Lutte anti-acridienne en Afrique : Cette aide qui arrive à contretemps…


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L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) avait estimé les besoins nécessaires pour contenir la menace acridienne, en Afrique de l’Ouest et du Nord, à 9 millions de dollars en début d’année. Aujourd’hui, ils se sont multipliés par 10 pour atteindre les 100 millions de dollars. Entretien avec Hilde Niggemann de la FAO, qui nous explique, entre autres, les raisons de la lenteur de réaction des pays donateurs.

« La situation acridienne continue de se dégrader en Afrique de l’Ouest. Une reproduction de grande ampleur se poursuit dans une vaste région du sud de la Mauritanie, dans la zone sahélienne du Mali, dans l’ouest du Niger et dans le nord et le centre du Sénégal », pouvait-on lire dans un récent communiqué de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Dans ce combat contre le criquet pèlerin, l’adage qui dit que l’argent est « le nerf de la guerre » prend ici tout sens. Les aides attendues se font…justement toujours attendre bien que les donateurs soient maintenant plus réactifs. Les mois de septembre et d’octobre sont, pour préserver la sécurité alimentaire (éviter que les criquets ne s’attaquent aux cultures), déterminants. Pourquoi l’argent arrive si tard alors que depuis octobre 2003 la FAO ne cesse d’alerter la communauté internationale ? Quelques explications avec Hilde Niggemann, responsable de la gestion des projets concernant les opérations d’urgence relatives à la lutte anti-acridienne au sein de la Division des opérations d’urgence de la FAO.

Afrik.com : Comment expliquez-vous qu’en dépit de vos multiples alertes et appels à l’assistance internationale, la FAO ne dispose pas encore de fonds suffisants pour mener à bien la lutte anti-acridienne en Afrique de l’Ouest et notamment au Sahel ?

Hilde Niggemann :
Les fonds internationaux ne sont pas venus à temps et les besoins n’ont cessé de se multiplier pour atteindre aujourd’hui les 100 millions de dollars. La FAO dispose actuellement de 36 millions, ce qui correspond à l’aide multilatérale (fonds gérés par la FAO, ndlr), dont le déblocage de 24 millions est définitivement approuvé. Celui des 12 autres millions est en cours d’approbation. Les donateurs n’ont pas mesuré la gravité de la situation. Le danger est que ces derniers ne réagissent vraiment que lorsque la gravité de la situation est probante. Lors de notre rencontre du 30 et 31 août derniers (réunion de crise tenue au Sénégal sur la situation acridienne, ndlr), à Dakar, à laquelle plusieurs donateurs ont pris part, les criquets étaient à 20 km de la ville.

Afrik.com : Les 36 millions sont un cumul des aides perçues depuis que vous avez sollicité l’aide des donateurs…

Hilde Niggemann :
Exactement. Mais la majorité de ces fonds n’est disponible que depuis la mi-juillet. Notamment parce que le 7 de ce même mois, le Docteur Diouf, le directeur général de la FAO, a adressé personnellement une lettre aux chefs d’Etat des pays donateurs et aux différents bailleurs de fonds.

Afrik.com : Quels sont les outils mis en place par la FAO pour palier à ce décalage ?

Hilde Niggemann :
La FAO a établi, en 1994, le Programme de prévention des urgences pour les ravageurs et les maladies transfrontières des animaux et des plantes (Empres) pour diminuer le risque de développement de telles urgences. L’une des priorités de cette structure est la lutte anti-acridienne. Mais les donateurs contribuent très peu à son financement.

Afrik.com : Les donateurs préfèrent-ils passer par vous où s’adresser directement au pays ?

Hilde Niggemann :
Ces fonds ont été confiés à la FAO parce que notre organisation a les moyens de gérer de telles sommes. Nous disposons d’une division des opérations d’urgence qui a les capacités opérationnelles et techniques pour faire face à ce type de situation. Lorsque les donateurs s’adressent directement aux pays concernés, nous en sommes également heureux. Dans tous les cas, les pays concernés savent qu’ils peuvent compter sur notre soutien. Cependant, lorsque les fonds sont mis à la disposition de la FAO, nous pouvons mieux en assurer la coordination pour mener à bien les différentes opérations qui s’imposent dans ce type de crise.

Afrik.com : Qu’en est-il du traitement appliqué pour venir à bout des criquets ?

Hilde Niggemann :
Le traitement des criquets coûte cher. Les pesticides sont appliqués par des aéronefs. Une heure de pulvérisation par un avion agricole coûte 1 000 dollars. Un avion pulvérise au moins 4 heures par jour. Et ce lorsque les criquets sont au sol, souvent le matin, parce qu’ils attendent de se réchauffer. Il faut beaucoup d’heures pour traiter efficacement une zone délimitée. On utilise aussi des moyens terrestres notamment des voitures équipées de pulvérisateurs. Un pulvérisateur coûte 8 000 dollars. Les frais généraux sont également à prendre en compte. La FAO envoie, entres autres, des experts – acridologues et logisticiens, des consultants pour aider les gouvernements. Bien évidemment, les pays ont leurs propres moyens mais ces derniers demeurent insuffisants. La FAO apporte des heures de vols, assure l’approvisionnement en carburant… Les actions sont menées, dans chaque pays, par des équipes locales et en étroite collaboration avec le responsable de la protection des végétaux.

Afrik.com : Quelle est la contribution propre de la FAO dans la lutte anti-acridienne ?

Hilde Niggemann :
La FAO a mis à la disposition des pays concernés 5 millions de dollars. Ce sont des fonds que nous pouvons débloquer nous-mêmes. Ces fonds sont mis à disposition, au fur et à mesure et à la demande des pays concernés. L’Algérie et le Maroc comptent parmi les premiers à avoir sollicité la FAO dans ce sens. Les pays sahéliens ont également fait appel à ce fonds pour faire face à la menace acridienne.

Afrik.com : Quelles sont les attributions du Centre d’intervention antiacridienne d’urgence (Eclo) qui gère directement les fonds alloués à la lutte anti-acridienne ?

Hilde Niggemann :
L’Eclo, dont nous sommes partie prenante, a été réactivé le 25 août dernier par le Docteur Diouf. Il est intervenu dans les précédentes luttes anti-acridiennes. C’est une structure à l’intérieur de la FAO qui dispose de tous les moyens de notre organisation pour répondre rapidement et efficacement à toutes les sollicitations dont il peut faire l’objet. Les pays savent qu’ils peuvent trouver de l’aide auprès de lui.

Afrik.com : Vous avez bon espoir de faire débloquer les 54 autres millions restants ?

Hilde Niggemann :
Nous nous y employons et ne ménageons aucun effort dans ce sens. Il nous faut débloquer le plus rapidement possible ces 50 millions en espérant que les besoins ne vont pas s’accroître d’ici là.

Afrik.com : Comment qualifierez-vous aujourd’hui la situation acridienne ? Est-elle catastrophique ?

Hilde Niggemann :
La situation est grave mais pas catastrophique. Il faut mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour que les criquets ne s’attaquent pas aux cultures afin d’assurer la sécurité alimentaire (éviter tout risque de famine, ndlr).

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