Le récit glaçant d’un migrant, ancien prisonnier en Libye


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Adama Seck, ancien migrant
Adama Seck, ancien migrant en Libye

Les différents rapports d’ONG sur la Libye donnent certes un aperçu de la situation d’insécurité qui règne dans ce pays d’Afrique du Nord. Mias lorsque c’est un « rescapé » qui raconte son vécu dans une prison libyenne détenue par une mafia, cela donne des sueurs froides. Et lorsque cinq ans après son cauchemar, le migrant en arrive à verser des larmes rien qu’en pensant à ces moments de frayeurs où les Kalachnikovs régnaient en maître, on mesure facilement l’ampleur de la terreur dans le pays.

Il est tailleur de profession. Son nom : Adama Seck, né en 1992, à Dakar, au Sénégal. Il a très tôt quitté les bancs de l’école suite au décès de son père. En 2004, il décide de devenir tailleur. Son métier bien assimilé, il a voulu tenter l’aventure à travers l’immigration clandestine. « Je suis allé au Mali en 2014 où je suis resté quelques temps. Par la suite, j’ai regagné le Bénin où je suis resté environ deux ans. Par la suite, j’ai rallié la Libye, espérant regagner l’Europe ». Mais son séjour libyen, il ne peut pas l’oublier, tellement il en a vu et vécu des atrocités. Emprisonné alors qu’il tentait de rejoindre les côtes européennes, il avait été vendu comme du bétail. Afrik.com est allé à sa rencontre, dans son atelier situé sur la route de Saint-Louis, au Sénégal.

« Nos ravisseurs nous réclamaient entre 400 et 500 000 FCFA »

Pour avoir volontairement décidé de rentrer au bercail, Adama Seck a eu le soutien de l’Organisation internationales pour les migrations. Mais avant, il a vécu des instants de frayeur. « Dès que notre voiture a franchi le seuil de la maison, j’ai compris qu’on venait d’être faits prisonniers. Les premiers ressortissants subsahariens que j’ai vu dans l’enceinte étaient maigres et ils étaient tous torse nu, tellement il faisait chaud. On sentait nettement qu’ils ne mangeaient pas à leur faim et vivaient le martyr dans les lieux. Nous étions vendus et kidnappés. Nos ravisseurs nous réclamait entre 400 et 500 000 FCFA, le prix de notre liberté ». Dans cette prison de fortune, les Libyens avaient des hommes qui servaient de couverture. « C’étaient comme des gardiens de prison qui étaient souvent de Ghanéens ou des Camerounais ».

« Je suis parvenu à échapper aux trafiquants »

« Je suis resté enfermé quelque temps là-bas, sans avoir de quoi payer la rançon qu’ils me demandaient. Je ne voulais pas appeler ma mère et l’inquiéter, comme mon père ne vivait plus. Je suis alors resté et je cherchais à gagner du temps. Un jour, ils ont décidé de nous transférer dans un endroit où les conditions étaient plus dures. Je pense qu’on venait d’être vendu une nouvelle fois. Je me rappelle bien, c’était un vendredi. Ils nous ont demandé de prendre nos affaires pour effectuer ce transfert. J’ai alors saisi la seule chance qui me restait pour retrouver ma liberté. J’ai attendu que le véhicule qui nous transportait arrive en pleine ville, au niveau d’un ralentisseur, pour ouvrir la portière et prendre la fuite. C’est ainsi que je suis parvenu à échapper aux trafiquants ». Adama Seck est tout de même resté en Libye pour travailler un peu. Il avait toujours comme projet de rejoindre l’Europe.

« Je ne voulais pas rentrer au Sénégal »

« Conscient des risques de me faire à nouveau emprisonner en tentant de migrer vers l’Europe, j’ai alors décidé de rentrer au Sénégal, sur conseil d’agents de l’Organisation internationale des migrations. J’avais la promesse d’être soutenu une fois rentré au Sénégal. J’en profite pour les remercier. J’ai alors abandonné le projet d’aller en Europe, mais je ne voulais pas rentrer au Sénégal. Je suis alors allé au Niger où je suis resté pour travailler. Un jour, ma mère m’appelle et me demande de rentrer (il s’arrête, car ne pouvait plus retenir ses larmes. A peine une minute, il poursuit, en ayant conservé son sourire, les larmes ruisselant sur son visage). Désolé ! Je demande alors à ma mère de me laisser travailler encore un peu au Niger. Elle insiste pour que je rentre, tout en me promettant que les choses vont s’arranger à mon retour. Je suis alors rentré au Sénégal (il s’arrête à nouveau, les larmes qui coulent. Il s’excuse une nouvelle fois) ».

« Le Libyen a ouvert le feu sur tous les Subsahariens »

« Arrivé à Dakar, j’ai été embauché par une couturière pour qui je travaillais. Je réussis à mettre de l’argent de côté et m’acheter une machine. J’ai alors décidé de faire chemin seul. Je me suis alors rapproché de l’OIM qui m’a soutenu. D’ailleurs, ils m’appellent de temps en temps pour s’enquérir de ma situation. Mais j’avoue que ce n’est pas évident. Car il m’arrive de me demander si je ne devrais pas tenter une nouvelle fois de regagner l’Europe. Mais à chaque fois, je trouve le courage de rester ici et tenter de faire face aux difficultés ». Marié et père de famille, Adama Seck n’arrive toujours pas à oublier ce qu’il a vécu en Libye. « Je me rappelle d’un compatriote avec qui je partageais la prison en Libye. Je pense que les geôliers faisaient goutter du plastique fondu sur toutes les parties du corps. Juste pour le torturer. Tout ça parce qu’il avait un comportement plutôt rebelle, ce qui ne plaisait pas aux ravisseurs. Il a dû succomber à ses blessures ».

« Je ne pense plus à immigrer clandestinement »

Une autre histoire qui a beaucoup marqué Adama. « Un jour, une altercation a éclaté entre un ressortissant subsaharien qui était mécanicien, et un Libyen. Ce dernier est parti tout en colère. Il est revenu, quelques instants plus tard, avec une Kalachnikov. Seulement, le gars avec qui il s’est disputé avait déjà vidé les lieux. Furieux, le Libyen a alors commencé à ouvrir le feu sur tous les Subsahariens qu’il croisait. Il a tiré sur au moins sept personnes, dont deux Camerounais qui habitaient la même maison que moi. D’ailleurs, il en a tué un. Le problème des Libyens c’est qu’ils ne font aucune différence entre les Africains noirs. S’ils ont un problème avec un Africain, ils s’en prennent à tous les Africains ». Rejoindre l’Europe, Adama Seck y pense toujours. Mais à condition que cela soit par voie régulière. « Je ne pense plus à immigrer clandestinement et je déconseille à quiconque de le faire. D’ailleurs, les peines qu’on endure à l’étranger si on fait les mêmes sacrifices chez soi, on peut facilement réussir ».

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Journaliste pluridisciplinaire, je suis passionné de l’information en lien avec l’Afrique. D’où mon attachement à Afrik.com, premier site panafricain d’information en ligne
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