Les gueulards de l’anticolonialisme dogmatique


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Remarques à propos de la tribune de Blaise Pascal Touoyem publiée à mon adresse.

Blaise Pascal Touoyem, qui se présente comme philosophe à Yaoundé, me fait l’honneur suspect d’une tribune publiée, dit-il, en réponse à mon point de vue sur la Côte d’Ivoire. Avant d’en examiner les arguments et les présupposés, extraits de formulations souvent inutilement sophistiquées, il convient de préciser ceci à l’adresse des lecteurs : je n’ai jamais adressé de lettre publique à Blaise Pascal Touoyem. Nos échanges sur la Côte d’Ivoire appartenaient jusqu’ici au domaine confidentiel de nos boîtes mails sur facebook et leur contenu se limitait à quelques billets purement indicatifs. Blaise Pascam Touoyem, mon ancien camarade de fac au Département de Philosophie de Yaoundé, choisit donc d’exprimer publiquement nos divergences sur la Côte d’Ivoire, sans doute parce qu’on existe davantage en critiquant publiquement Franklin Nyamsi qu’en discutant confidentiellement avec lui.

J’accepte la rançon de la gloire. Et surtout parce qu’un certain nombre d’intellectuels kamerunais veulent passer maîtres dans l’art d’exister aux dépens des penseurs libres de notre continent, tout en taisant par leurs silences complices leurs allégeances lâches aux intellectueurs qui légitiment le système local de domination du régime RDPC de Paul Biya. Nous sommes donc en situation de devoir répondre à la sortie de Blaise Pascal Touoyem, qui rejoint ainsi par son argumentation, la vulgate incantatoire défendue par les Hubert Mono Ndjana, Lucien Ayissi, Charles-Romain Mbélé et bien d’autres défenseurs stratégiques de l’anticolonialisme de bouche, que je nomme encore l’anticolonialisme dogmatique. Or critiquer la domination mondiale quand on est kamerunais, en fermant les yeux sur la domination locale kamerunaise du RDPC, c’est parler en l’air. Et parler pour parler, parler seulement pour se faire entendre sans qu’on n’ai rien de substantiel à dire, c’est être un gueulard. Ni plus, ni moins : un faiseur de flatus vocis.

Insistons. Comment reconnaît-on les gueulards de la pensée kamerunaise ? On les reconnaît tous à leur marque de fabrique : ils s’attaquent furieusement à l’impérialisme international pour distraire la galerie et se taisent soudainement sur le système impérial national du RDPC, sur le système féodalo-religieux dans nos contrées du littoral, du nord et de l’ouest, du centre, de l’est, et sur leurs propres allégeances quotidiennes aux fossoyeurs connus du peuple kamerunais. Pour des raisons sécuritaires ou alimentaires, on peut les comprendre quand ils pèchent par omission. Mais c’est quand ils se revendiquent une légitimité épistémologique dans le rôle d’avants-centres des équipes de réactionnaires déguisés du Kamerun qu’il faut résolument les débusquer. Ce n’est donc pas un hasard si Blaise Pascal Touoyem s’attaque volontiers au « système mondial de domination », et se tait sur le « système local de Biya » qui n’a jamais gagné la moindre élection. Ce n’est pas un hasard si le modèle de Touoyem pour élever Gbagbo au pinacle de la résistance, c’est Toussaint-Louverture de Haïti, et non pas Um Nyobé du Kamerun. Comme ses inspirateurs yaoundéens, Touoyem pense la domination mondiale à partir d’une omission principielle de la domination locale, celle qui se joue sous ses yeux et qui est le fait de gens qu’il connaît bien et contre lesquels il n’a jamais daigné écrire explicitement une seule ligne publique ad hominem. Et c’est sur la base de cette lâcheté silencieuse qu’il est prompt à se porter candidat pour une soi-disant réponse à un Franklin Nathan Nyamsi qui ne lui a publiquement adressé AUCUN message. Touoyem croit ainsi montrer à ses maîtres yaoundéens qu’il peut bander ses muscles contre son ancien camarade de fac. Voyons comment notre bonhomme s’en tirera.

Quid du système Biya au Cameroun?

Consultons donc les arguments de Blaise Pascal Touoyem, en nous imposant l’urgence de l’essentiel. Car il est manifeste que Touoyem ne sait pas grand’chose à la Côte d’Ivoire. Ses arguments se résument finalement en deux : un argument moral sur l’humiliation de Laurent Gbagbo et un argument politico-juridique sur les vices du processus électoral 2010 en Côte d’Ivoire. Je compte pour du beurre les incantations de Touoyem contre l’impérialisme MONDIAL, car comme je l’ai montré, il ne s’attaque jamais explicitement à ses défenseurs LOCAUX au Kamerun, parce qu’il a partie liée avec eux, soit par complaisance, soit par réflexe sécuritaire. On attendra donc le texte de Touoyem contre la bande à Kontchou, Kamto, Towa, Mono, Mbélé, Ayissi, et Cie, qui ont plus ou moins explicitement soutenu ou toléré l’impérialiste de Yaoundé pendant qu’ils phrasaient à outrance contre l’impérialisme occidental. Et quand je me suis fendu tout récemment d’une défense publique contre les insanités de l’ethnonationaliste d’Etat Mono Ndjana, on n’a pas vu UNE SEULE ligne de Touoyem contre ce penseur organique du RDPC. Grands signes d’un courage médiatique à géométrie très variable. Passage sans transition de générations entières d’intellectuels kamerunais de la pitié à la honte !

