« Les Chevaux de Dieu », ces chairs à canon pour salafistes


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Abdelhakim (Yachine) et d'Abdelilah Rachid (Hamid), après la projection du film à Cannes le 19 mai 2012

Les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca, au Maroc, ont mis sur la sellette de jeunes terroristes, tous issus du bidonville de Sidi Moumen. Nabil Ayouch réinterprète leur parcours d’inutiles martyrs au service des islamistes dans les Chevaux de Dieu, l’un des films sélectionnés dans la section « Un Certain regard » du Festival de Cannes et projeté ce samedi. Cette œuvre magistrale aurait eu sa place dans la compétition cannoise.

Yachine-Tarek, 10 ans, son aîné de trois ans, Hamid et leur bande d’amis – Nabil, Fouad et Khalil – sont inséparables dans leur bidonville de Sidi Moumen à Casablanca. Hamid est le grand frère protecteur qui défend Yachine quand les fins de matchs de football se transforment en pugilats avec l’équipe adverse. Mais Hamid, c’est surtout le petit caïd qui ramène des cadeaux et un peu d’argent à sa mère, chef d’une famille dont le père semble avoir perdu la raison et dont les deux grands fils sont absents. L’un est au front, l’autre est autiste. Yachine et Hamid sont leurs propres maîtres mais l’univers du premier s’écroule quand le second est emprisonné. Deux ans plus tard, Hamid revient métamorphosé. Ses nouveaux « frères » l’éloignent de sa famille. Mais bientôt, à l’instar de son frère de sang, Yachine va rejoindre les islamistes de son quartier dirigé par le mystérieux imam Abou Zoubeir. Le jeune homme constituera avec son aîné et une partie de ses amis, entraînés de fait dans cette macabre aventure, le groupe de kamikazes désignés pour perpétrer le 16 mai 2003 les attentats de Casablanca. Les Chevaux de Dieu de Nabil Ayouch, en sélection officielle au festival de Cannes dans la section  « Un Certain regard », est un long métrage « inspiré de faits réels » et le résultat de l’adaptation du livre de Mahi Binebine, Les Etoiles de Sidi Moumen (Flammarion). Les quatorze kamikazes de Casablanca étaient tous issus du bidonville de Sidi Moumen et de la fameuse équipe de football qui donne son nom au l’œuvre littéraire.

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« On ne naît martyr… » : tel est le fil rouge du dernier film de Nabil Ayouch qui montre comment ces enfants, puis ces adolescents sont devenus des kamikazes. Son intention : « humaniser » ces terroristes qui avaient grandi à Sidi Moumen, l’un des décors de l’inoubliable Ali Zaoua (2000). La démarche est méthodique, factuelle et chronologique. Entre juillet 1994 et le 16 mai 2003, on découvre le quotidien de ces futurs terroristes. Leur absence de repères familiaux, leur désœuvrement et leurs propres égarements les conduiront dans la gueule du loup. Face à eux, des salafistes qui exploiteront la moindre de leur faiblesses pour les convaincre, grâce à un discours bien rôdé, de choisir de défendre leur cause, mais surtout de devenir martyr.

Abdelhakim (Yachine) et d'Abdelilah Rachid (Hamid), après la projection du film à Cannes le 19 mai 2012

Intense duo d’acteurs

La caméra de Nabil Ayouch survole maintes fois Sidi Boumen pour mieux en souligner dans le détail le délabrement et revenir sur la misère humaine qui y règne. Sa caméra s’attache au visage de ses héros qui raconte, à lui seul, leur transformation et souvent leur résignation. Le cinéaste franco-marocain s’est appuyé sur une relation fraternelle et sur un duo de véritables frères pour incarner Yachine et Hamid, respectivement d’Abdelhakim et d’Abdelilah Rachid à la ville. Les deux comédiens véhiculent une émotion qui est la colonne vertébrale du film. Les regards et les silences désespérés de Hamid pour ce frère, qu’il a toujours protégé, alors que pèse sur eux leur fatale destinée sont des scènes d’un grande intensité et constituent d’uniques moments de cinéma. C’est certainement grâce à eux que Les Chevaux de Dieu, description d’une réalité fictionnelle qui s’appuie néanmoins sur le vécu de ces jeunes embrigadés par les salafistes, provoque une rage infinie. Celle que l’on devrait ressentir chaque fois que la détresse, aussi bien matérielle que psychologique, est si vilement exploitée.

Avec Les Chevaux de Dieu, Nabil Ayouch retrouve en partie l’enfance qu’il filme si justement et qui lui réussit si bien. Le réalisateur signe de nouveau une œuvre cinématographique de belle facture, parfaitement maîtrisée aussi bien d’un point de vue narratif que technique. Le long métrage aurait bien mérité de figurer parmi les films en compétition pour la 65e édition du Festival de Cannes.

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