Le Soudan du Sud et John Garang


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La République sud-soudanaise a été officiellement proclamée le 9 juillet 2011. Le premier président du 54e Etat africain s’appelle Salvar Kiir. Il a succédé à la tête du mouvement de libération sudiste à John Garang, l’homme qui s’est battu pendant 21 ans pour que la nation sud-soudanaise voit le jour.

Les billets de la nouvelle monnaie du Soudan du Sud, la livre sud-soudanaise lancée ce lundi, sont à l’effigie de John Garang de Mabior. Le souvenir du « père de l’indépendance » sud-soudanaise, disparu le 30 juillet 2005, sera ainsi présent jusque dans les poches et les porte-monnaies de ses compatriotes. Son mausolée à Juba, la capitale sud-soudaine, est déjà la place des grands évènements qui marquent l’histoire du Soudan du Sud, à commencer par la proclamation le 9 juillet dernier de l’indépendance. Le 54 Etat africain et le 193e membre des Nations unies, reconnu officiellement dans sa nouvelle appellation – Soudan du Sud et non plus Sud-Soudan – le 14 juillet dernier, est né dans les termes prévus par l’Accord de paix global (CPA) signé le 9 janvier 2005 à Nairobi, la capitale kényane, sous les auspices du Kenya et de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD). Composé de six protocoles signés entre février 2002 et décembre 2004 respectivement dans les villes kényanes de Machakos et de Naivasha, il met fin à la plus longue guerre civile qu’ait connu le continent africain. Son bilan est lourd : environ deux millions de morts, quatre millions de déplacés et quelque 600 000 réfugiés. Pendant 21 ans, le Mouvement de libération du peuple soudanais (SPLM) et sa branche armée, l’Armée de libération du peuple soudanais (SPLA) fera la guerre au gouvernement de Khartoum afin d’obtenir son autonomie, puis son indépendance.

Quand John Garang se déplace pour négocier la paix

C’est en septembre 2003 que se profile peut-être un réel espoir de paix entre le régime d’Omar el-Béchir, qui a pris le pouvoir en 1989, et la rébellion du Sud-Soudan. Car, pour la première fois, John Garang, le chef rebelle sudiste participe le 10 septembre de cette année à des négociations directes. Suivies par plusieurs autres, elles conduiront à une cessation définitive de la lutte armée, aux conditions voulues par le SPLM.
 
La paix et l’indépendance du Sud-Soudan reposent sur une large autonomie, puis sur le droit à l’auto-détermination du peuple soudanais et l’équitable partage des ressources pétrolières entre le Sud, qui détient les deux tiers des réserves du pays, et le Nord. L’accord de 2005 reprend ainsi l’offre faite par Khartoum en 2002 au SPLM : une période d’autonomie de 6 ans au bout de laquelle il sera demandé, par voie référendaire, aux populations du Sud si elles souhaitent l’indépendance. La nouvelle frontière sera celle qui avait été établie en 1956 par les Britanniques. Quant au partage du pouvoir, John Garang, président de la région semi-autonome du Sud-Soudan, deviendra vice-président du Soudan et sera ensuite confirmé à son poste par des élections. Par ailleurs, le Sud majoritairement chrétien, sera exempté de la charia, la loi islamique appliquée sur le reste du territoire soudanais. Outre la question religieuse et culturelle, le partage des ressources pétrolières se pose. L’accord de 2005 prévoit qu’elles feront l’objet d’un partage équitable : 50% pour le gouvernement soudanais et 50 % pour la SPLM.

