Marie NDiaye, Afrique, identité nationale… pas cool, Raoult


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Champ lexical utilisé à l'Assemblée nationale par Eric Raoult

La liste des provocations d’Eric Raoult est plutôt longue. On peut supposer que son attaque contre l’écrivaine Marie NDiaye, lauréate du prix Goncourt, empreinte de fortes connotations, ne sera pas la dernière. Très peu évoquée, sa sortie récente sur la Tunisie et le Gabon fait pourtant grincer quelques dents. Le reste de son « palmarès » est éloquent, et ne date pas d’hier.

Eric Raoult traîne une réputation sulfureuse, façon peut-être pour lui d’exister en politique. Le député-maire UMP du Raincy (Seine-Saint-Denis) est en effet un habitué des phrases polémiques. Dernier exemple marquant, des propos aux connotations troubles soulèvent une indignation généralisée dans le milieu littéraire français, qui se mobilise pour soutenir l’auteure Marie NDiaye, prix Goncourt 2009.

Un « devoir de réserve » pour tout lauréat du Goncourt

Après une hésitation dans la semaine, Marie NDiaye maintient ses propos. La lauréate du Goncourt 2009 a déclaré mercredi au site Lesinrocks.com qu’elle « persiste » et « signe ». Elle a lancé un appel au ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, pour en finir avec cette « affaire Raoult », jugée « pour le moins grotesque ». Lequel a finalement affiché sa volonté de ne pas prendre parti.

Dans une question écrite au ministre, Eric Raoult avait auparavant fait référence à un étrange « devoir de réserve » des lauréats du prix Goncourt – nuancé jeudi sur Europe 1 en un « principe de modération ». Le prix est, pour rappel, décerné par une association indépendante de la tutelle étatique. Le député a reproché à Marie NDiaye des propos pourtant publiés en août dans Les Inrockuptibles, soit avant la remise du prix. L’écrivaine française avait jugé « monstrueuse » la France du Président Nicolas Sarkozy.

Eric Raoult insiste sur la peau de Marie NDiaye

Bien que Française, l’origine sénégalaise de son père a pris une certaine importance dans l’espace public, après qu’Eric Raoult l’a accusée de ne pas « respecter la cohésion nationale et l’image de notre pays ». L’insistance médiatique sur la couleur de peau de Marie NDiaye ainsi que sur l’immigration dans le débat sur l’« identité nationale » ont créé les conditions pour une interprétation tendancieuse de ces propos.

Le monde littéraire et la gauche politique ont massivement apporté leur soutien à l’auteure de Trois femmes puissantes. Le ministre Frédéric Mitterrand, politiquement affaibli par la polémique Polanski, n’a pas commenté, à notre connaissance, le sous-entendu potentiellement raciste des propos d’Eric Raoult. On peut supposer qu’il ne le tient pas pour autant dans son cœur. En effet, Eric Raoult a défendu le ministre de la Culture dans le cadre de la controverse sur ses pratiques de tourisme sexuel, mais en insistant sur sa marginalité sexuelle : « On sait bien que Frédéric n’a pas la même sexualité que nous », a-t-il déclaré en octobre à Libération.

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Prix de l’absurdité pour Eric Raoult

Le député fait montre dans son propos d’une maîtrise toute relative du sujet qu’il aborde, et il est maintes fois repris par son interlocuteur. L’avocat-blogueur reconnu, Maître Eolas, lui a même décerné jeudi un « prix Busiris » de l’absurdité juridique, pour son propos sur le « devoir de réserve ».

En Tunisie, le « devoir de réserve » touche aussi les journalistes

Eric Raoult n’imaginait probablement pas retrouver sur Internet la vidéo de son intervention à l’antenne de Berbère TV, le 31 octobre. Reprenant à son compte la rhétorique officielle du régime tunisien, le député UMP a décidé, pour l’audience de la chaîne, de nier l’écrasement de la liberté d’expression en Tunisie. Les tragiques événements post-électoraux lui ont sans surprise donné tort. L’élément qui a le plus retenu l’attention en Occident concerne les accusations diffamatoires d’Eric Raoult à l’égard de la journaliste du Monde Florence Beaugé, interdite de territoire lors des élections d’octobre. Le 6 novembre, Eric Raoult, président à l’Assemblée nationale du groupe d’amitié France-Tunisie, a maintenu ses déclarations, dans une interview au site du Nouvel Observateur.

