Le double sacerdoce du Père Jean Ollivier


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Le Père Jean Ollivier
Le Père Jean Ollivier

Père Jean Ollivier est une célébrité à Haïti. Son engagement auprès des plus démunis mais surtout des lépreux n’y est pas étranger. L’homme d’Eglise aura passé près de 40 ans, d’un continent à l’autre, à porter secours aux victimes, souvent exclues, de cette maladie. Parfois, au péril de sa vie. Sa force : la foi. Actuellement de passage en France, Afrik.com a rencontré cet homme au parcours exceptionnel. Chronique d’un double sacerdoce.

Si vous avez un jour la chance de rencontrer le Père Jean Ollivier, ce « haïtien-laotien », comme il aime à le dire, vous retiendrez certainement ceci de lui : courage, franchise mais surtout sa foi inébranlable. Quoi de plus normal pour un prêtre me direz-vous ! Et vous aurez raison ! Mais la vie du Père Jean est telle qu’elle ne peut que vous inspirer une telle platitude. Quarante ans au service des lépreux, une vocation dont il dit que « c’est un cadeau du Bon Dieu », mais aussi des plus démunis : prisonniers, vieillards et séropositifs. «Les autres formes de lèpre», comme il les appelle. Tout cela dans des conditions parfois pénibles. Le Laos, dans les années 60, aux prises avec les troupes du Nord Vietnam, et plus tard Haïti dont l’instabilité politique et sociale n’a jamais atteint le flegme et surtout l’engagement du prêtre. Car rien ne décourage ce Breton de 78 ans, né à Quimper (France). Ordonné en 1953, il s’engage chez les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée en 1954. Car il a toujours voulu être missionnaire.

Des hommes comme les autres

Sa première escale sera le Laos. C’est aussi là que la lèpre croisera son chemin pour s’en faire un ami pour la vie. « Je suis arrivé à la lèpre en 1963 lors d’une mission d’évangélisation à travers les montagnes. Pendant une halte, il engage la conversation avec un groupe d’hommes qui lui demande s’il s’y connaît en maladies de la peau. Il répond qu’il en a quelques rudiments. Les villageois qui l’interpellent donc le conduisent en forêt où vit isolé l’un des leurs atteint de la maladie de Hansen depuis 17 ans. Le prêtre décide que l’homme ne sera, désormais, plus seul. « A partir d’aujourd’hui, nous allons faire route ensemble, toi et les autres de ton cas. Nous ferons un village, vous êtes des hommes comme les autres », lui dit-il.

Pour réaliser son projet, il fait appel à la Fondation Raoul Follereau qui lui apporte son soutien financier. Tout comme, le médecin colonel Pierre Rouauld, ancien médecin de Dien Bien Phu qui le forme à soigner la lèpre en lui rendant, chaque mois, visite à Somsanouk (le village du Bonheur, en langue locale) qu’il a entre temps construit. Il se situe près de Van Vieng, dans le centre du pays, à 150 km au Nord de Vientiane. Les résidents de ce village sont tous lépreux, ils se retrouvent -près de 500 – à vivre en communauté après des années d’isolement en forêt.

Heureux, en dépit de tout

La joie est de retour dans leur cœur. Ils se marient et ont des enfants comme tout le monde. Et après toutes ces années à soigner et à servir les lépreux, c’est aussi le sentiment qui habite le Père Jean Ollivier en dépit de tout. « Ma vie a été heureuse de voir tous ces gens heureux ». Car il y a eu aussi beaucoup de souffrance, que l’homme de foi ne considère pas comme telle. Souffrance, telle son départ précipité de Somsanouk où l’on tente de l’assassiner pendant son sommeil. Il se réveille avec « un énorme trou au pied de son lit ». Une grenade.

Le missionnaire en gardera d’ailleurs une séquelle : depuis ce jour, il est de plus en plus sourd. Les troupes du Nord Vietnam ont encore débarqué, les Français sont devenus indésirables et il est forcé d’abandonner ce à quoi il a consacré son énergie pendant une dizaine d’années. Il partira, choqué et frustré de n’avoir réalisé tous ses projets en matière de lutte contre la lèpre. L’épisode est douloureux. « C’était beau, trop beau pour durer. 150 maisons sont debout, école, infirmerie, salle de couture, forge, tout y est […]. » Mais la vie continue. Il quitte le Laos en 1975 et en 1976, il se retrouve à Haïti.

« La lèpre n’existe pas dans le pays »

Là encore, on lui dira que « la lèpre n’existe pas dans le pays ». Grâce à une religieuse qui lui fait appel – sa réputation le précède, il prouvera le contraire aux autorités administratives haïtiennes. Notamment, quand il lui faut l’autorisation du ministère de la Santé pour soigner la maladie. Produisant trois photos prises lors de sa visite à la religieuse, il demande au secrétaire d’Etat qui le reçoit et qui est médecin : « Docteur, pourriez-vous me dire de quelle maladie sont atteintes ces trois personnes qui sont bien d’Haïti, elles ont été prises, comme vous le voyez, sous le portrait de votre Président ». Il obtiendra son autorisation.