« C’est le meilleur cadeau de Noël et de Nouvel An pour le peuple soudanais, pour notre région et pour l’Afrique (…). Cet accord changera le Soudan pour toujours », déclarait en 2005 John Garang, le charismatique chef rebelle auxquel les Sud-Soudanais doivent la naissance de leur Etat. De l’ethnie Dinka, il voit le jour le 23 juin 1945 à Wagkulei, près de Bor, dans le Haut-Nil. L’orphelin – il perd son père à 9 ans et son père à 11 ans – est un élève brillant qui fera ses études secondaires en Tanzanie. Sa formation se poursuit aux Etats-Unis où il obtient à la fin des années 1960 un diplôme en économie rurale du Grinnell College, dans l’Iowa. Mais il refuse une bourse pour étudier à Berkeley et rentre en Tanzanie où il sera chercheur-associé du département des sciences économiques et de l’économie rurale de l’université de Dar es-Salaam. Là, il rencontre Yoweri Museveni, le futur président ougandais, qui sera son allié de toujours. Entre temps, John Garang a aussi fait la connaissance de Joseph Laggun, le leader des révoltés d’Anyanya (venin de serpent) qui mènent depuis 1955, quelques mois avant l’indépendance du Soudan en 1956, la guerre qui oppose les « Noirs animistes ou chrétiens du Sud » aux « arabes musulmans du Nord ». C’est la première guerre civile du Soudan indépendant qui a hanté toute l’enfance et l’adolescence de John Garang. Il peut enfin y participer. En ralliant la rébellion sudiste au début des années 70, il commande un bataillon qui deviendra le noyau dur de la future armée du SPLM. En 1972, les accords d’Addis-Abeba, qui octroie l’autonomie au Sud-Soudan, mettent fin à la révolte sudiste. Le rebelle Garang devient un soldat de l’armée régulière soudanaise et se perfectionne sur la base militaire de Fort Benning, en Géorgie en 1974, puis obtient un doctorat en économie rurale de l’université d’Iowa en 1977. Mais John Garang est rattrapé par son destin de chef rebelle. En mai 1983, c’est pourtant un colonel, marié et père de famille donc supposé sans histoires, qui est envoyé par le président soudanais Gaafar Mohammed el-Nimeiri, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1969, pour mater une mutinerie dans la caserne de Bor. Les soldats refusent leur affectation dans le Nord. Faisant fi des ordres de Khartoum, Garang prend fait et cause pour les mutins et crée, quelques semaines après, le SPLM/A pour défendre les intérêts du Sud-Soudan et par extension de toutes les zones défavorisées du pays. Dans son manifeste, le leader sud-soudanais rappelle que le problème du Soudan se trouve dans l’identité arabe et musulmane qu’on lui prête de facto. Il y a certes des musulmans, des Soudanais d’origine arabe, mais ils ne représentent pas l’ensemble du peuple soudanais, affirmait-il. Il rêvait d’un Soudan uni, d’un «Nouveau Soudan» dont il aurait pu être le président.

La transition sans le chef historique

Quand Gaafar Mohammed el-Nimeiri impose la loi islamique à l’ensemble du Soudan, en violation de l’accord de paix de 1972, John Garang et ses hommes sont prêts à mener la guerre contre Khartoum. En 1986, le SPLA compte 12 500 hommes. A la fin des années 90, le SPLM trouvent des appuis Outre-Alantique, notamment chez les évangélistes et grâce à la peur qu’a la Maison Blanche du régime islamiste en place. Dans la multitude des mouvements rebelles sudistes qui se sont développés, le SPLM de Garang s’impose comme le seul véritable interlocuteur de Khartoum. La paix signée, John Garang devient le 9 juillet 2005 le premier vice-président noir du Soudan. Fini le maquis pour cet homme que l’on dit plein d’humour, allergique à la dissidence et qui pouvait se montrer cruel envers ses opposants. Sous son règne, le SPLM n’aura pas été un modèle en matière de respect des droits de l’homme.

