Le francamglais : Robert des spécificités de la langue française au Cameroun


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Il existe dans toutes les langues y compris dans notre langue de référence qui est le français de France (FRFR) des barbarismes, des solécismes, de vrais attentats à l’orthodoxie qui finissent par s’imposer dans la langue des écrivains, celle des médias et les dictionnaires de langue. Le parler camerounais (FRCAM) est polynormé, souvent désigné comme camfranglais (ou francamglais), il intègre le pidgin et une vingtaine d’autres langues nationales. Ce qui constitue, aux yeux des puristes, des usages originaux. Les particularités lexématiques, sémantiques et d’usage de cette langue flamboyante n’ont pas encore fait l’objet d’un recensement méthodique permettant d’en apprécier la vitalité et la richesse.

La masse n’a pas d’esprit, c’est vu, les dirigeants ont vendu leur âme, c’est entendu, l’ennui et la suspicion, s’ils sont réciproques, ne peuvent être dissipés que par des artistes volontaires. Il faut envisager ce « dictionnaire » comme une production artistique ! Là où les faiseurs d’opinion, écrivains, promoteurs spirituels, et autres maîtres à penser ne définissent aucun standard, n’imposent aucune image, ne présentent aucune voie, les gens n’en pensent pas moins, quitte à se faire des idées fausses voire dangereuses avec beaucoup d’ingéniosité.

Ils remplacent la représentation de l’inconnu, ce qu’on leur cache, ce qu’on ne veut pas leur dire, ce qu’on n’ose pas leur dire par des schémas primitifs, la banalité devient sujette à scandale, la langue ou les coutumes un motif de haine, la vraisemblance supplante le vrai, la rumeur emprunte les mêmes canaux que l’information, le plausible se mue en évidence. Cette prolifération de fausses pistes dessert les gouvernants et par contrecoup le peuple lui-même. D’où l’impérieuse nécessité qu’il y avait à recenser, à stigmatiser, à ironiser, à relativiser, à caricaturer, à raconter ces camerouniaiseries: c’est fait ! Notre science du Cameroun n’est pas parfaite, pour autant reste-t-il possible et souhaitable de ne pas maintenir ceux qui s’y intéressent dans les schémas et a priori qui sont le terreau sur lequel les contrevérités prospèrent trop commodément.

A MORT : faux camerounisme loc. adv. 1. Énormément 2. A en mourir. ? C’est bon à mort. Je t’aime à mort ! Je t’aime jusqu’à… le feu sort seulement !

CELUI DE : loc. prép. Quant à. Introduit de manière emphatique une allusion péjorative à une personne absente. ? Je parlais de cet idiot d’Abena et de cet autre idiot d’Onomo, celui d’Amougou est un triple idiot, il ne mérite même pas que je gaspille ma salive pour lui.

C’EST COMMENT ? Loc interrog. Comment ça va ? ? – C’est comment ? – je suis là, mon frère ! Je me bats, on gère. Var. on dit quoi ? Ça dit quoi ?

COMMENT CA VA ? A cette question, le Camerounais répondra : Bien ! Ou encore : ça va un peu !

KABA : n.m. Invention merveilleuse qui consiste en une robe longue et bouffante, recouvrant le corps jusqu’au talon ou à mi-jambe. Il permet aux femmes fortes de cacher leurs difformités et aux femmes mieux faites de les suggérer plus qu’avantageusement. Vêtement pratique, il est porté pour les tâches ménagères, les réunions féminines et autres tontines, mais ajusté avec goût, il peut se mettre dans pratiquement n’importe quel milieu. Son importance dans les habitudes vestimentaires du Cameroun équivaut à celle du jean dans la culture américaine.

IL A FAIT J’AI EU PEUR : idiotisme, son attitude ou sa réaction m’a inquiété.

UN PEU : loc. adv. Complète un ordre, une demande, un souhait, un conseil pour en atténuer le caractère impératif. Aucune valeur de temps ou de quantité ne doit donc être associée à cette expression qui remplace en réalité la formule de politesse S.V.P. ? Viens un peu ! Montre un peu ! Attend un peu, je reviens tantôt !

MAL MAUVAIS : loc. Adv. Exagérément

NE PAS SE PRENDRE POUR L’EAU DU NDOLÉ : loc. verb. Le Ndolé est un légume qui a la particularité d’être amer. Et quand on le lave, l’eau en garde l’amertume. Ne pas se prendre pour l’eau du Ndolé, c’est croire qu’on fait l’unanimité, c’est « ne pas se prendre pour de la merde ou s’y croire » comme on dit en FRFR. En un sens proche on dira qu’il se prend pour le pape. La question reste entière : Il se prend pour qui ?

MOI (TOI, LUI, NOUS, VOUS, EUX) QUOI LA-DEDANS : idiotisme, De quoi je me mêle ! Je n’en ai cure, c’est mon (ton, son, notre, votre leur) affaire. Variante : « c’est son macabo ! »

NJOTER v. intr. de njoh 1. Profiter d’un avantage auquel on n’a pas droit ou sans s’acquitter des droits requis 2. Ne pas payer à une prostituée le prix convenu pour la passe ou la nuit. ? Un njoteur est ainsi une sorte de délinquant avec une espèce de casier judiciaire mental qui le disqualifie auprès de toutes les prostituées d’un secteur.

