Loi sur les effets positifs du colonialisme : « L’abrogation est la seule possibilité d’apaisement »


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Garcin Malsa

« Rôle positif » du colonialisme français défendu par la loi du 23 février 2005, stigmatisation des minorités visibles par Nicolas Sarkozy, loi Taubira… Garcin Malsa, maire indépendantiste et conseiller général de Sainte-Anne (Martinique), ne pratique pas la langue de bois. De passage à Paris, il a livré à Afrik ses sentiments sur l’actuelle fracture coloniale française.

« Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer[<*>Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit]].» L’article 4 de la [loi du 23 février 2005 a mis, aux Antilles, le feu aux poudres. Le consensus créole, et pas seulement, autour de « La loi de la honte », cristallise tout un combat autour de la mémoire, de l’identité et de l’histoire de la République. De passage à Paris, Garcin Malsa, maire et conseiller général de Sainte-Anne (Martinique) a tenu à s’exprimer sur la question et sur les dérives « racistes » du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy. L’élu indépendantiste, président du Mouvement des démocrates et des écologistes pour une Martinique souveraine (Modenas), ne mâche pas ses mots quant à la crise politico-culturelle que traverse une France qu’il considère toujours comme une nation coloniale.

Afrik.com : Pourquoi êtes-vous présent en métropole ?

Garcin Malsa :
Je suis en France à l’invitation d’associations internationales pour intervenir sur des questions liées aux différentes formes de discrimination à l’embauche, dans l’Outre-Mer et ailleurs. Mais ma venue coïncide avec un contexte particulier en France, avec les récentes déclarations du ministre de l’Intérieur et le polémique autour de l’article 4 de la loi du 3 février 2005 qui stipule qu’il faut positiver l’œuvre de la colonisation dans l’Outre Mer. Quelle horreur, aurait dit Césaire.

Afrik.com : Que reprochez-vous à Nicolas Sarkozy ?

Garcin Malsa :
Monsieur Sarkozy est un ministre assez particulier qui s’est distingué à plusieurs reprises par ses déclarations à propos des banlieues, qu’il veut nettoyer au Kärcher. Ses propos ressemblent à l’individu, et se montrent très durs à l’encontre des jeunes de banlieue qui représentent plus largement les minorités visibles. Les termes qu’il a pu employer, comme le mot « racaille », ont été pris avec beaucoup de mépris aux Antilles. Ils sont pour beaucoup le symbole d’une grande arrogance et d’une grande discrimination.

Afrik.com : Que pensez-vous de l’ajournement de sa visite aux Antilles ?

Garcin Malsa :
Le ministre de l’Intérieur de la République française Nicolas Sarkozy avait programmé une visite politique en Martinique et en Guadeloupe le 7 et le 8 décembre dernier. Mais il ne savait pas qu’il y existait des peuples aussi particuliers. Comme le disait Aimée Césaire, le peuple martiniquais est comme la montagne Pelé, il est très calme, il peut dormir pendant des siècles, mais le jour où il se réveille, il fait très très mal. Nous nous sommes organisés pour l’accueillir « gentiment ». Aux Antilles nous avons deux types d’accueils. Celui que nous réservons à des hôtes particuliers qui sont respectueux vis-à-vis de nous et un tout autre à ceux qui ne le sont pas. Monsieur Sarkozy s’est sans doute senti appartenir à cette deuxième catégorie et n’a même pas osé prendre l’avion. Il s’est en cela montré plus poltron que Monsieur Jean-Marie Le Pen qui avait osé venir le 6 décembre 1997, mais n’avait pas pu atterrir. Le Pen avait fait une autre tentative le 26 décembre 1997, mais il avait vite été réembarqué dans un avion pour une destination inconnue.

Afrik.com : Quel accueil lui aviez-vous réservé ?

Garcin Malsa :
Je ne peux pas vous dire ici. Il faut qu’il essaie de retourner pour qu’il sache…

Afrik.com : Les déclarations du ministre que vous fustigez s’adressaient, a priori, aux jeunes Français issus de l’immigration. Dans quelle mesure les Antillais se sont sentis directement visés ?

Garcin Malsa :
Lorsqu’un Antillais se déplace en France pour chercher du travail ou un logement, le Français moyen et Monsieur Sarkozy lui-même ne font pas de distinctions entre un Antillais et un Africain. Nous savons très bien qu’à partir du moment où l’on parle d’immigrés en France, il y a une sorte d’œcuménisme culturel. Donc les propos de Monsieur Sarkozy sont également en direction des Antillais. D’autre part, le ministre de l’Intérieur a fait deux autres déclarations fort dérangeantes. Il a dit que, selon les rapports des renseignements généraux, la violence des Noirs est plus forte que celle des arabes. Il continue en disant que chez les Ivoiriens, la violence est plus forte que chez les Congolais. On peut aller très loin avec ce type de raisonnement. Ces propos sont éminemment racistes. Or les Antillais, qui sortent d’un choc multiforme de l’esclavage, de la traite négrière, sont naturellement des peuples anti-racistes. Comme l’on montrés de nombreux écrivains et intellectuels antillais. Nous ne pouvons pas supporter de tels propos.