Après plus de 20 ans dans la guérilla, avec la brousse comme quartier général, la figure tutélaire de la rébellion sudiste ne verra pourtant jamais le Sud-Soudan indépendant. Il périt dans la chute d’un hélicoptère ougandais qui le ramenait chez lui. Selon la version officielle, l’appareil s’est écrasé dans les montagnes du Sud-Soudan en raison du mauvais temps. Une commission d’enquête conjointe entre le SPLM et Khartoum a été chargée de faire la lumière sur les circonstances de sa mort. Les Ougandais ont soupçonné le président soudanais d’avoir orchestré la disparition du chef sudiste mais le crash est jugé  « purement accidentel », selon la Compagnie nationale d’assurances d’Ouganda en charge de l’appareil.  Une version soutenue par Rebecca Garang, la veuve du chef de la rébellion sudiste. Ce qui n’empêche pas des émeutes au Sud-Soudan qui feront plus de 80 morts à l’annonce de sa disparition. Il est remplacé par un homme plus discret, Salva Kiir Mayardit. A la suite des élections présidentielles prévues par l’accord de 2005, il devient en avril 2010, avec 93 % des suffrages exprimés, le président de la région semi-autonome du Sud-Soudan. Mais un autre rendez-vous important doit déterminer l’avenir du futur état sud-soudanais : le référendum.

Le doute a longtemps pesé sur sa tenue. « Il faudra un miracle pour organiser le référendum en temps et en heure en raison des difficultés et du calendrier serré », clamait en octobre dernier le président de la commission électorale, Mohamed Ibrahim Khalil. Les autorités sud-soudanaises avaient menacé d’organiser le scrutin elles-mêmes en cas de défaillance de Kharthoum. « S’il y a un retard politique provoqué par le Parti du congrès national du président Omar el-Béchir, alors le Sud aura l’obligation d’organiser son propre référendum », indiquait Mark Lyall Grant, l’ambassadeur britannique aux Nations unies, rapportant les propos de Salva Kiir.

Le 7 décembre finalement, le bureau du référendum confirme sa tenu le 9 janvier. La démarcation des frontières, le partage des revenus du pétrole et les eaux du Nil sont des questions cruciales pour le Nord qui avaient invité à leur règlement avant l’organisation du référendum. Autrement, avait avertit le président soudanais Omar el-Béchir, une « guerre plus sérieuse » risquait d’éclater. Pendant deux semaines, les Soudanais sont appelés à se prononcer et choisissent l’indépendance à près de 100%. Ce rendez-vous devait également permettre de se prononcer sur la région pétrolière et frontalière d’Abyei, disputé par le Nord et le Sud. Ce ne sera pas le cas et les tensions dans la région ont conduit Khartoum et le Sud-Soudan à signer en juin dernier un accord de démilitarisation de la très disputée d’Abyei. De même, un accord cadre a été signé et stipule la mise en place d’une commission politique mixte pour résoudre les problèmes persistants au Kordofan Sud et dans le Nil Bleu, qui étaient également censés organiser des consultations populaires sur leur avenir, selon le CPA. Début juillet, cet accord a été rejeté par le président el-Béchir.

Pour ce qui est du partage des revenus pétroliers, rien n’a encore été conclu entre le Soudan et le Sud-Soudan. Mais Khartoum ne s’est pas opposé à la première exportation ce lundi du pétrole sud-soudanais vendu à la Chine. Néanmoins, le Soudan a voté jeudi une loi imposant au Soudan du Sud de payer pour utiliser ses infrastructures pétrolières, une mesure destinée à compenser le manque à gagner due à l’indépendance : 98% des revenus du Soudan du Sud et 60% des revenus du Soudan sont liés au pétrole. Les trois-quarts des 470 000 barils de pétrole produits chaque jour par le Soudan provenaient des gisements sud-soudanais. Mais, le Nord détient les raffineries et les oléoducs qui permettent d’exporter le brut de la plateforme pétrolière de Port-Soudan.

L’indépendance est désormais acquise mais les premiers pas de la plus jeune République du monde s’annoncent délicats. Certains estiment que John Garang de Mabior était l’homme de la rébellion et que Salva Kiir Mayardit était tout indiqué pour conduire la transition vers l’indépendance. Le premier aspirant à un Soudan fédéral et le second défendant farouchement la sécession du Sud-Soudan. Aujourd’hui l’ambition de Kiir est autre, à savoir construire l’Etat sud-soudanais, l’œuvre amorcée par Garang.

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