Les frontières brouillées du somalien Nuruddin Farah


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territoires

Nuruddin Farah est un écrivain nomade. Mais c’est de la singularité de ses terres somalies qu’il tire des leçons et des vérités universelles.

Les éditions Le Serpent à plumes, toujours sur la brèche pour défendre et illustrer la diversité de la création littéraire africaine contemporaine, éditent en format de poche le roman Territoires, de l’écrivain somalien Nuruddin Farah, premier volet d’une trilogie qui se poursuit ensuite en deux volumes : Dons et Secrets. La traduction de l’anglais a été assurée, et réussie, par Jacqueline Bardolph.

Toute histoire humaine est d’abord une histoire de terres, de racines, de périmètres familiers soigneusement arpentés pour y camper son existence. D’où l’importance primordiale de l’expérience de l’arrachement, de l’exil, celui surtout qu’impose la guerre, l’absurde déchirement des hommes qui ne cesse de se dénouer et de se renouer, dans la Corne de l’Afrique, et à nouveau aujourd’hui entre Ethiopie et Erythrée.

Le pays natal de Nurrudin Farah est l’Ogaden, et c’était la Somalie, avant que l’Ethiopie ne le lui enlève : réfugié à Mogadiscio, il devra là encore s’en éloigner, après l’indépendance. C’est donc en écrivain nomade roulant à travers l’Afrique qu’il a construit toute son oeuvre, avec comme principaux ports d’attache le Nigeria, d’où sa femme est originaire, et l’Afrique du Sud, où elle enseigne. Mais toute son oeuvre parle de la Somalie, et donc de ce seuil redoublé des territoires de l’enfance.

Comment se fier aux hommes ?

Et c’est dans l’intimité de ce lieu unique où s’ancre son écriture que l’auteur tire, paradoxalement, des leçons qui valent pour tous les hommes et toutes les terres. « Cet enracinement donne du sens, et peut-être, une certaine universalité à mon écriture. Je suis aussi un Africain, un musulman, un cosmopolite et un exilé. «  Enfin, et surtout, un exilé.

Le regard du conteur est chargé de poésie et cela peut le faire paraître détaché : pourtant chaque mot est porteur de son lot d’interrogations irrésolues. Les attitudes des hommes, d’abord, guidées par la bêtise, les bas instincts, la volonté d’imposer leur pouvoir ou le plaisir de l’exercer. Comment se fier à eux ? La place des femmes, battues, ou marginales, peu enviables dans une société qui les défavorise. La valeur de l’enfance, enfin, qui se joue des frontières sociales et des limites politiques, de toute sa juste et sereine inconscience.

Tout cela permet à Nurrudin Farah de dire avant toute chose, sans hésitation, mais sans hausser le ton, toutes ses révoltes. La force de son écriture est dans une forme de colère calme qui prend le masque de l’incompréhension et a la délicatesse de cacher le scandale sous l’étonnement. La condamnation en est d’autant plus forte, et de page en page le lecteur se retrouve plus proche des deux héros principaux, l’enfant Askar, narrateur, orphelin, et la femme qui l’élève et le protège, autant qu’elle le peut, Misra.

En obligeant chacun à voir ce monde absurde et déglingué par leurs yeux, peut-être le roman contribuera-t-il à ouvrir ceux des hommes qui, du Nord au Sud de la Corne de l’Afrique, s’évertuent à défaire régulièrement l’ouvrage patiemment retissé par les enfants, les femmes et quelques marginaux de la paix et de la fraternité humaine.

Commander Nurrudin Farah, Territoires (Maps), le Serpent à Plumes,  » motifs « , avril 2000.

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