Touoyem m’accuse de légitimer le « rapt de Gbagbo à la mitraillette » ? Je lui réponds que c’est Gbagbo qui a déclaré la guerre à son peuple. Et il n’a eu en retour que la monnaie de sa pièce. Mieux encore, le Président Ouattara a fait preuve à l’égard de Gbagbo et de sa famille, d’une compassion que Gbagbo ne lui aurait pour rien au monde consenti ! Comment Gbagbo a-t-il déclaré la guerre à son peuple ? D’abord en acceptant, dès 2000, de se faire Président de Côte d’Ivoire à l’issue d’une « élection calamiteuse » (dixit Gbagbo) dont 70% du corps électoral était exclu, et en perpétrant les tueries de Yopougon en Octobre 2000. Ensuite, en entonnant le chant funèbre de l’ivoirité, comme ses prédécesseurs Guéi et Bédié. Enfin, en s’illustrant lui-même par une violence sans bornes contre son peuple (escadrons de la mort, massacres des militants de l’opposition en mars 2004, lynchages populaires organisés par ses patriotes, meurtres de masses en fin 2010-début janvier 2011 contre les populations des quartiers favorables au nouveau Président élu à Abidjan, financement de milices Guéré et libériennes, etc.) Gbagbo a incontestablement excellé dans « le rapt à la mitraillette » contre des milliers d’ivoiriens. La violence sans principe fait toujours boomerang.

Gbagbo a été d’un cynisme sans limites, y compris contre son prédécesseur et allié d’un temps, le Général Robert Guéi, sa femme et ses proches, qui furent tous injustement assassinés en septembre 2002 par les Forces Armées du Pouvoir-FPI, après avoir été faussement accusés par les sieurs Affi N’Guessan (Président du FPI) et Alain Toussaint (Porte-voix français de Gbagbo) dans les médias internationaux. Le premier tueur de Chefs d’Etat en Côte d’Ivoire, c’est donc Laurent Gbagbo. Et lui, tel un chien vivant qui se préfère à un lion mort, a su sauver sa peau ! Il s’est même permis – de son propre aveu – d’envoyer son Secrétaire Général de Présidence, Désiré Tagro à la mort, en lui demandant de sortir hors de son bunker avec un drapeau blanc en signe de capitulation. Quelle lâcheté pour quelqu’un qui a fait tailler en pièces des milliers d’hommes ! Au fond, le régime Gbagbo a cherché cette humiliation et n’a à s’en prendre qu’à sa folle témérité pour ce qu’il en a récolté de dégradant. Il a fait faire pire à des milliers d’ivoiriens ! Et il faut simplement constater que Gbagbo s’en sort mieux que ses nombreuses victimes à jamais silencieuses…Hélas ! Et c’est pour cette raison précise qu’une opposition politique ivoirienne complètement désarmée aurait été, sans pitié, éliminée par la violence despotique de Laurent Gbagbo. Les houphouétistes ont parfaitement fait le tour du personnage du « boulanger d’Abidjan ».

Touoyem prétend que les conditions dans lesquelles l’élection présidentielle 2010 a été organisée étaient calamiteuses ? Je réponds qu’elles l’étaient bien moins que celles d’Octobre 2000, où 70% de la population électorale furent de fait exclus de la compétition présidentielle par Guéi et Gbagbo, au nom de leur fameux deal de dupes. J’insiste sur la qualité exceptionnelle des observateurs internationaux de cette élection et sur la reconnaissance des résultats du 1er tour par le Candidat Gbagbo, alors même que l’opposition alliée y avait déjà la majorité absolue. Enfin, pourquoi Gbagbo a-t-il malgré toutes les réserves imaginables, accepté d’aller à l’élection d’Octobre 2010 alors qu’il était certain de la perdre ? Quid dans l’argumentaire de Touoyem du rôle joué dans le dispositif politique de Gbagbo par l’idéologie de l’ivoirité ?

Au fond, l’argumentaire de Touoyem est complètement vide et il aurait pu s’en tenir à sa seule volonté formelle d’exprimer un désaccord public envers Franklin Nyamsi. Touoyem n’a ni le monopole du cœur, ni celui de l’anti-impérialisme. C’est sciemment ou non, un avant-gardiste de l’anticolonialisme dogmatique à tête chercheuse. Tel était le fond de l’opération médiatique de notre tribunicien et je ne lui accorderai désormais pas plus d’importance…Au lieu d’ accepter aveuglément que le régime ivoirien qui a perdu des élections reste au pouvoir au nom de son soi-disant anticolonialisme, on devrait en réalité s’inquiéter du régime Biya qui depuis 29 ans, tient le peuple kamerunais sous braquage, au prix du type même de trucage électoral que Gbagbo a échoué à imposer au peuple de Côte d’Ivoire. Mais pour cette tâche, nos gueulards de l’anticolonialisme dogmatique se tairont, comme d’habitude, courageusement.

La souveraineté internationale des Etats africains ne se fera pas sur la base d’un ajournement des luttes démocratiques entre citoyens de ces Etats. Nous en appelons ainsi à méditer un anticolonialisme résolument critique, basé sur la logique, non pas des contraires, mais bien des contradictoires.

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