume chérifien.

Afrik.com : En quoi l’étude de l’Opals-Maroc est-elle innovante par rapport aux précédentes enquêtes et pourquoi avoir choisi la région du Moyen-Atlas?

Nadia Bezad :
C’est la première fois qu’autant de «travailleuses du sexe » sont interrogées, 500 c’est un chiffre important quand même. L’OPALS est implantée dans la région du Moyen-Atlas depuis quelques années déjà, nous voulions comprendre un peu mieux la prostitution dans cette vaste région et notre impact sur celle-ci. L’étude a montré qu’il y avait une réelle méconnaissance du Sida dans cette zone. 40% des femmes interrogées ne sont pas informées des risques qu’elles courent et 43% d’entre elles n’utilisent pas de préservatifs lors de leurs rapports.

Afrik.com : L’étude montre que les prostituées qui souhaitent se protéger doivent fournir elles-mêmes le préservatif, cela a un prix. Le coût de la protection n’est-il pas un obstacle?

Nadia Bezad :
Le coût du préservatif est en effet beaucoup trop élevé. Trois préservatifs coûtent aujourd’hui au Maroc 20 dirhams. Il faudrait baisser le prix du préservatif à 1 dirham, c’est la première nécessité si l’on veut lutter contre les IST. En dehors de l’accessibilité économique, il y a le problème de l’accessibilité physique. Il n’y a pas de distributeurs automatiques dans la rue. On peut se procurer des préservatifs dans les pharmacies mais elles ferment le soir. La prostitution se déroule principalement la nuit et il n’y a plus rien d’ouvert.

Afrik.com : Quels sont les autres freins à la prévention des IST ?

Nadia Bezad :
Il y a un problème de perception des maladies et en même temps un besoin d’informations. Nous avons eu le temps de parler avec les travailleuses du sexe lors de notre étude. Beaucoup refusent de faire un test de dépistage. Elles ont peur que leur anonymat ne soit pas respecté. Dans les petits villages, le regard des autres compte beaucoup. Elles ont besoin d’un package de services, d’un planning familial, d’un centre pour la grossesse avec des informations, etc.

Afrik.com : Qu’est-ce qui ne va pas dans la lutte nationale ou associative contre le sida ?

Nadia Bezad :
Nous devons tous revoir notre stratégie de lutte. Les IST sont vraiment un fléau au Maroc. Il y a chaque année 600 000 nouvelles infections. Il faut lutter contre le Sida mais aussi contre les autres IST qui sont malheureusement encore moins connues. Nous avons besoin d’une autocritique constructive. 80% de ces IST sont transmises par voie sexuelle et la courbe ne cesse d’augmenter.

Afrik.com : Le manque d’informations sur le Sida et les IST est-il un problème de moyens ou de volonté politique ?

Nadia Bezad :
Ce n’est pas un problème de moyens, l’argent doit être bien dépensé. Le Fonds mondial est là et il ne sert pas uniquement à la lutte contre le Sida. Il est temps de faire une pause pour voir où on en est pour mieux lutter à l’avenir.

Afrik.com : N’y-a-t-il pas un tabou dans la société marocaine qui empêche de parler du Sida et de la sexualité ?

Nadia Bezad :
Ce tabou existait mais il a été cassé. On parle du Sida aujourd’hui à la télévision marocaine, mais trop ponctuellement. On en parle au moment de la journée mondiale de lutte contre le Sida, à diverses occasions mais ce n’est toujours pas suffisant.
Il y a beaucoup d’affiches dans la rue, mais le Maroc est un pays où une grande partie de la population est analphabète et ne sait pas lire. Peu importe donc les affiches écrites en français dans les rues, elles n’ont aucun impact sur ces gens-là dans les zones rurales reculées. Elles touchent des minorités qui ont accès de toute façon à Internet et d’autres moyens d’information. Il faut des campagnes de sensibilisation plus appropriées.

Afrik.com : Les mentalités doivent-elles changer elles-aussi ?

Nadia Bezad :
Il y a un problème de mentalité, en effet, et l’étude le montre. Les séropositifs sont rejetés régulièrement socialement même par les prostitués qui peuvent pourtant être contaminées elles-mêmes. Les gens ont peur du dépistage, il y a un blocage et c’est encore une fois un problème d‘infrastructure. Le blocage vient du fait que dans des petits villages, quand quelqu’un rentre dans un centre de dépistage, tout le monde le sait. Il faudrait des centres de santé ouverts et généraux.

Afrik.com : Qu’allez-vous faire de cette étude ? Va-t-elle être présentée aux pouvoir publics marocains ?

Nadia Bezad :
Il y a déjà eu une réunion avec la presse lors de laquelle nous avons présenté les résultats de l’étude et une réunion avec les pouvoirs publics. Nous allons maintenant mettre en œuvre un plaidoyer pour le gouvernement et le ministère de la Santé. Aujourd’hui, les stratégies sont trop timides. Les programmes de la santé reproductive et de la femme doivent être accélérés. Nous discutons aussi beaucoup avec la société civile. Les stratégies de communication doivent être adaptées à la réalité marocaine et pas calquées sur les campagnes occidentales.
Il faut aussi mettre en œuvre plus de structures et j’espère que cette étude servira à les mettre en place. L’Opals a aujourd’hui 17 centres de dépistage sur le territoire marocain, d’autres associations en ont créé également mais cela reste trop peu.

Consulter :

 Opals-Maroc

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