Lies Hebbadj, bouc émissaire de la République française ?


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Lies Hebbadj dont une compagne avait été verbalisée pour port de la burqa au volant, a été mis en accusation dimanche pour viols aggravés sur l’une de ses anciennes maîtresses. Le gouvernement l’accuse de polygamie et de fraudes aux prestations sociales. Le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux compte inclure ces délits dans son projet de loi sur la déchéance de la nationalité. L’avocat de l’accusé crie à la manipulation. Pour une de ses compagnes, il est devenu le bouc émissaire de la République.

Cela s’appelle tomber à pic pour servir d’exemple. Alors que le débat sur la dénaturalisation des délinquants français continue d’agiter l’opinion, Lies Hebbadj, qui avait été propulsé au devant de la scène médiatique en avril par l’une de ses maîtresses verbalisée à Nantes pour port du niqab au volant, pourrait à lui tout seul, cumuler la quasi-totalité des critères annoncés par le gouvernement français, pour appliquer la mesure controversée.

Fin juillet à Grenoble, le président français, Nicolas Sarkozy, avait émis le souhait de voir les délinquants devenus français par naturalisation être déchus de leur nationalité, s’ils mettaient en danger la vie des représentants de la loi. Abondant dans le sens du président, Brice Hortefeux, dans le collimateur duquel se trouvait déjà Lies Hebbadj, a proposé que la déchéance de la nationalité soit étendue aux personnes naturalisées impliqués dans des cas de polygamie, d’excision et de « certains faits graves ». Une proposition visiblement calquée sur la situation de Lies Hebbadj : à celui-ci, il ne manquerait plus que la pratique de l’excision et l’attentat à la vie d’un dépositaire de la force publique pour réunir tous les griefs retenus par le gouvernement pour motiver le retrait de la nationalité.

Dimanche, le commerçant nantais de 35 ans, musulman qui appartient à la mouvance du tabligh prônant le retour aux fondamentaux de l’islam et qui est devenu français par naturalisation suite à son mariage a été mis en examen pour « viols aggravés » sur une de ses ex-compagnes aujourd’hui installée à Dubaï où elle s’est remariée. Il a été remis en liberté, au terme de sa garde à vue. Cette nouvelle affaire vient s’ajouter à une série de faits reprochés à Lies Heddadj par la justice et le gouvernement français. Le 9 juin, il avait déjà été mis en examen pour « fraude aux prestations sociales », « escroqueries », « travail dissimulé » et « aide au séjour irrégulier d’étranger ». Deux mois plus tôt, en avril, l’homme qui est père de 15 enfants et revendique trois « maitresses » en plus de son épouse avait été accusé de « polygamie » par le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux. Il aurait, selon le procureur de Nantes, organisé une « polygamie de fait », en vivant avec son épouse et ses trois maîtresses, dans trois maisons voisines les unes des autres. Une décohabitation volontaire qui aurait coûté beaucoup d’argent à la Caisse d’allocation familiale (CAF). Cet organisme public chargé de verser des prestations sociales aux familles leur aurait alloué 175 000 euros sur trois ans, alors qu’ils n’auraient pu prétendre qu’à 88 000 euros, s’ils avaient vécu sous le même toit.

Un cas d’exemple pour justifier la déchéance de la nationalité ?

En baisse vertigineuse dans les sondages pendant que les scandales financiers à répétition affaiblissent partiellement son gouvernement, Nicolas Sarkozy a, de l’avis de nombreux observateurs, agité le spectre de la déchéance de la nationalité, thème récupéré à l’extrême droite, pour essayer de reconquérir le cœur des français. Bien que ses concitoyens aient majoritairement, si l’on en croit les sondages, adhéré à sa proposition, de nombreux spécialistes n’y voyaient que des paroles en l’air qui ne connaîtraient jamais le moindre début d’application. Jusqu’à ce que Lies Hebbadj refasse parler de lui.

Alors que du fait de la crise économique Paris traque les moindres dépenses superflues et prescrit une cure d’austérité aux administrations, Lies Hebbadj pourrait être facilement présenté à l’opinion comme l’exemple de l’étranger malhonnête qui détourne les prestations sociales. Et partant, justifier l’adoption de mesures de déchéance de la nationalité. Dans un communiqué publié dimanche, Brice Hortefeux a ainsi déclaré qu’il considérait le dossier de Lies Hebbadj comme un « un cas de société plus qu’un fait divers ». Il a ajouté qu’il fera dès la fin de ce mois des propositions juridiques permettant de mettre en œuvre la déchéance de la nationalité française, « notamment pour les faits de meurtres de policiers ou de polygamie. » La veille, en déplacement à Perpignan, une commune située dans le département des Pyrénées-Orientales dans le sud de la France, il avait qualifié par deux fois Lies Hebbadj de « présumé coupable » notamment de faits de polygamie.

Lies Hebbadj isolé

Les associations musulmanes avaient pris leurs distances vis-à vis de Lies Hebbadj en juin, après qu’il eut déclaré que l’islam autorise d’avoir des maitresses. Conséquence, il n’a jusqu’ici reçu que peu de soutiens. Seules son avocate, Me Cécile de Oliveira et ses proches ont publiquement pris sa défense. Pour Me Cécile de Oliveira, son client est victime d’une « manipulation ». « Le fait que le ministre de l’Intérieur s’exprime sur son cas hier soir en tenant des propos très étonnants d’un point de vue juridique sur la présomption de culpabilité démontre qu’il ne s’agit pas d’un dossier comme les autres, même si M. Hebbadj est un homme comme les autres (…) Ces accusations demeurent fantaisistes, dans un domaine assez intime et invérifiable », a-t-elle déclaré dimanche.

Pour l’épouse de l’accusé, Miriana Hebbadj, celui est devenu le « bouc émissaire de la République ». « On le fait passer pour un monstre, on lui colle toutes les étiquettes possibles et inimaginables », a-t-elle soutenu dimanche, ajoutant que son mari était devenu « un jouet politique ». Elle était accompagnée de Sandrine Moureles, une des compagnes de Lies Hebbadj qui avait été verbalisée en avril pour port du niqab au volant. Celle-ci a indiqué que les accusations contre son concubin constituaient pour le gouvernement « un moyen d’appuyer les déclarations de Brice Hortefeux sur la déchéance de la nationalité ».

Le principe de la non-rétroactivité des lois pourrait constituer au final le seul rempart pour Lies Hebbadj contre le retrait de sa nationalité. Si la loi etait adoptée, elle ne pourrait pas être appliquée aux faits qui se seraient passés avant son entrée en vigueur. Cependant, le gouvernement français se serait appuyé sur ses frasques pour adopter une mesure dénoncée comme créant des français entièrement à part.

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