Afrik.com : Yannick Noah est la personnalité préférée des Français et détrône Zinédine Zidane, deuxième. Comment peut-on expliquer ce paradoxe à l’heure où les « minorités visibles » sont des plus en plus stigmatisées ?

Garcin Malsa :
Je ne sais pas si c’est de la schizophrénie, mais c’est une réalité du colonialisme lui-même. Césaire disait que le colonialiste ment, mais doit savoir que le colonisé sait qu’il ment. Et si le colonisé sait que le colon ment c’est que ce dernier est dans un état de faiblesse.

Afrik.com : Vous avez évoqué la loi du 23 février 2005 et son article 4 extrêmement controversé. Quel est votre sentiment quant à la polémique ?

Garcin Malsa :
La loi sur la colonisation positive est atroce car elle nous renvoie 300 ans en arrière. Alors que nous avons tout fait pour combattre les avatars et les hérésies que le colonialisme avait mis dans notre tête. Nous sommes arrivés à ce que la France, à travers la loi Taubira, voté en 2001, reconnaisse la traite négrière comme un crime contre l’humanité. Admettre aujourd’hui une loi émanant du parlement français sur le rôle positif de la colonisation, c’est balayer tout ce qui a été fait depuis des dizaines d’années. Par conséquent, nous sommes non seulement frustrés mais indignés.

Afrik.com : Vous êtes très remonté contre Monsieur Sarkozy et vous semblez le juger également responsable du vote de la fameuse loi

Garcin Malsa :
Vous pensez qu’en tant que président de l’UMP (Union pour la majorité présidentielle, ndlr) ce n’est pas lui ? Ce n’est pas parce qu’il n’a pas siégé ce jour-là qu’il n’a pas une part de responsabilité. Le député à l’instigation de cette loi est de l’UMP, et que je sache Monsieur Sarkozy n’a jamais pris le contre-pied de ce que défend cette loi. Par conséquent, il acquiesce et en porte la responsabilité.

Afrik.com : Que conviendrait-il de faire aujourd’hui quant à cette loi ?

Garcin Malsa :
La solution est dans l’abrogation immédiate de la loi. C’est la seule possibilité d’apaisement.

Afrik.com : Vous êtes un élu de la République française et vous êtes à la fois un grand indépendantiste. Vous sentez-vous français ?

Garcin Malsa :
En tant qu’indépendantiste, j’appartiens à un pays qui intègre une nation composé d’un peuple : le peuple martiniquais. Ce sont des nations naturelles et légitimes.

Afrik.com : Mais n’est ce pas paradoxal d’être indépendantiste et de cautionner une République que vous dénoncez et à laquelle vous vous sentez étranger ?

Garcin Malsa :
Les maires sont élus par les populations. Je suis un démocrate et je joue le jeu de la démocratie pour faire avancer mes idées. Il y a plusieurs façons de mener un combat et elles ne sont pas incompatibles. On peut être un maire dans sa commune et œuvrer pour la souveraineté de son peuple en cherchant à faire comprendre à travers son travail pour la municipalité qu’on est capable de gérer une ville correctement. Il faut essayer de transformer les populations soit à travers des actes symboliques soit à travers des confrontations avec le colon français. En 1994, nous avions installé à Sainte-Anne une télévision libre avec ses propres programmes, très différents de ceux qu’on nous sert en Martinique. Ce qui n’avait pas été du goût du CSA. Et les gendarmes nous ont déloger.

Afrik.com : Les départements d’Outre-Mer sont souvent oubliés des médias de la métropole. Comment prenez-vous cet état de fait ?

Garcin Malsa :
En quoi c’est choquant ? Je ne suis pas traumatisé par ça parce que je sais que nous sommes une colonie. Ce qui est important aujourd’hui c’est que nous fassions tout pour que nous ayons, en Martinique et en Guadeloupe, la possibilité de déterminer notre propre destinée.

Afrik.com : Une vaste campagne, relativement controversée de 9,3 millions d’euros, a été lancé en novembre dernier pour soutenir la banane antillaise. Quel est votre sentiment sur l’initiative ?