«Depuis 1977, nous avons soigné à Haïti 1 267 cas de lèpre. C’est le dernier numéro que nous avons enregistré ». C’est aux Gonaïves, plus précisément dans l’hôpital de cette ville, dans le centre du pays (encore une fois) que Père Ollivier, établit son quartier général contre le bacille de Hansen (bacille responsable de la lèpre, ndlr). Il y est affecté comme léprologue du centre hospitalier sous l’initiative de son directeur qui devient son allié. Les malades viendront de tout le pays en consultation, 100 à 120 patients par jour. N’importe quel Haïtien connaît d’ailleurs le père Ollivier. Il ira aussi les chercher en organisant des dépistages systématiques notamment dans les écoles et les familles.

« Je continuerai ! »

En décembre 1978, au sein de l’hôpital, est inauguré un pavillon avec deux salles d’hospitalisation, deux de consultation et 17 lits. L’équipe dynamique des débuts – infirmier, médecin, prothésiste et laborantin – s’est réduite. Elle est passé de 8-9 personnes à cinq personnes. Mais surtout les médecins haïtiens formés pour prendre la relève sont partis. raoul.jpg
Le centre de prothèses a également failli disparaître quand l’Etat a refusé au père Ollivier de prendre en charge un salarié. Pourtant, le centre ne servait pas qu’aux lépreux mais aussi aux accidentés de la route. Repris par les pères salésiens, il ne sera plus ouvert gratuitement aux derniers. « Le nouveau responsable de la santé a honte de ce qui s’est passé mais c’est trop tard », explique le prêtre. Déçu ? Pas le moins du monde ! « Je continue ». Quasiment seul, si ce n’est aidé d’un médecin généraliste à mi-temps, mais encore novice en ce qui concerne la lèpre et d’un infirmier. « Je n’hospitalise plus ». De fait, plus de 25 ans après, la lèpre a reculé en Haïti. « Nous avons un à deux cas par mois ». Son bilan : « Je pense qu’il est temps de sevrer le bébé. Il est temps qu’ils [les Haïtiens°] se prennent en charge sur le plan de la lèpre. Ils ont eu toutes les chances pour se former ».

Si la lèpre a reculé, il n’en est rien de la violence, de la pauvreté… Le sida fait des ravages et le Père Jean Ollivier s’en est aussi occupé dés le début des années 90. « Je recevais en moyenne 60 à 70 cas par mois. Nous avions également un laboratoire où des tests de dépistage étaient effectués ». Mais depuis qu’Haïti a reçu une « aide importante » pour lutter contre le fléau, le père s’est désengagé. Mais il n’est pas resté inactif. Il apporte son aide aux prisonniers car il a lui-même fait l’expérience des geôles. Il venait d’arriver au Laos et dans une mission pour apprendre une deuxième langue, le Khumu (une ethnie très catholique du Laos, ndlr), quand les troupes du Nord Viet Nam ont débarqué dans le village. Avec un autre prêtre de la communauté, ils manquent de se faire exécuter – d’autres prêtres et religieux n’auront pas cette chance – mais se retrouvent dans un cachot de « 4m sur 3 et d’1,5 m de hauteur ». Ils y resteront quelques jours, puis seront libérés de justesse grâce à l’intervention des autorités.

« Les nouvelles lèpres »

Une autre cause s’impose à lui : les vieillards abandonnés. « J’ai retrouvé un jour à ma porte, vers 3 heures du matin, un vieillard sur lequel je lis  » cadeau pour le père Ollivier « . Plus tard, c’est un vieillard qu’il avait aperçu qui sera égorgé dans la rue pour avoir reçu une forte somme d’un passant. Depuis 1998, un centre géré par des sœurs Missionnaires de la Charité (Congrégation fondée par Mère Térésa, ndlr), situé à Dolan, à 6 km des Gonaïves, les accueille ainsi que les sidéens et les tuberculeux. Les maux d’Haïti sont multiples mais l’instabilité politique ( cf les évènements récents) est peut-être le plus difficile à soigner. Le sentiment de Père Ollivier. C’est la seule fois où il se montre pessimiste.

« En Haïti, chaque personne a une vocation de chef. Quand tout le monde veut être chef, les choses se compliquent. Je n’ai pas beaucoup d’espoir… ». Le « Fou de Gonaïves », dont on refusait parfois de serrer la main pour cause de lèpre,

en définitive qu’un seul regret : Tous ces gens abandonnés qu’on aurait pu sauver si l’on avait pas fermé les yeux sur cette maladie… La lèpre est une maladie ordinaire ». Et le Père Ollivier, un homme peu commun habité par le sourire des lépreux qu’il a côtoyés et d’une conviction profonde : « Le Seigneur est toujours avec nous ». Il poursuit son travail « en attendant l’obtention d’un visa pour la Terre Promise ». Apparemment, Père Ollivier ne connaît pas les lenteurs, sur certains dossiers, des services d’immigration célestes.

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