Mieux, dans une question au secrétaire d’Etat à la Francophonie Alain Joyandet, publiée mardi au Journal officiel, Eric Raoult a prôné « la création d’un label Pays ami de la France », contre « les médias et certains responsables politiques » qui s’obstinent à « dénigrer » des pays comme la Tunisie et le Gabon.

Le « sang chaud » des Antillais disqualifierait leurs luttes sociales

Nommé en juillet secrétaire national de l’UMP à l’Outre-mer, Eric Raoult a plusieurs fois tenu à ce sujet des propos quelque peu malheureux. En février, le député a par exemple commis une réflexion sur le paradoxe des Antilles, où cohabitent « palmiers » et « exclusion ». Les palmiers ne protègent jusqu’à preuve du contraire que du soleil, mais il faut croire que les habitants n’en ont pas assez conscience : Eric Raoult a en effet affirmé, se conformant à un cliché, qu’« en Outre-mer on a le sang chaud ».

La banlieue, terre d’amalgame

En banlieue parisienne, Eric Raoult est depuis 1995 maire de la ville du Raincy, un îlot de richesse comparé aux villes voisines de Seine-Saint-Denis. Et le premier édile adopte un discours pour le moins connoté. « Le Raincy, c’est pas Bamako », a-t-il ainsi déclaré en 2007 à une équipe de [Canal+->], expliquant qu’il préférait payer chaque année une lourde amende plutôt que d’accueillir des « familles africaines », malgré une loi sur le logement social.

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Eric Raoult est par ailleurs rapporteur de la mission parlementaire sur la burqa, offensive communicationnelle servant depuis de base pour justifier la tenue d’un débat sur l’identité nationale. Malgré seulement 367 à 2 000 femmes porteuses de la burqa en France, Eric Raoult a déclaré à l’Assemblée nationale, en octobre, que « la place des femmes musulmanes » au sein de « la société française » était en jeu.

Champ lexical utilisé à l'Assemblée nationale par Eric RaoultA l’amalgame s’ajoute une description des « dérives » que le député « constate » : « En Seine-Saint-Denis,] vous verrez que des mères sont parfois accompagnées de fillettes de six ans vêtues d’une minuscule burqa ». Vraisemblablement s’agit-il d’une généralisation à partir d’un cas qu’André Gérin, président communiste de la commission parlementaire, a affirmé avoir constaté, comme l’a rapporté Libération en juillet…

Mais le fait d’arme principal du maire du Raincy dans sa commune remonte aux émeutes de 2005, période où se sont produites d’importantes émeutes, dans les banlieues des grandes villes françaises. Malgré l’absence de troubles dans sa ville, Eric Raoult est le premier maire à avoir décidé de la mise en place d’un couvre-feu municipal.

Mise sous tutelle de Clichy-sous-Bois

L’événement déclencheur, la mort de deux personnes dans un transformateur électrique, s’était produit à Clichy-sous-Bois, commune voisine. Dans le mensuel d’extrême droite Minute (repris par Nouvelobs.com), Eric Raoult en réclamait la « mise sous tutelle » et déclarait : « Clichy-sous-Bois fait honte à notre pays […] [car] c’est la ville de France qui reçoit le plus d’argent de l’Etat depuis une vingtaine d’années ».

Récompensé en mars 2009 par un « Y’a bon award » pour des propos jugés comme participant à la banalisation du racisme, Eric Raoult peut depuis le 12 novembre s’enorgueillir d’une nouvelle récompense, décernée par SOS Racisme : « le prix de l’anachronisme intellectuel ». Il était déjà, en 1995, considéré comme « à surveiller de près » par le politologue Olivier Duhamel et l’actuelle première secrétaire du Parti socialiste, Martine Aubry, dans leur Petit dictionnaire pour lutter contre l’extrême droite.

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