Garcin Malsa :
On en fait trop sur la banane. On veut nous faire croire que la Martinique c’est uniquement un département bananier. Il a été démontré aujourd’hui que la banane a fait plus de tort que de bien à la Martinique et à la Guadeloupe. Les méthodes culturales de la banane, avec les pesticides, ont engendré des dégâts au niveau du sol et de la santé. Il y a des formes de cancers qui se sont développées en Martinique qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. A travers la banane, nous avons un exemple type de ce qu’est une colonie. Qui produit la banane en Martinique ? Il faut savoir que la banane est une production qui bénéficie à une classe dominante qu’on appelle les Béké. Et ces Béké sont les descendants directs des esclavagistes. Cela veut dire que nous sommes toujours dans la lignée de ce qui a existé depuis trois siècles, à savoir que la colonie est faite par la métropole et pour la métropole.

Afrik.com : Que pensez-vous de la loi Taubira ?

Garcin Malsa :
Cette loi est le fruit d’un long travail fait au niveau des associations et des organisations politiques. C’est une loi consensuelle qui a le mérite d’exister. Dans le sens où l’esclave et la traite constituent un crime contre l’humanité. Malheureusement, on a éliminé de la loi l’extermination des Amérindiens, alors que c’est très important. Elle a le mérite d’exister car elle contient le fait que la traite négrière et l’esclavage doivent être étudiés dans les écoles. Sa faiblesse est qu’elle n’arrive pas au niveau de la réparation. C’est cet aspect qui me gène fondamentalement (M Malsa est un des membres fondateur du Mouvement international pour la réparation, ndlr).

Afrik.com : Qu’est ce que vous entendez concrètement par réparation ?

Garcin Malsa :
La première de toutes les réparations est que nous, colonisés, fils, petits fils d’Africains déportés rendus esclaves, disions clairement que nous sommes d’accord pour la réparation. C’est la pédagogie de l’autoréparation. Il faut répéter qu’il faut réparer le crime une fois qu’il est reconnu. La plaie ne sera cicatrisée qu’à partir du moment où il y aura reconnaissance de la réparation. J’ai milité très longtemps pour la stratégie des 3 R : Reconnaissance, Réparation et Réconciliation. Il ne peut pas y avoir réconciliation s’il n’y a pas de réparation.

Afrik.com : Quels sont les autres axes que vous proposez quant aux réparations ?

Garcin Malsa :
La deuxième réparation est la mise en place dans les anciens pays colonisés et ceux qui le sont encore, mais aussi en France, de lieux de mémoire avec des symboles forts. On doit montrer qu’il existe dans l’histoire de l’humanité des héros noirs qui sont des Africains, des Antillais, des Haïtiens, des Réunionnais, des Guyanais. Il faut qu’on arrive à réécrire l’histoire. Et pour réécrire l’histoire, il faut que les pays qui avaient programmé l’esclavage débloquent des sommes pour permettre à des jeunes Africains ou des jeunes Caribéens d’aller dans les archives afin de commencer ce travail de réécriture. Par ailleurs, il faut qu’il y ait des sommes reversées aux pays frappés d’une manière ou d’une autre par la traite et l’esclavage pour leur permettre d’assurer l’éducation et la santé de leurs enfants dans le sens qu’ils voudraient.

Afrik.com : Que pensez-vous de la polémique, en métropole, autour de la fixation d’une date de commémoration de l’esclavage et de la traite ?

Garcin Malsa :
Pour ce qui est l’instauration d’une date, je suis d’accord sur le principe. Qu’on nous dise le 10 mai (2001, date du vote de la loi Taubira) pourquoi pas, mais ça ne pourra pas effacer le 22 mai en Martinique (23 mai 1848, date de l’abolition de l’esclavage dans l’île, ndlr), le 27 mai (1848) en Guadeloupe, le 10 juin (1848) en Guyane et le 20 décembre (1848) à la Réunion. Chaque peuple a gardé sa propre journée de commémoration.

Afrik.com : La loi Taubira de 2001 imposait la révision des manuels scolaires pour qu’ils abordent plus abondamment l’esclavage et la traite. Une initiative qui n’a toujours pas été mise en œuvre aujourd’hui. Comment expliquez-vous cela ?

Garcin Malsa :
Parce que nous sommes encore mous. Nous nous contentons de dire que la loi a été votée. Une loi ne peut être appliquée que dans la mesure où il y a un rapport de force pour exiger que les moyens soient mis œuvre pour l’application concrète du texte législatif. Il faut constituer ce rapport de force. Et nous en avons aujourd’hui l’opportunité. Nous devons montrer que nous existons et que l’Etat français doit respecter sa parole et la loi.

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