PERMANEMMENT : Adv. camerounais régulièrement préféré à la locution adverbiale en permanence.

PINGOUIN : argot carcéral. Dans la prison centrale de New-Bell, les pingouins sont massés dans la cour intérieure. Ils rappellent les pingouins parce qu’ils sont nombreux, debout et surtout, c’est curieux, regardent toujours vers la porte de sortie de la prison.

– Pourquoi selon toi ?

– Parce que l’homme-prisonnier c’est quelqu’un qui attend.

– Il attend quoi ?

– Une visite, de la nourriture, un bienfaiteur, tout.

– Même ceux qui sont rassasiés et n’attendent personne regardent vers la sortie.

– Peut-être attendent-ils des miracles alors !

– Les miracles ne viennent pas par la porte. Ce sont simplement des bêtes, observe-les, tu ne trouveras aucun sens à leurs habitudes. Ils vivent dans cette cour et si on les appelle pingouins, c’est aussi parce que le froid semble n’avoir aucun effet sur eux, jusqu’à ce qu’ils en décèdent.

PRENDS DANS MA BOUCHE : loc. Interj. Se dit à un interlocuteur qui prêche le faux pour savoir le vrai, qui, en demandant une précision, fait mine d’ignorer ce que tout le monde connaît. Le locuteur refuse ainsi d’assumer la paternité d’une information ou d’une rumeur, d’être tenu pour responsable de la diffusion d’une nouvelle. ? Si vous rencontrez une camerounaise qui utilise cette expression, vous pourrez toujours feindre de n’avoir jamais lu ce dictionnaire et l’embrasserez goulument pour la prendre au mot. Il y a des invitations que vous ne vous entendrez pas adresser deux fois.

POLYGAMIE nom masculin : n’est-ce pas le cas ? ? Entendu :

– Elle : Les rapports entre hommes et femmes ont considérablement évolué ces cinquante dernières années. La loi devrait être ajustée en conséquence.

– Lui : Il faut interdire la polygamie ? En faire un crime ou bien un délit ?

– Elle : Compte tenu de toutes les pesanteurs sociales et autres arguments culturalistes, la vraie évolution, celle qui consacrerait l’égalité des genres, serait de légaliser la polyandrie.

– Lui : Ah tu crois ça ? Un Camerounais qui accepterait d’être le second époux ?

– Elle : Faites, je vous en prie… Légalisons et on en parlera après.

– Lui : Il y a une apparence de vrai dans tout ça, c’est le législateur qui est à la traîne en effet. Les Camerounaises manipulent en permanence trois ou quatre hommes, qui ont souvent conscience de l’existence de leurs rivaux, sans que cela déclenche jusqu’à présent une guerre nucléaire, alors pourquoi pas ?

SOIT…SOIT… loc. conj. Fausse alternative, s’emploie plaisamment pour répéter la même idée et exclure toute autre option. ? Tu hésites toujours à le larguer ? Soit tu le quittes, soit tu le quittes. En tout cas, il faut te décider. Var. ou…ou… : comment as-tu pu imaginer qu’il s’améliorait ? Ou tu es crédule ou tu es naïve

CARREFOUR J’AI RATE MA VIE ? choses vues et entendues

Le papa bedonnant : Ma fille, c’est combien la passe ?

La prostituée en herbe : 300 !

Le papa : Quoi, 300 ! C’est le terrain ? J’ai 250… et puis tu es déjà trop vieille.

La prostituée : J’ai 15 ans. Il te les faut dès le berceau ?

Le papa : Tu fais plus que ton âge.

La prostituée : Pardon ne me gâte pas le marché, si tu n’as pas 300, fends l’air !

Le papa : Ma fille… quand tu me regardes, je suis à 300 francs près ? Je ressemble à ça ?

La prostituée : Tu ressembles à un pédophile… mais c’est ton
macabo !

(Cinq minutes plus tard)

La prostituée : Depuis là… Si tu veux pas jouir, écoute, tu prends tes 300 francs et tu t’achètes un préservatif avec… ou bien une brosse à dent!

Le papa : Penses-tu! Si j’avais un préservatif, il me faudrait passer toute la nuit sur toi pour…

La prostituée : Alors ça vient ? Je vais crier au viol!

Le papa : Pff! Tu ne ferais qu’attirer d’authentiques violeurs, fillette. Laisse-moi faire, laisse-toi faire, tu auras 600 francs cash.

La prostituée : Fallait le dire plus tôt, connard!

Le papa : Pas si petite… tu as un esprit de vieux dans ton corps d’enfant.

La prostituée : Prétentieux, tu appelles ça esprit ? Il n’arrive même pas à me chatouiller. Peut être bien que c’est vraiment un esprit finalement.

Le papa : Fillette, ton métier c’est de chatouiller, pas d’être chatouillée, tu devrais t’en tenir à ça.

En fait de dictionnaire, il s’agit d’un « travail » sociologique davantage que lexicographique, ce voyage au cœur du Cameroun se clôt par un article à venir sur les personnalités clé de la succession de Paul Biya (who’s who) toujours sous la forme d’un dictionnaire : le Robert camerounais des noms propres!

Lire aussi :

 Dictionnaire amoureux de la rue camerounaise

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